Entre 2010 et 2019, la Martinique a vu disparaître 1 350 hectares d’espaces naturels, agricoles et forestiers, soit 1,2 % de sa surface totale. L’équivalent de cinq terrains de foot par semaine. Une dynamique préoccupante, révélée par l’INSEE dans la note « INSEE Analyses Martinique n°77 » publié en mars 2025 en partenariat avec la DEAL.
Ce grignotage progressif du territoire est massivement lié à l’habitat, qui représente 88,8 % des surfaces consommées sur la période. Et pourtant, la population martiniquaise a diminué. Que s’est-il passé ? Pourquoi construit-on toujours plus, malgré une décroissance démographique ? Le rapport éclaire ces contradictions.
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Plus de logements… pour moins de monde ?
Le constat est d’autant plus marquant que la Martinique a enregistré une diminution de sa population de 7,5 % entre 2010 et 2019. Dans le même temps, le nombre de logements a pourtant augmenté de façon significative : +10,2 %, soit près de 20 000 logements supplémentaires. Cette apparente contradiction est liée à une évolution profonde des modes de vie et des configurations familiales.
En effet, la taille moyenne des ménages s’est réduite, passant de 2,4 à 2,2 personnes. Ce phénomène, qualifié de « décohabitation« , traduit une tendance à l’éclatement des ménages, à la multiplication des foyers unipersonnels et au vieillissement de la population.
En 2019, 17,6 % des ménages sont composés d’une seule personne, contre 12,9 % en 2010. Ces mutations sociales entraînent une augmentation mécanique de la demande en logements, même en l’absence de croissance démographique.
L’INSEE estime que cette diminution de la taille des ménages explique à elle seule 97 % de la croissance du parc de logements sur la période étudiée.
Par ailleurs, la typologie des logements construits a également un impact direct sur la consommation foncière : les maisons individuelles, qui occupent davantage de terrain que les logements collectifs, représentent 63 % du parc en 2019, contre 55,2 % en France métropolitaine. Leur préférence s’explique notamment par les attentes des ménages et les caractéristiques du foncier disponible.
Cette prépondérance du pavillonnaire se traduit par une consommation moyenne de 1 971 m² de surface par ménage supplémentaire, soit près de 3 fois la moyenne nationale (721 m²).
La Martinique se positionne ainsi parmi les départements français les plus consommateurs de foncier résidentiel.
Vacants, secondaires : les logements fantômes qui consomment du sol
Au-delà des seuls effets de la décohabitation, l’augmentation du nombre de logements est aussi alimentée par la vacance et la croissance des résidences secondaires. Deux dynamiques qui, bien qu’ayant des logiques différentes, participent toutes deux à une consommation foncière accrue sans réelle occupation permanente des logements.
La vacance a fortement progressé : +35,8 % entre 2010 et 2019. En 2019, 15,8 % des logements martiniquais sont vacants. Ce taux, nettement supérieur à la moyenne nationale, traduit l’existence d’un parc inadapté à la demande actuelle : bâtiments anciens (60 % ont plus de 30 ans), mal localisés, souvent dégradés ou frappés par des situations juridiques complexes (indivisions, successions bloquées, etc.).
En 2019, 22 % de ces logements vacants n’ont pas accès à l’eau potable, et 24 % à l’électricité. Dans ces conditions, ils ne peuvent répondre à la demande réelle et restent inoccupés, tout en continuant d’artificialiser le territoire.
Les résidences secondaires et logements occasionnels constituent un autre facteur important. Leur nombre a augmenté de 53,4 % sur la même période, soit 4 860 logements supplémentaires. Leur part dans le parc total est passée de 4,7 % à 6,5 %.
Si ces logements peuvent répondre à une activité touristique ou familiale saisonnière, ils représentent aussi un usage foncier non permanent, parfois inaccessible pour les résidents permanents, et contribuent à la tension sur le foncier disponible.
Données clés – Consommation d’espace en Martinique (2010–2019)
- 1 350 hectares artificialisés, soit 1,2 % du territoire
- 88,8 % des surfaces consommées liées à l’habitat
- -7,5 % de population mais +10,2 % de logements
- Taille moyenne des ménages : 2,2 personnes (contre 2,4 en 2010)
- Consommation moyenne de 1 971 m² par ménage supplémentaire (vs 721 m² au national)
- +35,8 % de logements vacants ; 15,8 % du parc en 2019
- +53,4 % de résidences secondaires ; 6,5 % du parc total
- Le Diamant : +131 % de vacance entre 2010 et 2019
- Objectif légal : ZAN en 2050, -50 % de consommation foncière d’ici 2031
Des communes qui construisent à contre-temps
L’approche territoriale du rapport met en lumière des disparités importantes entre les communes de la Martinique. 13 d’entre elles présentent une consommation d’espace qualifiée de « très élevée » au regard de leur évolution démographique. Cela signifie que l’artificialisation y progresse à un rythme plus rapide que la croissance du nombre de ménages.
Deux groupes se distinguent :
- Le premier regroupe 8 communes excentrées (Le Vauclin, L’Ajoupa-Bouillon, Le Marigot, etc.) où l’augmentation de la vacance est la principale cause de consommation d’espace. Dans ces territoires, les logements vacants ont progressé de 50 %, atteignant 15,5 % du parc.
- Le second groupe comprend 5 communes à forte attractivité touristique (Sainte-Anne, Le Marin, Le Robert…) où l’explosion des résidences secondaires est la cause dominante : +79,2 % en neuf ans. Ces communes, souvent proches du littoral ou dotées d’infrastructures touristiques, attirent des investissements qui ne répondent pas aux besoins locaux de logement.
Enfin, 10 communes voient leur nombre de ménages diminuer tout en continuant de consommer du foncier. Parmi elles, Le Diamant se distingue par une progression de 131 % des logements vacants. Ces situations interrogent directement la pertinence des logiques de développement en place.
Ce que dit la loi : un compte à rebours vers le ZAN
La loi Climat et Résilience du 22 août 2021 introduit des objectifs clairs en matière de réduction de l’artificialisation des sols :
- Une division par deux du rythme de consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers d’ici 2031 par rapport à la décennie précédente (2011-2021)
- L’atteinte du ZAN (Zéro Artificialisation Nette) à l’horizon 2050, à travers un équilibre entre les surfaces artificialisées et renaturées
Ces objectifs doivent être intégrés dans les documents de planification territoriale, notamment les SAR (Schéma d’Aménagement Régional) et SCOT (Schéma de Cohérence Territoriale).
En Martinique, la DEAL accompagne les collectivités dans ce processus, en mettant en place un observatoire local du foncier, en contribuant à l’identification et au recensement des friches, et en diffusant une culture de la sobriété foncière.
L’évolution des outils de mesure constitue également un levier d’action : la généralisation de l’OCS GE (Occupation du Sol à Grande Échelle) permettra une analyse plus fine et plus localisée des dynamiques d’artificialisation.
Rssource à Consulter
INSEE Analyses Martinique n°77
Faut-il construire moins ou construire autrement ?
Les constats dressés par l’Insee posent une question de fond : comment concilier besoins en logement, sobriété foncière et dynamiques territoriales ? Construire moins n’est pas toujours la solution.
Il s’agit plutôt de construire différemment, de façon plus qualitative et plus adaptée aux réalités locales.
Cela passe par plusieurs leviers :
- La réactivation du parc vacant, via des politiques de rénovation, de lutte contre l’indivision, et de réaffectation des logements anciens
- La densification intelligente des centres-bourgs et des zones déjà urbanisées, afin de limiter l’étalement
- La reconversion des friches industrielles, commerciales ou urbaines, pour accueillir de nouveaux projets sans consommer d’espaces naturels
- L’adaptation des documents de planification à la spécificité ultramarine, où les contraintes foncières, la pression touristique et les héritages fonciers sont particulièrement sensibles
La Martinique se trouve à un tournant : entre la poursuite de modèles dépassés et la nécessité de bifurquer vers une gestion plus sobre, plus équilibrée et plus résiliente de son territoire.
La publication de l’INSEE constitue une base d’analyse précieuse pour orienter les décisions à venir. Encore faut-il qu’il suscite une mobilisation collective, impliquant autant les acteurs publics que les professionnels du secteur et les citoyens.