TRANSITION ÉCOLOGIQUE : Le fonds vert pris dans l’étau des restrictions budgétaires

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    Lu pour vous sur : www.lagazettedescommunes.com – Ecrit par Cédric Néau 

    Avec la coupe de 430 millions d’euros en février et la menace d’un nouveau gel de 430 millions supplémentaires évoquée le 6 mars dernier, l’avenir du fonds vert devient un sujet d’inquiétude des collectivités, alors qu’il devait donner un peu de la visibilité nécessaire aux investissements pour la transition écologique. Tout est à refaire.

    Coup de froid sur le fonds vert. Déjà bien enrhumé par une coupe de 430 millions d’euros (M€) décidée par décret du 20 février dernier dans le cadre d’une réduction de 10 milliards d’euros (Mds€) des dépenses de l’Etat, le fonds vert est à nouveau menacé d’un gel de 430 M€ supplémentaires.
    Lors de l’audition du ministre de l’Économie et des finances Bruno Le Maire et du ministre délégué chargé des Comptes publics, Thomas Cazenave, le 6 mars dernier au Sénat, la commission des finances a reçu un document indiquant « une mise en réserve de précaution », selon l’expression de la sénatrice des Hauts-de-Seine Christine Lavarde (LR), de 430 M€ supplémentaires de ce fonds.


    Interrogée par la sénatrice, Thomas Cazenave a juste reconnu « qu’un travail de reprogrammation est en cours, y compris pour la réserve ». Relevé également par nos confrères de Contexte, cette menace de nouveau gel est confirmé par le président de la commission des finances, le sénateur de Haute-Garonne Claude Raynal (PS) : « Nous avons bien reçu ce document montrant ces 430 M€ mais ils sont toujours, à l’heure actuelle, en autorisation d’engagement » temporise-t-il.

    Autorisation d’engagement et crédit de paiement

    L’autorisation d’engagement (AE) est l’acte par lequel une dépense est engagée sur un ou plusieurs exercices. Le crédit de paiement (CP) est ce qui est effectivement consommé (ordonnancé ou payé) au bout de l’exercice, voire de plusieurs quand il s’agit d’engagements pluriannuels. Le fonds vert a ainsi été engagé à hauteur de 2 milliards en 2023 avec 500 M€ de crédits de paiement. Seuls 300 M€ auraient été consommés sur l’exercice.

    Lors de son audition devant les sénateurs, Thomas Cazenave a tenu à rappeler que « tous les engagements 2023 qui peuvent avoir un impact sur 2024 seront tenus ». Une précision qui a son importance : si la loi de finances initiale pour 2024 prévoyait bien 500 M€ supplémentaires de fonds vert, portant celui-ci à 2,5 Mds€ en autorisation d’engagement (AE), le texte ne prévoyait que 1,125 Mds€ en crédit de paiement. Et encore, sur les 2,5 Mds€ en AE, seuls ces 500 M€ constituaient un nouvel abondement du fonds, le reste, 2 Mds€ donc, n’étant en fait que l’apurement des AE de 2023.

    Quelles que soient les menaces pesant sur les crédits du fonds vert 2024, le ministre du Budget a donc confirmé que les coups partis en 2023 seraient bien financés par le fonds vert en 2024. Mais pour les nouveaux projets, ce fonds se réduit « à peau de chagrin », se désole par exemple Intercommunalités de France.

    Si la menace d’une coupe supplémentaire de 430 M€ se concrétisait, les collectivités n’auraient en effet plus que 265 M€ (1,125 Mds€ – 430 M€ – 430 M€) réellement à disposition en 2024 pour les aider à financer leur projet de transition écologique. Soit 35 M€ de moins que ce qui a été consommé en 2023. Loin de pouvoir accentuer leurs efforts en matière de transition écologique, les collectivités vont donc devoir se restreindre… ou se passer des financements de l’Etat.

    Inquiétudes et agacements

    La Fédération nationale des travaux publics (FNTP), dont l’activité est très dépendante des moyens financiers mis à disposition des élus pour rénover ou construire des infrastructures en lien avec la transition écologique, a résumé la nouvelle menace dans un communiqué diffusé le 12 mars. « Si ces coupes budgétaires se confirment, ce sera un milliard d’euros d’investissement en provenance de l’État en moins pour le financement de la transition écologique entre 2023 et 2024 » a-t-elle déploré.

    Selon ses calculs, sur ces deux exercices, les crédits de paiement ne pourraient en effet plus dépasser 565 M€ (300 M€ consommés en 2023 + 265 M€ en 2024). Initialement, ces CP devaient plafonner à 1,625 Md€ (500 M€ en 2023 +1,125 Mds€ en 2024). Les collectivités vont donc bien perdre exactement 1,06 Md€ d’aide à l’investissement vert (1,625 Md€ – 565 M€).

    La FNTP enfonce le clou : « Compte tenu du fait que lorsque l’État investit 1 euro pour le Fonds vert, les collectivités investissent en moyenne trois euros, ce sont au total 4 Mds € d’investissement sur deux ans qui risquent d’être empêchés, c’est incompréhensible ! », tance Alain Grizaud, président de la fédération, qui appelle à « préserver le financement de la transition écologique des aléas budgétaires ». Et de rappeler que « les projets d’infrastructures nécessitent de la planification et de la stabilité financière ».


    Plus qu’un montant préservé, l’association des grandes agglomérations souhaite surtout « rendre l’argent public plus efficace », souligne Franck Claeys, délégué adjoint de France Urbaine. « Le surgel n’est pas l’essentiel, le gouvernement a déjà fait des réserves de précaution en cas de crispation, comme c’est le cas actuellement, et l’arbitrage se fera au niveau ministériel », rappelle-t-il. « L’important est d’arrêter le saupoudrage avec ce qui restera du fonds vert avec une contractualisation et une fongibilité du fonds comme c’est le cas avec les PCAET, par exemple, pour obtenir l’effet levier espéré ».

    Intercommunalités de France s’inquiète également pour la pérennité du programme « Territoires d’industrie », doté de 100 M€ issus du fonds vert, notamment pour financer les postes de chargés de mission dédiés au déploiement du programme. « Nous les avons obtenus de haute lutte, personne ne voulait nous les donner, donc je crains que ce ne soit pas prioritaire pour Bercy », s’agace Sébastien Martin, président de l’association qui veut « arrêter d’être inquiet » pour passer en mode « combattif ».
    La semaine prochaine, il ira voir Bruno Le Maire pour lui demander : « Comment fait-on pour doubler les investissements dans la transition écologique ou relancer le pouvoir d’achat sans augmenter la dépense publique ? A un moment, il faut arrêter de jouer ! »


    Prévision de croissance « fantaisiste ou fallacieuse »

    De son côté le gouvernement temporise : « Ce gel permettra d’ajuster les choses » se voulait rassurant Thomas Cazenave devant les sénateurs. « Il veut nous faire croire que la conjoncture peut encore l’éviter », ironise Claude Raynal, qui ne croit pas à la nouvelle prévision de croissance donnée par Bercy de 1 % contre 1,4 % initialement. Il ajoute : « Je pense que tout a été calculé à l’envers pour atterrir sur 10 Mds€ de réduction de dépenses avec 1 % de croissance ».
    Le sénateur (LR) de Meurthe-et-Moselle et rapporteur du Budget Jean-François Husson, qui désignait déjà la première prévision de croissance « de fantaisiste ou fallacieuse » dans un PLF 2024 « hors-sol », a d’ailleurs demandé aux deux ministres auditionnés par la commission sénatoriale pourquoi ils souhaitaient maintenir une prévision de 1 % quand « un consensus d’économistes table sur +0,7 % de croissance en 2024 pour la France ? »

    « La nouvelle prévision de croissance à 1 % pour 2024 reste toujours significativement supérieure au consensus » a renchéri Pierre Moscovici, premier président de la Cour des Comptes lors de la présentation de son rapport général hier 12 mars. Compte tenu des perspectives actuelles, il est donc persuadé que les économies de 10 Mds€ décrétées en février ne seront « qu’une première étape » et il s’attend donc à des « mesures d’économies supplémentaires ».

    Ce qui signifierait alors la suppression directe des 430 M€ supplémentaires du fonds vert, probablement via un projet de loi de finances rectificative (PLFR), la voie réglementaire n’étant aujourd’hui plus activable qu’à hauteur d’environ 2 milliards supplémentaires d’économies, selon les propres calculs de Thomas Cazenave (voir notre explication).

    Mais la fenêtre de tir est étroite, coincée entre les élections européennes (9 juin) et les Jeux Olympiques (à partir du 26 juillet). « On verra à ce moment si on parle d’économies supplémentaires, mais la vraie échéance c’est le PLF 2025 » se projette Franck Claeys. Il redoute que  la multiplication des PLFR, surgel, PLF de restriction, etc. pousse les acteurs locaux à se « recroqueviller et ne plus construire l’avenir. Nous avons encore un peu de temps pour convaincre le gouvernement d’éviter les économies de bout de chandelle ».

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