Dans un contexte où la pollution de l’air reste responsable de 40 000 décès chaque année en France, la question n’est plus de savoir si elle doit être prise en compte dans l’aménagement urbain, mais comment?. Avec le durcissement des seuils réglementaires européens d’ici 2030, les collectivités et les professionnels du BTP se retrouvent en première ligne.
C’est dans ce cadre que l’ADEME publie un guide opérationnel conçu pour intégrer la qualité de l’air dans chaque étape des projets urbains. Intitulé « Intégrer la qualité de l’air dans les projets d’aménagement urbain », ce document s’appuie sur une méthode concrète expérimentée sur le terrain : la méthode MODELAIRURBA.
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Pollution de l’air : un enjeu concret, pas une abstraction
Si les politiques climatiques se concentrent souvent sur les émissions de gaz à effet de serre, la pollution de l’air constitue quant à elle un enjeu immédiat, sanitaire, mesurable, et fortement localisé. Les effets sont connus : troubles respiratoires, maladies cardiovasculaires, impact sur le développement de l’enfant, aggravation des pathologies existantes.
Ce sont principalement les zones urbaines denses, les quartiers situés à proximité des grands axes routiers et les publics vulnérables (enfants, personnes âgées, femmes enceintes) qui en subissent les conséquences.
Le trafic routier, en particulier les véhicules diesel, reste la principale source de pollution urbaine, devant le chauffage au bois et certaines activités industrielles. Et c’est bien dans ces zones que les dépassements de seuils réglementaires sont les plus fréquents. D’après le guide, les niveaux moyens de NO2 relevés à proximité des routes peuvent être 2 fois plus élevés qu’en fond urbain.
La simple implantation d’un bâtiment peut donc accroître ou réduire significativement l’exposition d’une population à la pollution. D’où la nécessité d’une méthode pour intégrer ces paramètres dès la conception des projets.
MODELAIRURBA : une méthode pensée pour l’action
Le guide de l’ADEME ne se limite pas à énoncer des constats. Il propose une méthode concrète, testée dans le cadre d’une étude pilote en Seine-Saint-Denis, sur les communes de Saint-Denis et La Courneuve. Baptisée MODELAIRURBA, cette méthode vise à intégrer les enjeux de qualité de l’air dans chaque étape d’un projet urbain, de la programmation à l’exploitation.
Son originalité repose sur une approche appelée ERP2I : Éviter, Réduire, Protéger, Inciter, Informer. Cette déclinaison enrichit la classique séquence réglementaire ERC (Éviter, Réduire, Compenser) utilisée dans les évaluations environnementales. Ici, l’objectif est double : réduire les émissions à la source et limiter l’exposition des habitants à la pollution résiduelle.
Par exemple :
- Éviter certaines sources de pollution en restreignant l’accès des véhicules polluants ou en favorisant les mobilités douces ;
- Réduire l’exposition en augmentant la distance entre les logements et les axes routiers, ou en favorisant la dispersion des polluants grâce à la morphologie urbaine ;
- Protéger les publics sensibles via des choix architecturaux (implantation des ouvertures, qualité de l’enveloppe, ventilation) ;
- Inciter à des comportements adaptés grâce à du mobilier urbain, de la signalétique ou des aménagements extérieurs adaptés ;
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Informer les usagers à travers des dispositifs de suivi, de monitoring ou des outils pédagogiques.
Cette méthode repose sur une articulation fine entre urbanisme, architecture, ingénierie de la qualité de l’air et participation locale.
Comment l’appliquer dans un projet : le guide pas à pas
Le guide détaille cinq phases d’application qui suivent la chronologie d’un projet urbain classique. À chaque étape, il fournit des outils, des exemples et des conseils concrets pour intégrer la qualité de l’air de façon pertinente et réaliste.
Phase 1 – Programmation et études préalables
L’intégration commence très tôt, dès l’analyse de site. On identifie les sources d’émission (routes, industries, chauffage), on croise les données des AASQA locales avec les documents d’urbanisme existants (PLUi, PCAET, OAP), et on complète par une campagne de mesures in situ (NO2, PM10, PM2,5). Cette phase s’appuie aussi sur des modélisations 3D de la pollution de l’air, permettant de cartographier finement les concentrations et d’objectiver les zones les plus exposées.
Phase 2 – Conception du projet urbain
Sur la base du diagnostic initial, les urbanistes et architectes développent plusieurs scénarios d’aménagement. Chaque version est testée grâce à la modélisation 3D pour vérifier son impact sur l’exposition future des populations. Le projet le plus protecteur est retenu. L’idée est d’éviter la surexposition sans renoncer à la densification, en optimisant la forme bâtie, la trame végétale, la localisation des équipements publics et la nature des matériaux.
Phase 3 – Études opérationnelles
Les prescriptions retenues sont intégrées aux documents de cadrage du projet (plans guides, CPAUPE, fiches de lots, cahiers de cession…). Cette phase garantit que les ambitions de qualité de l’air ne restent pas au stade des intentions, mais deviennent opposables dans les procédures et réalisables par les futurs maîtres d’œuvre.
Phase 4 – Exécution des travaux
Le guide préconise un encadrement des émissions pendant le chantier : limitation des poussières, charte de chantier propre, contrôle des engins polluants. Ce volet est souvent sous-estimé alors qu’il impacte directement les riverains.
Phase 5 – Exploitation
Enfin, certains leviers sont activables une fois les bâtiments livrés : installation de capteurs, vérification du bon fonctionnement des systèmes de ventilation, formation des usagers, dispositifs d’information à l’échelle du quartier.
Le message est clair : la qualité de l’air ne s’arrête pas à la livraison. Elle s’inscrit dans le temps long de l’usage.
Un retour d’expérience qui a fait ses preuves
Ce guide n’est pas un exercice théorique. Il s’appuie sur une expérimentation menée entre 2020 et 2023 sur deux secteurs urbains proches d’infrastructures routières majeures. À Saint-Denis, Porte de la Chapelle, et à La Courneuve, Six-Routes, des modélisations détaillées ont permis de réorganiser la programmation urbaine, d’adapter les implantations de bâtiments, et de réduire les niveaux d’exposition anticipés.
À la suite de ces résultats, l’établissement public Plaine Commune a décidé de généraliser la méthode à 11 projets urbains, dont plusieurs ZAC et opérations de renouvellement urbain (NPNRU). Cette stratégie a été intégrée dans la révision des documents cadres du territoire. Le guide fournit des éléments concrets de cette démarche, utiles pour toute collectivité souhaitant s’en inspirer.
Ce que les collectivités et les pros du BTP doivent retenir
Ce guide n’impose pas une nouvelle norme, mais propose un cadre méthodologique clair pour anticiper les obligations à venir et concevoir des projets plus responsables. Il montre qu’il est possible de concilier densité urbaine, qualité de vie et protection sanitaire.
Les professionnels de l’aménagement disposent désormais :
- d’une méthode reproductible, déjà mise en œuvre avec succès,
- d’outils de diagnostic et de modélisation utilisables sur des territoires variés,
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d’un cadre pour intégrer les enjeux de qualité de l’air dans les documents de projet.
L’ADEME propose d’ailleurs un accompagnement aux collectivités intéressées, à travers ses appels à projets et ses dispositifs de soutien technique.
Intégrer la qualité de l’air dans les projets d’aménagement urbain