La façon dont on définit les besoins en logements est en train de changer de cap. Et pour cause : face aux bouleversements climatiques, à la raréfaction du foncier, à l’évolution des modes de vie et aux inégalités territoriales croissantes, les projections démographiques classiques ne suffisent plus.
Le simple calcul du nombre de logements à produire annuellement, souvent réduit à une moyenne nationale, ne permet plus de répondre aux réalités locales et aux exigences de la transition écologique.
C’est dans ce contexte que le programme de recherche « Besoins en logements à l’heure de la transition écologique » (BEL) a été lancé. Porté par un large collectif d’institutions publiques et coordonné par le PUCA, ce programme a pour ambition de repenser en profondeur les outils, les méthodes et les objectifs des politiques du logement. Il marque une tentative de rupture avec les schémas anciens pour intégrer pleinement les dimensions sociales, environnementales et territoriales dans l’évaluation des besoins.
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Un programme pas comme les autres
Piloté par le PUCA, en lien avec l’ANAH, l’ADEME, l’ANCT, la CNAF, la Caisse des Dépôts et d’autres partenaires publics, le programme BEL est avant tout une invitation à renouveler les grilles de lecture du logement. Il ne s’agit pas de produire un chiffre miracle, mais de mieux comprendre comment les besoins évoluent sous l’effet des crises environnementales, sociales, économiques, et des mutations culturelles.
Le programme adopte une approche systémique. Il s’appuie à la fois sur un appel à projets de recherche scientifique et sur la constitution d’une « communauté apprenante », un collectif d’acteurs de l’habitat, des territoires et de la transition écologique. Ensemble, ces deux volets visent à structurer une réflexion commune, outiller l’action publique, et proposer des mécanismes adaptés aux défis à venir.
L’originalité de BEL réside aussi dans sa capacité à mêler production de savoirs et transformation des pratiques. En misant sur l’interdisciplinarité et l’échange entre chercheurs et praticiens, il bouscule les cloisonnements habituels entre la recherche fondamentale, l’action publique et la réalité des territoires. Cette posture inédite vise à accélérer la convergence entre les exigences de la planification écologique et les contraintes opérationnelles du terrain.
Trois axes pour sortir des approches toutes faites
Repenser ce qu’est un besoin en logement
Le programme remet en question une évidence : le besoin en logement n’est pas une donnée brute, mais une construction politique et sociale. Il varie selon les territoires, les modes de vie, les aspirations, mais aussi les nouvelles réalités climatiques. La maison individuelle reste-t-elle un idéal universel ? Peut-on continuer à planifier sans prendre en compte les inégalités d’exposition aux risques ou les nouvelles pratiques d’habitat partagé ?
Ces interrogations prennent racine dans des phénomènes concrets : la généralisation du télétravail, le vieillissement de la population, la réduction des tailles de ménages, ou encore l’émergence de formes d’habitat réversibles ou collectifs.
BEL propose de les analyser non comme des tendances isolées, mais comme des signaux faibles de transformations profondes. C’est dans ce cadre que les notions de « sobriété foncière et immobilière » prennent tout leur sens, en interrogeant nos rapports au confort, à la surface et à l’ancrage territorial.
Il devient donc crucial de penser le logement non pas uniquement comme un objet de consommation ou un investissement, mais comme un support d’habiter adapté à des contextes changeants. La qualité d’usage, la réversibilité, la capacité à s’adapter à des rythmes de vie multiples sont autant de dimensions que le programme souhaite remettre au centre des politiques publiques.
Chiffrer autrement dans un monde incertain
Projection à +4°C, mobilité réduite, désertification de certains territoires : à l’heure des crises systémiques, les outils de planification classiques montrent leurs limites. Le programme invite à revisiter les méthodes de chiffrage, souvent fondées sur des tendances passées.
Il propose d’intégrer des incertitudes à travers des scénarios de ruptures, des modèles dynamiques et des projections adaptées aux enjeux locaux. L’analyse du stock de logements (vacance, sous-occupation, mal-logement) devient aussi centrale que celle des flux démographiques. BEL cherche ainsi à doter les décideurs d’instruments plus fins, pour mieux articuler les politiques d’habitat, d’urbanisme, de mobilité et d’équipement.
Cette redéfinition implique de repenser les outils d’aide à la décision et les modèles statistiques. Il ne s’agit plus simplement d’extrapoler les tendances d’hier, mais de tenir compte des transformations brutales : pandémies, chocs énergétiques, aléas climatiques, mouvements sociaux. Le programme appelle à une planification adaptative, fondée sur des données ouvertes, des retours d’expérience territoriaux et des dialogues renforcés entre acteurs.
Construire moins, transformer mieux
Troisième pivot du programme : changer notre manière de produire du logement. Finie l’hégémonie du neuf à tout prix. BEL promeut la réutilisation, la transformation, la densification douce et la réhabilitation comme nouvelles normes. Cela suppose un énorme virage pour les filières du BTP, les modèles économiques de l’immobilier, et les politiques fiscales liées au foncier.
Les friches urbaines, les immeubles vacants, les bureaux inoccupés deviennent autant de ressources potentielles. Mais leur requalification exige des compétences, des financements et des règles adaptées. C’est aussi une manière de relocaliser la production de logements, de réduire les émissions carbone, et de mieux répondre à des besoins différenciés.
Ce basculement oblige à repenser les chaînes de valeur, depuis la programmation urbaine jusqu’à la fiscalité des mutations. Il interroge aussi la manière dont les politiques publiques accompagnent l’évolution des compétences, la formation des artisans, et la diffusion d’innovations adaptées aux bâtis existants. À terme, c’est une culture de la transformation qui doit émerger, à l’opposé d’une logique d’extension continue du parc immobilier.
Une dynamique collective pour faire bouger les lignes
Ce qui distingue BEL d’un simple programme de recherche, c’est sa dimension collaborative. Le projet s’accompagne d’une série de séminaires et de groupes de travail où se croisent chercheurs, acteurs publics, bailleurs, urbanistes, représentants d’ONG, élus locaux et techniciens des collectivités.
Cette « communauté apprenante » ne se contente pas d’échanger des savoirs : elle coproduit des analyses, mutualise des données et accompagne des projets concrets. C’est l’une des grandes originalités de BEL : faire de la recherche un levier de changement institutionnel et territorial, au service d’une action publique plus adaptative.
Dans cette logique, BEL ne produit pas seulement des rapports ou des publications scientifiques. Il cherche à créer des synergies, à inspirer les révisions de documents d’urbanisme, à guider les programmations territoriales. En valorisant les retours d’expérience et les innovations de terrain, il contribue à la constitution d’une intelligence collective du logement durable.
Appel à projets : les candidatures sont ouvertes jusqu’au 22 août 2025
Le programme BEL s’accompagne d’un appel à projets ouvert aux équipes de recherche interdisciplinaires, académiques ou non. Les projets retenus, d’une durée maximale de 36 mois, pourront être financés jusqu’à 130 000 euros TTC.
Outre la qualité scientifique, l’appel met l’accent sur la capacité des équipes à travailler en lien avec les territoires, à dialoguer avec les acteurs de l’habitat, et à contribuer aux activités collectives du programme. Un webinaire est prévu le 22 avril pour faciliter les contacts entre porteurs de projet et partenaires locaux.
L’appel encourage aussi les approches mixtes, associant à la fois méthodes quantitatives, qualitatives, analyses spatiales, et dispositifs de recherche-action. Cette ouverture vise à favoriser des résultats exploitables, communicables, et susceptibles d’être relayés par les collectivités, les élus et les acteurs du terrain.
À Consulter : Programme « Besoins en logements à l’heure de la transition écologique » (BEL)
BEL ne vise pas uniquement à produire des données ou à faire avancer la recherche. Il entend participer à une mutation profonde de nos référentiels collectifs : passer d’une logique de rattrapage quantitatif à une approche écologique, territorialisée et plus juste du logement.
C’est toute la chaîne de l’habitat qui est invitée à se repenser : de la manière dont on chiffre les besoins, jusqu’aux leviers fiscaux et fonciers qui orientent l’acte de construire. Dans un contexte de plus en plus contraint, où les attentes sociétales se heurtent aux limites physiques de la planète, c’est peut-être là que se joue l’avenir de la planification urbaine en France.