MAYOTTE. après Chido : des logements bioclimatiques en auto-construction encadrée pour remplacer l’habitat informel

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auto-construction encadrée Mayotte

En décembre 2024, le cyclone Chido frappe Mayotte avec une violence inédite : 225 km/h de vents, 39 morts, près de 8 000 habitations endommagées. C’est le choc. Et aussi un tournant. Car ce désastre expose une réalité trop longtemps ignorée : la fragilité structurelle d’une grande partie du parc de logements, majoritairement auto-construit sans encadrement, souvent sur des terrains informels.

Dans ce contexte, l’EPFAM et Building For Climate proposent une nouvelle voie : l’auto-construction bioclimatique encadrée. Une stratégie à la fois technique, sociale et territoriale.

Pourquoi changer de paradigme ?

À Mayotte, l’habitat précaire domine les quartiers informels. Avant même le passage de CHIDO, plus de 70 % des logements étaient déjà construits sans permis ni norme, avec des matériaux de récupération. Le cyclone n’a fait que confirmer l’évidence : ces bâtiments ne résistent ni aux vents ni aux secousses sismiques. Pourtant, les habitants reconstruisent sur les mêmes terrains, avec encore moins de ressources.

Il faut donc repenser l’approche. L’objectif n’est pas d’éradiquer l’auto-construction, mais de l’encadrer, de la structurer, de l’outiller.

L’étude de pré-faisabilité menée à Doujani s’inscrit dans cette volonté : définir un modèle de logement résilient, adaptable, reproductible, où les habitants deviennent véritablement acteurs.

Ce changement de paradigme est aussi nécessaire au regard de la dynamique démographique. Mayotte accueille chaque année des milliers de nouveaux habitants, souvent en situation précaire, et les dispositifs classiques de logement social ne suffisent plus. Il devient donc indispensable de développer des solutions intermédiaires, capables de conjuguer accessibilité, régularité et résilience.

 

Le projet pilote à Doujani : une réponse technique innovante

Dans le quartier de Doujani, l’EPFAM projette un premier macro-lot de 50 à 60 logements en auto-construction encadrée. Les lots F1 à F4, ainsi que B2, sont ciblés.

Chaque parcelle, entre 100 et 150 m2, accueillera une structure modulaire préfabriquée de type 6×6 m ou 6×7 m sur R+1, superposable pour un ou deux foyers. Les extensions ultérieures seront strictement encadrées afin d’éviter les risques structurels liés à une densification incontrôlée.

Localisation des lots proposés comme site d’un projet pilote à Doujani.

Ce système repose sur une double logique : industrialisation du gros œuvre, participation active des habitants sur le second œuvre. Autrement dit, les structures porteuses seront livrées conformes aux normes parasismiques et paracycloniques, tandis que les habitants, formés dans des ateliers spécialisés, réaliseront les cloisons, menuiseries, réseaux intérieurs, enduits, etc. Ces formations couvrent l’ensemble des compétences du second œuvre, avec un accompagnement pédagogique et technique par des professionnels du bâtiment.

Ce modèle technique permet de contrôler la qualité structurelle, tout en réduisant les coûts grâce à l’auto-réalisation partielle. Il favorise aussi une meilleure appropriation de l’habitat par ses occupants, qui participent à chaque étape de la construction. Enfin, la constitution de coopératives locales pourrait encourager une économie circulaire et solidaire dans le secteur du BTP mahorais.

 

Un levier de transformation territoriale

L’intérêt de ce projet ne se limite pas au bâti. Il réinterroge le rapport au foncier, aux normes, aux droits d’usage. En proposant des baux emphytéotiques, l’EPFAM introduit une logique de foncier solidaire, adaptée à la régularisation progressive des quartiers informels. La reconstruction ne se fait pas en surplomb, mais en partenariat avec les habitants.

Cette démarche participative a déjà mobilisé les acteurs sociaux (MOUS, CCAS, associations locales), les élus, ainsi que l’AFD, l’OFS, Action Logement. Des workshops ont été menés sur site en janvier 2025, complétés par des enquêtes qualitatives. Cette phase de concertation vise à faire remonter les besoins, les attentes, mais aussi les blocages du terrain. La volonté affichée est claire : faire de la reconstruction une dynamique collective, structurante, à léchelle du territoire.

En intégrant les habitants dans la définition programmatique, le projet renforce aussi le lien social et la responsabilisation des futurs occupants. L’enjeu est d’instaurer une gouvernance partagée de l’habitat, qui puisse servir de référence pour d’autres opérations de même nature dans les outre-mer.

 


À consulter

auto-construction encadrée Mayotte

Étude de pré-faisabilité de logements bioclimatiques en auto-construction encadrée à Mayotte


 

Quels enjeux pour les professionnels du BTP et les collectivités ?

Pour les entreprises du BTP, cette approche impose de nouvelles compétences : production de modules conformes, encadrement de chantiers participatifs, coordination avec des dispositifs sociaux. Il faudra aussi penser des systèmes constructifs plus adaptés aux contraintes géographiques de Mayotte, notamment la construction en zones pentues et mal desservies. La question du transport des modules et de leur ancrage au sol est d’ailleurs un point critique.

Pour les architectes et bureaux d’études, c’est aussi une opportunité d’innover, d’imaginer des solutions réplicables dans d’autres zones à risques. Le projet invite à explorer de nouveaux modèles hybrides entre auto-construction, préfabrication et urbanisme réglementé. Il n’est pas exclu que cette logique fasse émerger à terme une nouvelle filière de compétences à Mayotte, en lien avec l’artisanat local et la formation professionnelle.

Du côté des collectivités, il s’agit de revoir les outils d’urbanisme et de foncier pour intégrer des formes souples, mais réglementées d’habitat. La planification à léchelle des macro-lots, le contrôle des extensions illégales, l’accès à l’eau et à l’assainissement deviennent des leviers essentiels. La démarche pourrait aussi inspirer d’autres territoires ultramarins confrontés à des aléas similaires.


 

 

En testant un modèle de reconstruction encadrée, Mayotte ne cherche pas seulement à réparer les dégâts du cyclone Chido. Elle tente d’inventer une autre manière de produire la ville, plus adaptée aux contraintes climatiques, sociales et foncières du territoire. La réussite de l’opération de Doujani pourrait faire école, à condition que les engagements techniques, financiers et humains soient maintenus sur le long terme. C’est là tout l’enjeu de ce chantier : bâtir durablement, avec et pour les habitants.

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