À l’heure où l’on parle d’urgence climatique, de dépendance énergétique et de tension sur les matériaux importés, une question s’impose : et si les réponses étaient déjà là, sous nos pieds et dans nos forêts ?
Construire en Guyane avec des matériaux locaux ne relève ni du folklore, ni du passéisme. Il s’agit d’une réponse à la fois pragmatique et visionnaire. Le bois issu des forêts primaires, gérées durablement, et la terre crue, travaillée sous forme de briques compressées, offrent des performances adaptées aux exigences climatiques du territoire tout en réduisant significativement l’empreinte écologique des bâtiments. Ces matériaux ne sont pas seulement vertueux sur le plan environnemental : ils portent aussi une promesse d’autonomie, de relance de filières locales, et de création de valeur sur place.
Dans un guide publié par l’association AQUAA, la « Kaz Ekolojik« , ces deux ressources naturelles sont mises en avant comme leviers fondamentaux d’un habitat résilient, confortable et accessible. Loin d’être anecdotiques, elles incarnent une autre façon d’envisager l’acte de construire : plus sobre, plus enracinée, et pourtant résolument tournée vers l’avenir.
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Le bois de Guyane : une matière première bien plus qu’abondante
Lorsqu’on évoque les ressources naturelles de la Guyane, la forêt s’impose comme une évidence. Avec plus de 90 % du territoire couvert d’espaces forestiers, le bois local constitue une richesse encore largement sous-exploitée dans le secteur de la construction. Pourtant, les arguments en faveur de son utilisation ne manquent pas, tant du point de vue environnemental que technique ou économique.
D’abord, la gestion durable des forêts guyanaises est une réalité encadrée. Le mode de prélèvement utilisé repose sur une logique de “cueillette” : seules certaines essences sont sélectionnées, sur des zones limitées, afin de permettre à la forêt de se régénérer naturellement.
Ce modèle, certifié par le label PEFC, garantit non seulement la préservation des écosystèmes mais aussi la disponibilité d’un bois d’œuvre renouvelable, local et à faible impact carbone. Contrairement au béton ou à l’acier, dont la production nécessite une énergie considérable, le bois guyanais demande peu de transformation, ce qui réduit considérablement son empreinte écologique.

Sur le plan technique, les essences exploitées – notamment le Gonfolo, le Grignon et l’Angélique – présentent des performances mécaniques élevées, souvent supérieures à celles des bois des régions tempérées.
Certaines sont naturellement résistantes aux termites (classe III), d’autres comme l’Ébène verte peuvent même résister à l’humidité et aux attaques biologiques sans traitement (classe IV).
En fonction de l’essence choisie et de son usage, des précautions doivent toutefois être prises : par exemple, éviter tout contact direct entre les poteaux et le sol ou l’eau stagnante, ou prévoir un traitement préalable en scierie pour les bois plus sensibles.
Ce matériau n’est pas seulement robuste. Il est aussi esthétiquement valorisant, apportant chaleur, texture et cohérence à l’architecture tropicale. Son inertie thermique relativement faible contribue au confort nocturne, à condition d’être combiné avec des dispositifs de protection solaire efficaces en journée (débords de toiture, bardages doubles peaux, couleurs claires…).
Contrairement à certaines idées reçues, une maison en bois de Guyane n’est pas plus chère qu’une construction en béton.
Le coût d’un bardage simple peau en bois massif est aujourd’hui inférieur à celui d’un mur en agglos enduits.
À surface équivalente, une maison en bois local peut atteindre un coût de revient similaire à celui du « dur », tout en étant plus rapide à mettre en œuvre, plus légère – donc plus adaptée aux fondations sur pilotis – et souvent mieux ventilée naturellement.
Encore faut-il choisir les bons produits dérivés. Le guide Kaz Ekolojik recommande, par exemple, de privilégier les panneaux contreplaqués CTB-X ou les panneaux OSB 3, traités contre les xylophages, et d’éviter les matériaux importés à base de pin, mal adaptés au climat humide.
La brique de terre compressée : un matériau ancien, une filière neuve
En Guyane, la terre crue a longtemps été exploitée sous forme de torchis, notamment dans les maisons créoles construites avant 1940. Mais ces savoir-faire traditionnels, bien que porteurs d’une certaine intelligence constructive, ont peu à peu disparu, éclipsés par les matériaux industrialisés. Aujourd’hui, la brique de terre compressée (BTC) réactualise cette logique avec des procédés modernisés, une plus grande maîtrise technique et une ambition claire : proposer une alternative locale, sobre et adaptée au climat équatorial.
En Guyane, l’histoire contemporaine de la BTC commence à la fin des années 1980, avec quelques essais pionniers, suivis d’une expérimentation concrète dans les années 2000 sur une maison individuelle.
C’est ce projet personnel, conduit sur le long terme, qui a permis de démontrer la viabilité de la BTC dans le contexte guyanais. Il a débouché, une décennie plus tard, sur la création d’une entreprise locale : La Brique de Guyane, aujourd’hui labellisée « Produit de Guyane ».

Techniquement, la BTC est constituée de latérite soigneusement sélectionnée, broyée, humidifiée, puis stabilisée avec une petite quantité de ciment (entre 5 et 8 %). Le mélange est ensuite comprimé dans un moule à l’aide d’une presse hydraulique, puis séché pendant quelques semaines.
Ce procédé, simple mais rigoureux, donne naissance à des blocs de 29,5 x 14 x 9,5 cm. Deux modes de pose sont envisageables :
- en boutisse (côté étroit visible), pour un mur de 30 cm d’épaisseur,
- en panneresse (côté large visible), pour un mur plus fin de 14 cm, à condition d’ajouter une ossature bois pour la stabilité.
Le choix entre les deux dépendra à la fois du budget et des performances thermiques recherchées.
Le mortier utilisé pour l’assemblage peut être un ciment classique, un ciment teinté à la latérite, ou encore un ciment-colle, plus fin et plus économique.
Outre ses qualités esthétiques – les murs en BTC offrent une texture naturelle, authentique et valorisante – ce matériau présente de réels avantages pour le confort thermique.
Il régule l’humidité, stocke la fraîcheur et limite les écarts de température, tout en assurant une bonne inertie.
Ces performances, largement documentées dans d’autres climats tropicaux – comme à Mayotte -, se confirment en Guyane, où la BTC a prouvé sa capacité à fonctionner sans climatisation, à condition d’être bien protégée du soleil et associée à une bonne ventilation naturelle.
Enfin, la BTC valorise une ressource locale abondante – la terre – tout en réduisant les besoins en matériaux importés. Son empreinte carbone est faible, son coût de transport quasi nul, et sa production peut s’inscrire dans des logiques artisanales ou semi-industrielles, selon les projets.
Loin d’être un retour en arrière, la brique de terre compressée représente donc une avancée dans la quête d’un habitat plus adapté, plus économique et plus respectueux de son environnement. Sa montée en puissance pourrait marquer une nouvelle étape pour l’écoconstruction en Guyane.
Mixer les matériaux pour mieux construire
Opposer le bois et la terre n’aurait guère de sens. Dans la pratique, c’est souvent leur combinaison qui donne les meilleurs résultats.
La BTC, avec sa forte inertie, fonctionne particulièrement bien pour les murs porteurs ou les cloisons intérieures. Le bois, quant à lui, apporte légèreté, rapidité de mise en œuvre et souplesse structurelle, notamment pour les charpentes, les bardages ou les ossatures.
C’est précisément cette mixité constructive que recommande le guide Kaz Ekolojik. Elle permet d’adapter chaque matériau à son usage optimal, tout en jouant sur les complémentarités thermiques, esthétiques et mécaniques.
Une structure en bois combinée à un remplissage en BTC, par exemple, offre une bonne stabilité tout en maintenant un excellent confort thermique.
Au-delà de l’aspect technique, cette approche ouvre aussi la voie à des architectures mieux intégrées, plus expressives et plus durables, où chaque composant participe à l’équilibre d’ensemble. Mixer les matériaux, c’est aussi mixer les savoir-faire locaux pour construire autrement, et surtout, plus intelligemment.
Construire mieux, ici et maintenant
Les enjeux posés par le climat, les ressources, et les réalités sociales en Guyane imposent de repenser les manières de construire. Ce changement n’est pas à projeter dans un futur hypothétique : il commence dès maintenant, avec des matériaux disponibles localement, des techniques adaptées et des retours d’expérience concrets.
Bois massif et terre crue ne sont pas des solutions d’appoint ou des curiosités réservées à quelques projets militants. Ce sont des réponses viables, robustes, pertinentes, qui répondent aux spécificités du territoire tout en ouvrant des perspectives durables.
Adopter ces matériaux, c’est aussi faire le choix d’un modèle plus circulaire, plus autonome, plus résilient. C’est soutenir une économie de proximité, favoriser l’emploi local, et ancrer l’acte de construire dans une logique de bon sens.
À travers les exemples et recommandations du guide Kaz Ekolojik, c’est tout un potentiel qui s’esquisse : celui d’une Guyane qui construit avec ce qu’elle a, selon ce qu’elle est, pour répondre à ce qu’elle vit.
Guide « La Kaz Ekolojik » –
Construire et vivre avec le climat en Guyane