Mayotte traverse une crise hydrique d’une ampleur sans précédent. Depuis plusieurs années, l’île est confrontée à des pénuries récurrentes d’eau potable, provoquées par la combinaison d’une croissance rapide de la population, de ressources limitées, d’infrastructures vieillissantes, et d’une pluviométrie de plus en plus instable. En 2023, certains foyers n’avaient accès à l’eau courante que quelques heures par jour. Et cette situation ne s’est pas améliorée.
Le cyclone CHIDO, qui a frappé l’île fin 2024, a aggravé la situation en endommageant davantage les réseaux de distribution et en contaminant certains points de captage. Résultat : des dizaines de milliers de personnes privées d’eau, des écoles contraintes de fermer temporairement, des hôpitaux sous tension. Dans un tel contexte, la résilience des services d’eau devient une priorité absolue.
—
Un accompagnement renforcé aux côtés du Syndicat des Eaux de Mayotte
Pour répondre à cette urgence, le Cerema, le Syndicat Les Eaux de Mayotte (LEMA) et la Direction de l’Environnement, de l’Aménagement, du Logement et de la Mer (DEALM) ont signé une convention d’Assistance à Maîtrise d’Ouvrage (AMO).
Cette convention marque un engagement fort de l’État et des acteurs publics pour rétablir un service de l’eau fiable, durable et conforme aux normes sanitaires.
Présentée lors du Carrefour des Gestions Locales de l’Eau 2025 par Florent Sibenaler, chef de mission au Cerema, cette AMO vise à accompagner techniquement et stratégiquement le LEMA dans la conception, le pilotage et la sécurisation des projets.
Elle a aussi vocation à aider les collectivités locales à adopter une vision hydrique plus résiliente et à long terme.
Le Cerema a détaillé les contours de cet accompagnement dans une publication récente. Cette communication souligne que les enjeux identifiés à Mayotte — pression démographique, vulnérabilité climatique, infrastructures vieillissantes — appellent des réponses intégrées, mêlant ingénierie, réglementation et gestion de crise.
Des actions concrètes pour relancer l’accès à l’eau
Le partenariat ne se limite pas à un appui théorique. Il s’agit de débloquer rapidement des leviers opérationnels pour faire face à la pénurie, tout en préparant les infrastructures de demain.
Parmi les priorités :
- La création d’une usine de dessalement, pour sécuriser la production d’eau en période de sécheresse. Cette infrastructure sera essentielle pour diversifier les sources d’approvisionnement.
- Le lancement des 6e et 7e campagnes de forage, avec 35 sites potentiels identifiés. Objectif : accroître la capacité de captage de manière encadrée.
- L’amélioration des réseaux de distribution, dont les pertes sont actuellement élevées. En 2023, le réseau accusait des pertes importantes : selon plusieurs rapports antérieurs, jusqu’à 40 à 50 % de l’eau produite ne parvenait pas jusqu’aux abonnés.
- Le développement de l’assainissement collectif, encore très peu présent sur l’île. La majorité des ménages restent raccordés à des systèmes individuels non conformes.
-
La mise en place d’outils de gestion de crise, capables de s’activer rapidement en cas d’événement climatique majeur.
Tous ces chantiers sont encadrés par le Cerema, qui apporte son expertise en ingénierie publique, en réglementation, en planification territoriale, et en coordination interinstitutionnelle.
Une présence sur le terrain pour faire face à l’urgence
Contrairement à de nombreux dispositifs d’assistance restés théoriques, l’intervention du Cerema s’ancre dans le concret. Dès le passage du cyclone CHIDO, une équipe d’intervention s’est rendue sur place pour évaluer les dégâts et accompagner les premières actions de rétablissement de l’eau potable.
Florent Sibenaler et Abdallah Ben Omar, responsable du Cerema à Mayotte, ont été mobilisés dès les premières heures. Trois agents supplémentaires rejoindront l’équipe dans les prochains mois pour former un noyau technique permanent. Cette présence locale est capitale pour maintenir une coordination avec les services du LEMA et accélérer les projets.
Le Cerema n’agit pas à distance : il s’implique au cœur des opérations, en lien direct avec les contraintes du territoire. Ce modèle d’assistance de proximité pourrait devenir un standard dans les politiques publiques ultramarines.
Penser l’avenir : Mayotte comme territoire pilote
En parallèle de l’AMO, le Cerema accompagne le LEMA sur le programme REUTLittoral, qui vise la réutilisation des eaux usées traitées sur les zones littorales. Cette solution, encore peu exploitée en Outre-mer, permettrait de réduire la pression sur les ressources naturelles, notamment en période sèche, et de réutiliser une ressource jusqu’ici sous-valorisée pour des usages non potables (arrosage, nettoyage urbain, etc.).
Mayotte devient ainsi un territoire pilote dans l’expérimentation de solutions adaptées aux contextes insulaires tropicaux : captage optimisé, désalinisation, gestion des eaux usées, et dispositifs de crise intégrés.
Ce modèle, s’il est abouti, pourra être reproductible en Guadeloupe, en Martinique, en Guyane ou à La Réunion, qui font face à des enjeux similaires.
Avec ce partenariat renforcé, un cap est fixé : sortir d’une gestion de crise perpétuelle pour construire une stratégie de résilience durable. Le Cerema, en tant qu’opérateur public, apporte un savoir-faire précieux qui va au-delà du simple appui technique : il favorise la montée en compétence locale, l’intégration des enjeux climatiques et la mutualisation des bonnes pratiques.
La situation de Mayotte est critique, mais elle ouvre aussi la voie à une nouvelle façon de penser la gouvernance de l’eau dans les territoires ultramarins. Ce qui s’y expérimente aujourd’hui pourrait inspirer les politiques publiques de demain.