Lorsque les travaux de bâtiment sont réalisés selon des « techniques courantes » ils sont automatiquement assurés au titre de la garantie de responsabilité décennale des constructeurs.
La technique courante, une notion purement assurantielle, est relative à la mise en œuvre de procédés et matériaux de construction « normalisés » selon des standards publiés. Plusieurs types de « standards » sont reconnus par le système assurantiel, normes AFNOR, DTU, règles professionnelles… Ce corpus normatif n’est pas aujourd’hui totalement adapté à nos réalités tropicales, sismiques et cycloniques.
Les travaux de bâtiment qui sortent de ce cadre très réglementé sont des travaux de technique « non courante » qui nécessitent une déclaration préalable à l’assureur. Celui-ci décidera si ces procédés constructifs ou matériaux nouveaux peuvent être mis en œuvre avec ou sans extension de garantie. Pour prendre cette décision, l’assureur va s’appuyer sur des évaluations techniques, telles que les avis techniques ou les avis techniques d’expérimentation accordés par la CCFAT (Commission Chargée d’émettre des Avis Techniques) dont le CSTB assure le secrétariat technique. L’avis technique de la commission se prononce sur l’aptitude à l’emploi des produits ou procédés dits « non traditionnels ».
Pour les assureurs :
(a) les matériaux issus du réemploi relèvent automatiquement de la technique non courante.
(b) les matériaux innovants doivent disposer d’avis techniques.
(c) les matériaux produits en dehors du système d’évaluation français ou européen sont totalement inconnus et annoncer la mise en place d’un « marquage RUP » sans y adjoindre un vrai système d’évaluation technique n’y changera pas grand-chose.
Dans un tel contexte, on comprend bien tout l’intérêt de travailler à l’adaptation des normes de construction existantes, aux réalités de nos territoires. Il faut en effet qu’un maximum de procédés valides, ayant fait leurs preuves, soient formellement reconnus par les assureurs comme relevant de la technique courante. La possibilité pour toutes les entreprises de contracter une assurance de responsabilité décennale et la maîtrise du montant des primes payées à l’assureur seront nécessairement impactées par cette démarche volontariste des professionnels de la construction.
La réduction de la sinistralité sectorielle qui est le corolaire des travaux normatifs est également un enjeu fort pour toutes les entreprises qui peinent aujourd’hui à s’assurer en responsabilité décennale. La concurrence entre un plus grand nombre d’acteurs correctement assurés est aussi un gage de maîtrise des coûts de construction pour les maîtres d’ouvrages publics et privés.
Dans des territoires vulnérables à de nombreux aléas, la plus forte pénétration de l’assurance construction serait un outil précieux dans la stratégie globale de résilience territoriale.
Pour les acteurs publics qui se retrouvent forcément en première ligne en cas de catastrophe naturelle, il vaudrait mieux en effet que le système assurantiel puisse pleinement jouer son rôle dans la crise post catastrophe pour que la charge de la reconstruction ne devienne pas une affaire trop publique. Face à l’éventualité d’un exode démographique fort si la reconstruction est trop lente, la puissance publique se voit systématiquement contrainte de prendre les choses en main.
C’est en comprenant toutes ces implications que chacun sera en position de mesurer sa responsabilité individuelle dans les processus d’adaptation normative en cours. Les hésitations et les oppositions qui existent encore çà et là ne servent que les visions et intérêts de très court terme, elles ne préparent pas l’avenir. La qualité construction se teste au fil du temps ou lors d’épisodes ponctuels dévastateurs dont personne ne sait quand ils se produiront. Compte tenu de la durée de vie des constructions et de l’accélération du dérèglement climatique, les choix faits aujourd’hui conditionneront les conditions de vie de plusieurs générations.
Jean-Yves Bonnaire