Le secteur du BTP en Guadeloupe aborde 2025 avec un visage contrasté. D’un côté, des indicateurs témoignent d’un regain d’activité : les logements mis en chantier repartent à la hausse, certains segments de locaux privés s’emballent, et les ventes de matériaux affichent une forme de stabilité.
Mais en arrière-plan, des tensions bien réelles fragilisent cette dynamique : effondrement des autorisations de construire, commande publique faiblement attribuée, recul des créations d’entreprises. Si les données semblent dessiner un début de reprise, les professionnels du secteur ont peu de raisons de crier victoire.
La note de conjoncture n°15 (mars 2025) du CERC Guadeloupe, propose une lecture approfondie des signaux d’alerte et des poches de résistance qui façonnent l’horizon du BTP local.
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Des chantiers en hausse… mais sous tension réglementaire
La première impression qui ressort des chiffres de la construction résidentielle est plutôt positive : 1 900 logements ont été mis en chantier sur les douze mois écoulés à fin janvier 2025, soit une hausse de 5,7 % par rapport à l’année précédente. Cette croissance confirme l’amorce de reprise entrevue fin 2024. Mais derrière cette hausse globale se cache une dynamique très segmentée.
Les logements collectifs, y compris les résidences, bondissent de 34 %, tandis que les logements individuels groupés progressent de 22,5 %. En revanche, les individuels purs chutent de 12,5 %. Cette répartition suggère un déplacement des programmes vers des projets plus denses, peut-être plus adaptés aux contraintes foncières et aux objectifs de logement social.
Mais le problème se situe ailleurs : les autorisations de construire, indicateur précurseur par excellence, plongent de 21,4 %. Dans le détail, les logements collectifs autorisés reculent de 43,8 %, les individuels purs de 18 % et les groupés stagnent à +6 %. Ce décalage entre ce qui est lancé et ce qui est autorisé interroge sur la soutenabilité de la reprise. Le stock de projets à venir se raréfie.
Plusieurs hypothèses peuvent être avancées : retard administratif dans les délais d’instruction, frilosité des maîtrises d’ouvrage, ou simple effet de rattrapage post-pandémie. Toujours est-il qu’un tel écart entre chantiers lancés et projets autorisés préfigure un risque de creux d’activité dès 2026, à défaut d’une relance réglementaire ou financière.
CERC GUADELOUPE – NOTE DE CONJONCTURE N°15 / MARS 2025
Locaux : essor privé, recul public
C’est l’un des contrastes les plus marquants de cette conjoncture : les locaux autorisés à la construction augmentent (+3,9 %), mais ceux effectivement commencés chutent lourdement (-33,8 %). Cette dissociation, qui s’inscrit dans une tendance amorcée dès le second semestre 2024, reflète une prudence opérationnelle malgré des intentions affichées.
Le détail par secteur confirme cette lecture : les entrepôts enregistrent une envolée de +108,7 % en autorisations, les bureaux de +30,4 %, les commerces de +35,8 %. Mais c’est essentiellement du côté du secteur privé non agricole que ces dynamiques s’expriment (+29,6 % sur l’ensemble).
Le secteur public, lui, reste en retrait : -8,2 % d’autorisations, et surtout -31,6 % de locaux commencés. L’investissement public se contracte visiblement, accentuant le décalage avec un secteur privé plus offensif.
Autre signal d’alerte : les locaux industriels commencés plongent de 44,9 %, les commerces de 60,7 %, et les autres locaux (non identifiés) de 48,5 %. Là encore, l’écart entre la projection et la réalisation pose question : les autorisations sont-elles devenues plus théoriques que réelles ? Ou bien assiste-t-on à des annulations en cascade de projets fragiles ?
Matériaux : une stabilité qui masque une fragilité ?
Les ventes de ciment, baromètre classique de l’activité bâtie, donnent l’illusion d’une stabilité. Sur 12 mois glissants à fin février 2025, elles progressent légèrement (+0,02 %), portées par la vente en vrac (+0,27 %), tandis que le ciment en sac recule à peine (-0,4 %).
Mais sur la période plus courte des trois derniers mois, la tendance est inversée : -1,85 % au total, -2,7 % pour le vrac. Ce repli, même modéré, coïncide avec la chute des mises en chantier de locaux. Il pourrait signaler un ajustement à la baisse de la demande ou une tension sur les approvisionnements.
Faut-il y voir une pause ponctuelle ou un précurseur d’un ralentissement plus global ? La question reste ouverte, mais la vigilance s’impose, d’autant que le ciment est souvent le premier indicateur à bouger en cas de retournement.
Entreprises du BTP : rebond timide ou simple respiration ?
Le tissu entrepreneurial du BTP montre lui aussi des signes contrastés. Sur les douze derniers mois, le nombre de créations d’entreprises recule de 3,1 %, une baisse modérée mais persistante. Ce mouvement touche aussi bien les micro-entrepreneurs que les structures classiques.
Cependant, un petit rebond est visible au quatrième trimestre 2024 (+156 créations), rompant avec la tendance négative des trimestres précédents. Signe d’un regain de confiance ? Peut-être. Mais les chiffres montrent aussi que les créations hors micro-entrepreneurs chutent de 18,3 % sur la même période. En clair, ce sont surtout les petites structures, plus réactives, qui se lancent. Les acteurs plus lourds, eux, restent sur la réserve.
Cette configuration traduit une certaine incertitude : l’environnement reste trop instable pour favoriser l’installation d’entreprises ambitieuses ou de projets de taille intermédiaire.
Commande publique : un levier affaibli, un secteur en attente
Dernier volet, et non des moindres : la commande publique. Elle reste en 2025 un point de blocage structurel pour le BTP guadeloupéen. Certes, le nombre d’appels d’offres publiés progresse légèrement (+2,5 %), mais le taux d’attribution est en baisse : seulement 5,8 % des appels publiés ont abouti à un marché, contre 9,1 % un an plus tôt.
Certaines filières sont particulièrement touchées. En 2024, seuls 3 % des appels d’offres pour des logements sociaux ont été attribués. Pour les travaux parasismiques, la part est de 11 %. Ces chiffres traduisent une inertie importante dans le pilotage des projets publics, que ce soit au niveau de la conception, du financement ou de l’attribution des marchés.
Ce faible taux d’attribution freine l’activité des entreprises, en particulier les TPE et PME qui dépendent de la commande publique. Il crée aussi une incertitude sur le rythme des investissements publics dans les secteurs-clés comme l’habitat, l’éducation ou la résilience aux risques naturels.