L’artificialisation des sols est un défi majeur pour la Martinique. Face à l’urbanisation croissante et ses impacts sur les espaces naturels, agricoles et forestiers (ENAF), l’île doit repenser ses modèles d’aménagement pour préserver son équilibre écologique et la qualité de vie de ses habitants.
Dans ce contexte, la Loi Climat et Résilience fixe des objectifs ambitieux : atteindre le Zéro Artificialisation Nette (ZAN) d’ici 2050 et réduire de moitié la consommation foncière dès 2031.
Pour évaluer les progrès et ajuster les politiques locales, l’Adduam (Association pour le Développement Durable et Urbain de l’Architecture et du Paysage en Martinique) a publié en octobre 2024 trois rapports d’analyse.
Ces études, centrées sur les trois intercommunalités de l’île – CACEM, Cap Nord et Espace Sud – révèlent des trajectoires foncières contrastées, dictées par les réalités économiques, démographiques et politiques de chaque territoire.
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Des trajectoires foncières inégales
L’artificialisation des sols varie considérablement entre les territoires martiniquais. Chaque intercommunalité a ses propres dynamiques d’urbanisation, influencées par la démographie, le développement économique et les politiques locales.
1. CACEM : 407 hectares consommés en dix ans
La CACEM (Communauté d’Agglomération du Centre de la Martinique) regroupe Fort-de-France, Schœlcher, Le Lamentin et Saint-Joseph. Sur la période 2011-2022, elle a consommé environ 407 hectares d’espaces naturels, agricoles et forestiers (ENAF). Ce chiffre semble élevé compte tenu de la baisse continue de la population dans cette zone, qui est passée de 164 944 à 150 038 habitants entre 2010 et 2021.
Facteurs explicatifs :
- Expansion résidentielle : Malgré le recul démographique, le parc de logements a connu une nette augmentation, avec près de 10 000 nouveaux logements autorisés ou commencés. Cette expansion s’explique en partie par la baisse de la taille des ménages, qui entraîne une multiplication des demandes individuelles en logement.
- Taux de vacance élevé : En 2021, 17,4 % des logements étaient vacants, soit une augmentation de près de 39 % par rapport à 2010. Ce phénomène, couplé à la dédensification, complique les efforts de limitation de l’artificialisation.
- Pression foncière liée aux infrastructures : La CACEM, en tant que zone centrale de l’île, reste un pôle économique et administratif, nécessitant de nouveaux équipements et infrastructures. Ces besoins contribuent à l’urbanisation de terrains non encore artificialisés, en particulier pour les zones commerciales et industrielles.
L’évolution observée impose une réévaluation des stratégies de densification et de réhabilitation des zones déjà construites pour éviter une aggravation de l’imperméabilisation.
2. Cap Nord : une progression plus modérée
Le Cap Nord regroupe 18 communes, dont certaines, comme Le Robert, Grand’Rivière ou Le Marigot, ont une forte vocation agricole et naturelle. Ce territoire affiche une consommation de 454 hectares d’ENAF entre 2011 et 2022, soit une moyenne annuelle de 38 hectares. Bien que le chiffre soit modéré en comparaison à l’Espace Sud, des disparités importantes apparaissent entre les communes.
Points saillants :
- Baisse démographique accentuée : Le territoire a perdu 12 912 habitants en onze ans, une tendance plus marquée que dans les autres intercommunalités. Toutefois, certaines communes, comme Bellefontaine et Case-Pilote, résistent à cette tendance grâce à une attractivité locale spécifique.
- Concentration de la consommation foncière : Près de 27 % de la consommation totale d’espaces est enregistrée dans la commune du Robert. Cette dernière est un centre d’activité important, mais peine à équilibrer son développement avec des politiques de préservation foncière.
- Faible densification : Le Cap Nord reste largement marqué par un habitat individuel dispersé. Les constructions en zones agricoles ou naturelles représentent une part significative de l’artificialisation.
Malgré ces enjeux, la consommation annuelle d’espaces montre des signes de stabilisation, ce qui offre des perspectives positives pour une meilleure maîtrise de l’artificialisation à moyen terme.
3. Espace Sud : 760 hectares artificialisés
L’Espace Sud englobe 12 communes, dont Ducos, Rivière-Salée et Le Marin. Ce territoire est particulièrement dynamique en termes de développement économique et résidentiel. Entre 2011 et 2022, il a consommé environ 760 hectares d’ENAF, soit plus du double de la consommation enregistrée dans le Cap Nord. Cette tendance s’explique par plusieurs facteurs structurels.
Facteurs déterminants :
- Croissance résidentielle diffuse : L’Espace Sud attire de nombreux projets immobiliers, notamment sous forme de maisons individuelles. Près de 65 % des nouvelles constructions sont de ce type, ce qui complique la densification des zones déjà urbanisées.
- Rôle des communes majeures : Les communes de Ducos et du François concentrent à elles seules 27,1 % de la consommation d’espaces du territoire. Ce dynamisme est principalement lié à la proximité des pôles d’activité et des infrastructures de transport.
- Pression touristique : Le développement d’infrastructures hôtelières et de loisirs contribue également à l’imperméabilisation des sols, en particulier dans les zones littorales, fortement convoitées.
Cependant, des efforts sont en cours pour limiter cette expansion. Depuis 2011, le rapport observe une légère baisse de la consommation annuelle d’espaces naturels, indiquant une meilleure prise en compte des enjeux environnementaux dans les documents de planification.
Les trois intercommunalités présentent donc des trajectoires distinctes :
- La CACEM se heurte à une contradiction entre déclin démographique et expansion foncière.
- Le Cap Nord bénéficie d’une relative modération mais doit renforcer la densification et la répartition équilibrée du développement.
- L’Espace Sud, en pleine expansion, doit mieux encadrer la construction résidentielle et les projets touristiques pour maîtriser son artificialisation.
Ces constats illustrent l’importance de politiques adaptées et différenciées pour chaque territoire, afin de répondre aux objectifs de sobriété foncière fixés par la Loi Climat et Résilience.
Pourquoi cette artificialisation galopante ?
L’urbanisation n’est pas un phénomène isolé. La croissance démographique de la Martinique entraîne une demande croissante en logements, infrastructures et services. Les grandes infrastructures, telles que les zones commerciales et les routes, contribuent à l’imperméabilisation des sols. Par ailleurs, dans des régions attractives comme le Sud, l’essor du tourisme a entraîné des aménagements intensifs, parfois au détriment de l’environnement.
Les rapports de l’Adduam soulignent également que peu de surfaces artificialisées ont été « désartificialisées » entre 2000 et 2017, ce qui complique la trajectoire vers le Zéro Artificialisation Nette (ZAN).
Un cadre législatif renforcé pour inverser la tendance
La Loi Climat et Résilience impose désormais des obligations claires aux intercommunalités : produire des rapports triennaux sur la consommation foncière et intégrer des objectifs de sobriété foncière dans leurs documents d’urbanisme (SCoT, PLU). Ces rapports, comme ceux récemment publiés par l’Adduam, permettent de poser des diagnostics précis et d’orienter les révisions nécessaires. Il s’agit non seulement de limiter l’artificialisation future, mais aussi de promouvoir la renaturation des sols imperméabilisés.
Quels enjeux pour l’avenir ?
La sobriété foncière est plus qu’un objectif technique : c’est une nécessité environnementale. La disparition des espaces naturels perturbe les cycles de l’eau, accélère la perte de biodiversité et aggrave les risques naturels. Les collectivités martiniquaises devront innover pour concilier développement économique et préservation des ressources. Parmi les pistes possibles, on peut citer :
- La densification des zones déjà urbanisées,
- La reconversion des friches industrielles et commerciales,
- L’adoption de matériaux perméables dans les constructions futures.
Des révisions attendues des plans d’urbanisme
Chaque EPCI devra réviser son Schéma de Cohérence Territoriale (SCoT) dans les années à venir pour intégrer ces nouvelles exigences. Cela suppose une meilleure coordination entre les élus, les urbanistes, les promoteurs et les acteurs de la société civile. Ces efforts collectifs seront déterminants pour atteindre les objectifs du ZAN d’ici 2050. Les chiffres actuels servent désormais de repères pour suivre les progrès à venir.
Les trois rapports de l’Adduam sur l’artificialisation des sols au sein des trois EPCI montrent clairement que la Martinique n’est pas sur une trajectoire uniforme en matière d’artificialisation des sols. Si le Cap Nord semble mieux maîtriser son développement, la CACEM et l’Espace Sud font face à des défis plus complexes.
Dans tous les cas, l’enjeu est de taille : préserver les ressources naturelles de l’île tout en assurant un développement durable. Pour y parvenir, les intercommunalités devront renforcer leurs stratégies de planification et adopter une gestion plus sobre du foncier.