MAYOTTE. Investissements publics 2021-2023 : une progression inédite sous contrainte financière

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Investissements publics Mayotte

Entre 2021 et 2023, les dépenses d’investissement des communes et intercommunalités de Mayotte ont bondi de plus de 169 %, atteignant 342 millions d’euros. Une trajectoire spectaculaire, qui place le territoire devant la moyenne des autres départements d’outre-mer en matière d’investissement par habitant.

Cette dynamique, nécessaire pour répondre à la pression démographique et aux besoins massifs en infrastructures de base, s’accompagne pourtant d’une dégradation très nette des indicateurs financiers.

Le rapport 2024 de l’Observatoire du bloc communal de Mayotte, publié par l’AFD, dresse un état des lieux contrasté : à une montée en puissance des investissements répond une trésorerie exsangue, une capacité d’autofinancement affaiblie et des risques clairs pour la soutenabilité de l’action publique locale.

Des investissements massifs pour répondre à l’urgence des équipements

En une décennie, Mayotte a complètement changé d’échelle. En 2014, le montant des investissements du bloc communal était deux fois inférieur à celui les autres départements d’outre-mer. En 2023, il leur est supérieur : 1 067 euros / habitant contre 737 euros ailleurs. Cette progression rapide traduit l’intensification des efforts menés par les 17 communes et les 5 intercommunalités du territoire.

Elle s’explique par plusieurs facteurs : accès accru aux financements, montée en compétence des équipes locales, soutien renforcé du Département et des partenaires nationaux et européens.

Les dépenses sont largement orientées vers les infrastructures essentielles. En premier lieu, les écoles représentent encore près de 1/3 des investissements communaux. Il faut dire que le défi est majeur : chaque année, 1 500 élèves supplémentaires doivent être scolarisés.

La création de nouvelles classes, la réhabilitation des bâtiments existants et la modernisation des équipements représentent un chantier permanent pour les communes. D’autres postes prioritaires – comme la voirie, la gestion des eaux pluviales, l’éclairage public, ou encore la résorption de l’habitat insalubre – mobilisent également une part importante des budgets.

 

Le rôle grandissant mais encore fragile des intercommunalités

L’un des évolutions marquantes de la mandature 2020-2026 est l’émergence effective des intercommunalités. Créées seulement à partir de 2016, les EPCI de Mayotte ont désormais franchi une étape : en 2023, ils ont porté à eux seuls 1/3 de l’investissement du bloc communal.

Ce changement d’échelle s’appuie sur la structuration progressive des services, l’acquisition de matériel, et la formalisation de projets d’envergure, souvent à vocation économique ou environnementale.

On y retrouve des thématiques encore peu explorées jusqu’alors à l’échelle locale :

  • aménagement de plages,
  • construction d’offices de tourisme,
  • marchés de proximité,
  • cuisines centrales,
  • ou encore pontons de pêche.

Dans le secteur des transports, le projet Caribus porté par la CADEMA illustre la prise en main progressive de compétences stratégiques.

Toutefois, cette montée en puissance reste fragile : la jeunesse des EPCI se traduit encore par une forte mobilisation de ressources pour les conditions de travail internes (locaux, logiciels, recrutement).

 

Une mécanique financière à bout de souffle

Ce niveau d’investissement a un coût.

Au 1er janvier 2024, les indicateurs financiers des communes sont alarmants. Le fonds de roulement présente un déficit équivalent à 9 % des recettes de fonctionnement. La trésorerie est à son plus bas niveau depuis 10 ans.

Selon le chef du Service de Gestion Comptable de Mayotte, Stéphane Meunier, « chaque mois, une vingtaine de budgets présentent des difficultés suffisamment graves pour que nous soyons obligés de bloquer les factures afin de garantir le paiement des salaires ».

Cette tension s’explique par la combinaison de plusieurs facteurs.

Les montants investis ont doublé, mais les modes de financement n’ont pas suivi : les taux d’autofinancement sont passés de 19 % à 8 % entre les deux périodes 2014-2021 et 2022-2023, et le recours à l’emprunt a été divisé par deux (7 M€/an contre 14 M€/an auparavant). L’inflation a par ailleurs provoqué des décalages entre les coûts prévisionnels et les réalisations, conduisant à des décalages ou des annulations de projets.

 

Risque de rupture pour les projets à venir

Cette situation fragilise la poursuite de la dynamique engagée. Si les tensions sur la trésorerie perdurent, les communes pourraient être contraintes de geler une partie de leurs investissements. Ce serait un retour à la situation de 2014-2018, marquée par l’impossibilité de financer les chantiers faute de liquidités suffisantes.

Ce risque est d’autant plus réel que les équipements réalisés – notamment les écoles – génèrent désormais des charges de fonctionnement importantes : restauration, entretien, personnel, etc.

L’enjeu est donc double : préserver la capacité d’investir, tout en anticipant les charges récurrentes qu’impliquent les infrastructures en service. Sans planification financière rigoureuse, le risque d’effet ciseau est bien réel.

 

Quelles issues possibles pour 2025-2026 ?

Face à ce constat, plusieurs pistes se dessinent pour les deux dernières années de la mandature. D’abord, le renforcement des équipes d’ingénierie, tant en interne qu’en externe, est essentiel pour accélérer les montages de dossiers, améliorer la qualité des plans de financement, et réduire les délais.

Ensuite, l’optimisation des ressources passe par une meilleure gestion des subventions : selon Hairoudine Anzizi, « les avances ne sont parfois pas demandées, faute de suivi ». L’affectation d’un agent spécifique au recouvrement pourrait corriger cette fragilité.

Enfin, les outils de pilotage doivent être améliorés : tableaux de bord, comptabilité analytique, planification des décaissements, mutualisation des achats ou encore dialogue de gestion avec les services sont autant de leviers pour restaurer l’équilibre.

 


 

Investissements publics Mayotte

Ressource à consulter

Observatoire du bloc communal de Mayotte 2024 – AFD


 

L’effort d’investissement mené à Mayotte entre 2021 et 2023 est remarquable par son ampleur et sa finalité. Il répond à une nécessité incontestable : doter l’île d’infrastructures de base dans un contexte d’urgence sociale et démographique. Mais cette ambition, salutaire, repose sur une base financière aujourd’hui fragilisée.

La deuxième moitié de la mandature devra trouver le bon équilibre entre continuité des projets, consolidation des recettes et maîtrise des dépenses. Le rétablissement de la capacité d’autofinancement du bloc communal conditionnera sa capacité à poursuivre son développement.

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