La situation critique du BTP en Guadeloupe..L’interview de José Gaddarkhan

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« Sans chantiers rapidement lancés, le BTP en Guadeloupe va droit dans le mur. »

Le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP) en Guadeloupe traverse une période particulièrement difficile. Entre retards de projets, hausse des coûts, lourdeurs administratives et crise des infrastructures, les entreprises du secteur peinent à maintenir leur activité. José Gaddarkhan, président de la Fédération Régionale du Bâtiment et des Travaux Publics (FRBTP) Guadeloupe, fait le point sur les défis auxquels les entreprises sont confrontées et les perspectives pour 2024 et 2025.

Bâtisseurs : Quel est votre constat sur la situation actuelle du BTP en Guadeloupe ?

José GADDARKHAN : La situation ne s’est pas améliorée, bien au contraire, elle continue de se détériorer. Certes, il y a des financements qui sont mis en place, notamment à travers Action Logement et d’autres dispositifs, mais les entreprises restent en grande difficulté. Nous faisons face à des retards considérables dans le lancement des projets, liés à des blocages techniques et administratifs, ainsi qu’à des problèmes comptables.

Un des problèmes majeurs, c’est que les coûts d’objectifs des bailleurs sociaux n’ont pas été actualisés. Ces estimations datent parfois de 2019, et entre-temps, nous avons subi les impacts de la crise sanitaire, de la guerre en Ukraine et de l’augmentation générale des coûts des matériaux. Résultat : lorsque les entreprises répondent aux appels d’offres, elles se retrouvent hors budget, ce qui les empêche de décrocher des contrats.

À l’approche de 2025, êtes-vous optimiste quant à une amélioration de la situation ?

Je suis préoccupé. Nous pouvons avoir tous les financements que nous voulons, si les opérations ne démarrent pas à cause des blocages administratifs et techniques, cela ne sert à rien. Nous avons un problème fondamental d’adaptabilité des critères de financement et de gestion des délais.

Prenons l’exemple des infrastructures : en Guadeloupe, les problématiques de l’eau et de l’assainissement sont devenues des freins à la construction. Beaucoup de projets sont bloqués faute d’autorisations, ce qui retarde encore plus le démarrage des chantiers. On nous parle d’investissements de plusieurs milliards, mais combien de temps faudra-t-il avant que ces fonds ne soient réellement injectés dans l’économie locale ? Pendant ce temps, les entreprises du BTP continuent de disparaître, faute de travail.

Comment comparez-vous la situation en Guadeloupe à celle des autres territoires d’Outre-mer ?

Nous partageons des problématiques similaires avec la Martinique. En revanche, la Guyane est dans une dynamique différente, car les besoins en construction y sont beaucoup plus élevés et les marchés y sont plus nombreux.

À La Réunion, nous constatons aussi une baisse d’activité, et pour Mayotte, la situation est particulièrement critique. Nos entreprises n’ont pas la capacité d’attendre des années pour voir des projets aboutir, et c’est un problème qui touche plusieurs territoires.

Quels sont les impacts concrets de cette situation pour les entreprises locales ?

L’impact est dramatique. Les entreprises du BTP n’ont pas les moyens d’attendre des années que les projets se concrétisent. Beaucoup de petites structures ferment leurs portes, et nous voyons disparaître des compétences précieuses dans le secteur.

Un autre problème majeur est lié aux charges sociales et fiscales. La CGSS (Caisse Générale de Sécurité Sociale) a mis en difficulté de nombreuses entreprises en les assignant directement au tribunal de commerce pour des retards de paiement, sans forcément chercher de solutions adaptées. J’ai déjà interpellé les autorités sur ce sujet, car si nous ne trouvons pas d’alternative, nous allons assister à une véritable hécatombe dans le secteur du BTP.

« Nous avons des financements annoncés, mais tant que les projets restent bloqués par des lenteurs administratives et des infrastructures insuffisantes, nos entreprises du BTP continueront à souffrir. »

Les infrastructures publiques sont-elles un facteur aggravant ?

Oui, clairement. L’eau, l’assainissement et la gestion des déchets sont des problématiques majeures en Guadeloupe. Nous avons énormément de mal à obtenir des permis de construire à cause des retards dans la modernisation des infrastructures. Si vous voulez construire un immeuble et que le réseau d’assainissement ne suit pas, votre projet est immédiatement bloqué.

Nous avons aussi un problème de lenteur dans les décisions. On annonce des investissements colossaux, mais ces fonds prennent des années à être réellement injectés dans l’économie. Pendant ce temps, nos entreprises attendent et, parfois, ne survivent pas à ces délais interminables.

Avec Philippe Jock, président CCI Martinique

Quelles solutions préconisez-vous pour redynamiser le secteur du BTP en Guadeloupe ?

Il faut simplifier et accélérer les processus administratifs pour permettre aux entreprises d’accéder plus rapidement aux marchés publics et privés. Nous avons besoin de décisions concrètes et rapides. L’argent est là, mais il ne circule pas car nous restons englués dans des lourdeurs administratives qui retardent tout.

Il est également nécessaire d’actualiser les prix des appels d’offres pour qu’ils reflètent la réalité du marché. Les entreprises du BTP ne peuvent pas travailler à perte. Si les coûts des matériaux ont explosé, il faut que les donneurs d’ordres en tiennent compte pour éviter que les projets ne soient systématiquement annulés ou retardés.

Enfin, il faut un accompagnement plus adapté aux petites entreprises, notamment pour leur permettre de mieux gérer leurs obligations fiscales et sociales. Sans un soutien fort de l’État et des collectivités locales, le secteur du BTP en Guadeloupe risque de s’enfoncer davantage dans la crise.

Quel message souhaitez-vous adresser aux acteurs du BTP et aux décideurs politiques ?

Il est urgent d’agir. Nos entreprises ont besoin de chantiers et de conditions de travail viables. Nous avons un rôle essentiel dans le développement du territoire, et si nous ne trouvons pas de solutions rapidement, ce sont non seulement des entreprises qui fermeront, mais aussi des milliers d’emplois qui seront menacés.

Nous devons travailler ensemble pour reconstruire un secteur solide, viable et compétitif. La Guadeloupe ne peut pas se permettre de perdre son tissu économique du BTP. Il faut accélérer la mise en œuvre des projets, revoir les méthodes de financement et surtout, écouter les professionnels du terrain qui savent où se situent les vrais problèmes.

José Gaddarkhan tire la sonnette d’alarme sur une situation critique qui touche le secteur du BTP en Guadeloupe. Retards de projets, charges sociales écrasantes, prix des appels d’offres obsolètes : autant de freins qui empêchent les entreprises de prospérer. Alors que des milliards d’euros sont annoncés pour soutenir l’activité, encore faut-il que ces fonds soient utilisés efficacement et rapidement. Sans réformes immédiates, le secteur du BTP risque de sombrer, mettant en péril l’économie locale et l’emploi. Les prochains mois seront décisifs pour l’avenir de la construction en Guadeloupe.

Propos recueillis par Philippe PIED

Avec Koumaran Pajaniradja, directeur général Action Logement Immobilier

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