Dans un contexte de tensions politiques entre le Sénat et l’Assemblée nationale, le rapport d’information n°1270 présenté le 9 avril 2025 par les députées Sandrine Le Feur (EPR-Finistère) et Constance de Pélichy (Liot-Loiret) réaffirme les objectifs de la loi Climat et Résilience : réduire de moitié la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers (ENAF) à l’horizon 2031 et atteindre le « zéro artificialisation nette » (ZAN) en 2050. Face aux critiques sur la complexité du cadre juridique et à la pression foncière croissante, ce document parlementaire propose des ajustements concrets pour garantir une mise en œuvre plus efficace et plus lisible du ZAN dans les territoires.
Une divergence sur l’échéance 2031 mais un objectif commun
Les rapporteures partagent une même ambition de sobriété foncière mais divergent sur le rythme. Sandrine Le Feur défend le maintien de l’échéance intermédiaire à 2031, jugeant qu’un troisième report nuirait à la crédibilité de la politique publique. Constance de Pélichy plaide, elle, pour un décalage à 2034 afin de mieux intégrer les spécificités locales, en particulier dans les territoires ruraux ou Outre-mer, où les contraintes foncières et administratives ralentissent les dynamiques de révision des documents d’urbanisme.
Ce report permettrait, selon les estimations gouvernementales, de dégager une capacité supplémentaire de 37 500 hectares au profit des territoires. Le texte parlementaire recommande également de prolonger jusqu’en 2044 le mode de calcul actuel basé sur la consommation d’ENAF, avant d’adopter une mesure plus fine de l’artificialisation réelle, via des données fournies par l’IGN et le Cerema. Cette transition méthodologique vise à offrir aux collectivités un outil de suivi plus précis et harmonisé.
Fiscalité dissuasive : mettre fin aux incitations à artificialiser
Le document met en lumière une incohérence persistante dans le système fiscal actuel : certaines incitations encouragent indirectement l’artificialisation des sols.
Pour y remédier, les auteures suggèrent la suppression de plusieurs exonérations fiscales, telles que celles appliquées aux constructions nouvelles ou à certaines composantes de la taxe d’aménagement (entrepôts, hangars, parkings couverts, premiers mètres carrés d’une construction). Ces avantages, historiquement conçus pour soutenir la construction, sont désormais jugés incompatibles avec les objectifs environnementaux actuels.
Le dispositif de taxe d’aménagement ferait l’objet d’un renforcement notable, avec une possible hausse du taux maximal de 5 % à 10 %, et la création d’un taux spécifique jusqu’à 50 % pour les aménagements réalisés sur des terrains jusqu’alors naturels ou agricoles. Ces ajustements ont pour but d’orienter les investissements vers les zones déjà urbanisées et d’éviter la consommation excessive de foncier brut.
Par ailleurs, l’élargissement de la taxe sur les friches commerciales aux friches industrielles, ainsi que l’application d’une fiscalité différenciée sur les surfaces logistiques et parkings selon leur localisation et leur emprise, figurent parmi les leviers proposés.
Enfin, une réforme de la taxation des plus-values foncières est préconisée, avec la suppression des exonérations selon la durée de détention et une taxation plus élevée en cas de revente spéculative. Cette orientation vise à mieux encadrer la valorisation excessive des terrains et à limiter la rétention foncière.
Fiscalité incitative : valoriser les sols préservés et le recyclage urbain
En complément des mesures restrictives, les propositions mettent l’accent sur des mécanismes d’encouragement à la préservation des sols. L’objectif est de revaloriser économiquement les espaces naturels, agricoles et forestiers par le biais d’exonérations fiscales ciblées.
Il est ainsi recommandé de renforcer les exonérations de taxe foncière sur les ENAF engagés dans des baux environnementaux ou des obligations réelles environnementales (ORE), ainsi que d’exonérer d’impôt sur le revenu les loyers issus des fermages sur ces mêmes parcelles.
Les communes qui réussissent à limiter l’artificialisation sur leur territoire pourraient bénéficier d’une bonification de leur dotation globale de fonctionnement (DGF), à travers une enveloppe spécifique valorisant la sobriété foncière. Cette incitation budgétaire viendrait récompenser les efforts de gestion économe du foncier, notamment dans les communes rurales ou littorales.
Autre volet majeur : la réhabilitation des logements vacants. Une incitation fiscale est envisagée sous forme de crédit d’impôt représentant 25 % des dépenses engagées pour remettre sur le marché des biens vacants situés dans des zones tendues. Ce mécanisme viserait à encourager la mobilisation du bâti existant avant tout recours à de nouvelles emprises foncières.
En parallèle, la fusion des différentes taxes sur les logements vacants et leur majoration progressive en fonction du nombre de biens détenus permettraient de lutter contre la sous-utilisation du parc existant.
Un pouvoir d’action renforcé pour les maires et intercommunalités
Afin d’accompagner les collectivités dans la mise en œuvre des objectifs ZAN, plusieurs leviers réglementaires sont proposés pour renforcer leur marge de manœuvre.
Parmi eux figure la création d’un droit de préemption foncier spécifique sur les espaces ENAF, permettant aux maires de bloquer certaines transactions incompatibles avec les objectifs de sobriété foncière.
La généralisation du sursis à statuer, outil de blocage temporaire des projets immobiliers, est également recommandée, avec un allongement possible de sa durée d’application pour plus d’efficacité dans les phases transitoires de révision des documents d’urbanisme.
D’autres mesures concernent la requalification des biens inoccupés ou juridiquement inaccessibles : réduction à 10 ans du délai de présomption d’abandon pour les biens sans maître, facilitation du recours judiciaire pour sortir d’indivision successorale, notamment dans les territoires ultramarins. Ces ajustements visent à mobiliser plus rapidement un foncier aujourd’hui stérilisé.
En parallèle, les auteures appellent à une flexibilisation ciblée des règles d’urbanisme dans les zones rurales. Cela inclut la possibilité pour les maires de fixer des seuils de densité minimaux, de déroger aux hauteurs maximales de construction ou d’adapter les formes de bâti afin de densifier sans dénaturer l’environnement existant.
L’ingénierie territoriale, pilier de la réussite locale du ZAN
Le rapport insiste sur la nécessité d’un accompagnement adapté. Il propose un parcours complet d’ingénierie foncière pour les collectivités, incluant des modules d’aide au diagnostic, le financement d’un chef de projet à l’échelle intercommunale et des conventions locales avec les CAUE, agences d’urbanisme ou EPF.
Ce chef de projet serait chargé de coordonner les études, d’identifier les opportunités foncières et d’accompagner la mise en œuvre des stratégies de sobriété foncière.
Cette offre serait expérimentée dès 2025 dans des régions pilotes, avec pour objectif une généralisation en 2026, à moyens constants, via le fonds vert. Le rapport suggère aussi de mobiliser les conférences régionales de gouvernance pour structurer cette offre d’accompagnement et en assurer la cohérence avec les politiques régionales d’aménagement.
Quelles solutions fiscales et juridiques pour les territoires ? – Ce qu’il faut retenir
Le document parlementaire propose un ensemble structuré de 29 mesures concrètes pour accompagner les collectivités dans la mise en œuvre du ZAN.
Instruments fiscaux dissuasifs :
– Suppression ciblée d’exonérations : TFPB pour les constructions neuves, taxe d’aménagement, abattements.
– Réforme de la taxe d’aménagement : taux de droit commun porté à 10 %, taux spécifique jusqu’à 50 % sur les ENAF.
– Extension de la fiscalité sur les friches et les entrepôts selon leur emprise et localisation.
– Révision des plus-values : suppression des abattements, taxation jusqu’à 60 %.
Dispositifs fiscaux incitatifs :
– Exonérations de TFPB pour les terres préservées (baux environnementaux, ORE).
– Exonération d’impôt sur le revenu pour les fermages.
– Crédit d’impôt pour la remise sur le marché de logements vacants.
– Fusion et majoration des taxes sur logements vacants.
Outils juridiques et fonciers :
– Droit de préemption spécifique sur les ENAF.
– Généralisation et prolongation du sursis à statuer.
– Récupération des biens sans maître après 10 ans, sortie d’indivision facilitée.
– Dérogations d’urbanisme pour densification douce.
Accompagnement des collectivités :
– Parcours d’ingénierie : diagnostic, chef de projet, conventions locales.
– Financement via le fonds vert, expérimentation en 2025, généralisation en 2026.
Ces leviers visent à rendre le ZAN plus applicable localement, en combinant fiscalité, droit foncier et soutien technique.
Des enjeux spécifiques pour les territoires d’Outre-mer
Le document évoque brièvement les spécificités des territoires ultramarins, notamment en Guyane. Il souligne que la mise en œuvre du ZAN doit tenir compte des réalités locales propres à ces territoires, où les problématiques foncières sont particulièrement complexes.
Les auteures reconnaissent des contraintes telles que la multiplication des indivisions successorales, l’absence de titres fonciers sur une partie importante du territoire, ou encore l’urbanisation informelle difficilement maîtrisable. Face à ces défis, des assouplissements adaptés sont proposés, ainsi qu’un accompagnement renforcé via les établissements publics fonciers ultramarins.
Le président de la mission, Marcellin Nadeau (GDR – Martinique), insiste sur la nécessité d’intégrer pleinement les Outre-mer dans les politiques d’aménagement durable, en les considérant comme des territoires d’innovation plutôt que comme des cas d’exception.