Jean-Marie Nol, économiste, tire la sonnette d’alarme sur la situation économique actuelle de la Martinique. Alors que la lutte contre la vie chère est une cause légitime, il met en garde contre les effets boomerang de cette crise sur l’activité économique du territoire. Dans sa récente analyse, il souligne la baisse du climat des affaires, l’impact des blocages sociaux et la stagnation de l’emploi, des facteurs qui pourraient précipiter la Martinique dans une récession si des actions rapides ne sont pas entreprises. Voici sa tribune…
Vie chère, une cause certes légitime , mais qui pourrait être un prochain Boomerang sur l’activité économique de la Martinique !
La dernière note de conjoncture économique de l’IEDOM qui vient juste de paraître sur l’économie martiniquaise met en lumière plusieurs enseignements préoccupants concernant la trajectoire économique du territoire en 2024. D’ores et déjà les principaux enseignements que l’on peut en tirer est la baisse du climat des affaires ,ce qui est un signe de défiance croissant des acteurs économiques.
L’indicateur du climat des affaires (ICA) a reculé pour atteindre 98,6, un niveau inférieur à sa moyenne de long terme, et le plus bas depuis le premier trimestre 2021. Cela reflète un pessimisme croissant des acteurs économiques quant aux perspectives à court terme, et une perte de confiance progressive depuis le début de l’année.Ce recul est particulièrement significatif car il montre une tendance continue de détérioration : une baisse de 4,7 points depuis janvier 2024. Le fait que l’ICA soit passé sous la barre des 100, marque du seuil de confiance, indique que les chefs d’entreprise s’attendent à des difficultés croissantes, notamment dans le contexte d’une activité économique stagnante. Cette défiance pourrait influencer leurs décisions d’investissement et d’embauche, accentuant encore les difficultés économiques locales. D’autre part les perspectives incertaines, liées à des facteurs climatiques et économiques sont à relever dans le contexte actuel pour entrevoir les incidences sur l’agriculture martiniquaise. La situation de crise sécheresse, inédite dans l’histoire de la Martinique, a un impact non négligeable sur l’activité économique, notamment dans l’agriculture et les secteurs dépendants des ressources en eau. L’agriculture, qui joue un rôle crucial dans l’économie locale, a dû faire face à des perturbations importantes. Ces conditions climatiques extrêmes ont contribué à fragiliser encore davantage une production locale déjà affaiblie par l’inflation et la forte croissance du niveau des charges . Cette mauvaise conjoncture climatique pourrait encore faire augmenter sensiblement le prix des produits locaux. De plus, les perspectives sont assombries par l’incertitude grandissante des chefs d’entreprises, qui anticipent une détérioration de l’activité au prochain trimestre. Cette projection montre qu’une partie importante des acteurs économiques craint une poursuite du ralentissement, voire une récession technique si la tendance actuelle persiste. En effet la consommation des ménages est sous pression, malgré une stabilisation de l’inflation au niveau de l’énergie . L’un des aspects les plus inquiétants de cette conjoncture est la fragilisation continue de la consommation des ménages, moteur essentiel de l’économie locale. Malgré une tendance toujours à la hausse de l’inflation en Martinique et ce contrairement à l’hexagone où l’inflation est maintenant stabilisée, les ménages semblent affectés par la persistance de prix élevés, érodant leur pouvoir d’achat et limitant leurs dépenses. La faible progression de la consommation pourrait être aggravée par les troubles sociaux, tels que les mouvements contre la vie chère, qui freinent encore davantage l’activité commerciale et l’investissement des entreprises.
La situation économique actuelle de la Martinique, déjà marquée par une fragilisation des principaux indicateurs économiques, pourrait se détériorer davantage en raison des récents troubles sociaux liés à la vie chère et aux blocages des entreprises de la grande distribution. Ces mouvements sociaux, bien qu’ils soient la manifestation d’une colère légitime face à la hausse des prix et aux difficultés économiques rencontrées par la population, risquent d’aggraver les tensions économiques dans l’île. A ce sujet,l’impact des troubles sur l’activité économique risque de ne pas être négligeable. Les événements récents, en particulier les blocages des grandes surfaces et des entreprises de distribution, sont susceptibles d’avoir plusieurs conséquences négatives sur l’économie martiniquaise à court terme. Les effets peuvent se manifester de manière directe sur plusieurs plans :
1. Perturbations des chaînes d’approvisionnement : Le blocage des entreprises de la grande distribution limite la capacité des commerces à approvisionner les consommateurs en produits essentiels, ce qui perturbe le fonctionnement de l’économie locale. Dans une île comme la Martinique, largement dépendante des importations pour ses denrées alimentaires et biens de consommation, ces perturbations , notamment si elles se concrétisent au niveau d’un blocage de l’activité portuaire peuvent provoquer des pénuries temporaires, exacerber les tensions sociales et pousser les prix à la hausse, aggravant ainsi l’inflation déjà présente. La situation inflationniste, bien que tendant à se stabiliser selon les données économiques de l’INSEE , pourrait être relancée par ces interruptions dans l’approvisionnement.
2. Effet sur la consommation des ménages : La consommation des ménages, déjà fragilisée par l’inflation et les perspectives économiques incertaines, pourrait encore chuter. Les troubles et blocages peuvent engendrer un climat d’incertitude qui incite les consommateurs à restreindre leurs achats, notamment les dépenses non essentielles. Cela se traduirait par une baisse des ventes au détail et dans les secteurs associés, réduisant ainsi l’activité économique globale. Une telle baisse de la consommation pourrait avoir un effet en chaîne sur non seulement sur l’emploi, entraînant une réduction de l’activité des entreprises locales, mais également sur le montant de l’octroi de mer avec une perte financière pour les collectivités locales .
3. Réduction de l’activité des entreprises locales : Les entreprises locales, particulièrement celles opérant dans les secteurs de la distribution et du commerce, risquent de subir des pertes significatives en raison des blocages et de la baisse de la consommation. Ces perturbations peuvent forcer certaines entreprises à réduire leurs heures d’ouverture, voire à suspendre temporairement leur activité en baissant le rideau pour des raisons de sécurité, entraînant des pertes financières immédiates et une détérioration de la rentabilité. En conséquence, les entreprises pourraient être contraintes de réduire leurs effectifs ou de geler les embauches, ce qui aggraverait la situation de l’emploi, déjà préoccupante selon les derniers chiffres (+0,6 % de demandeurs d’emploi au deuxième trimestre).
Tout cela entraînera forcément des conséquences sur les prévisions de croissance à court et moyen terme de la Martinique . Les perspectives de croissance de la Martinique pour les prochains mois apparaissent particulièrement incertaines, compte tenu du contexte actuel. Les troubles liés à la vie chère et les blocages de la grande distribution pourraient avoir plusieurs conséquences négatives sur les prévisions économiques . Les perturbations actuelles imputables au mouvement social risquent d’accentuer la dégradation de l’économie , car de plus en plus d’entrepreneurs anticipent une détérioration de l’activité au prochain trimestre. Les blocages pourraient renforcer cette perception négative et amener davantage d’entreprises à revoir à la baisse leurs prévisions d’investissement et d’embauche. Les troubles sociaux risquent de prolonger le ralentissement économique déjà perceptible depuis le premier trimestre. La croissance pourrait être réduite davantage en raison de la baisse de la consommation, de la perturbation des activités commerciales, et de la réticence des entreprises à investir dans un climat incertain. Si la consommation des ménages continue à baisser et que les entreprises voient leur activité perturbée, la croissance pourrait même devenir négative sur certains secteurs au cours des prochains mois.
Bien que l’inflation soit un sujet de préoccupation majeur, les perturbations dans l’approvisionnement et les tensions sur le marché des biens de consommation pourraient relancer une hausse des prix. Si les blocages se prolongent et entraînent des pénuries de produits essentiels, l’augmentation des prix pourrait s’accélérer, ce qui affecterait encore plus le pouvoir d’achat des ménages. Cela aurait un effet domino sur la demande intérieure, freinant encore davantage la croissance. En foi de quoi, l’emploi, qui avait connu une légère progression (+0,1 % au premier trimestre), est désormais stagnant, avec une hausse du nombre de demandeurs d’emploi (+0,6 %) pour la première fois depuis 2020. Si les entreprises sont contraintes de réduire leur activité ou de fermer temporairement en raison des blocages et de la baisse de la demande, cela pourrait entraîner des licenciements et une augmentation plus marquée du chômage dans les mois à venir.
Ce recul de la consommation n’est pas surprenant dans un environnement économique marqué par une inflation durable et un climat d’incertitude, mais il alimente les perspectives négatives pour les mois à venir. La stagnation des salaires et les faibles perspectives d’amélioration à court terme maintiennent les ménages dans une situation de précarité relative. Par ailleurs, il convient de s’interroger sur la hausse du chômage depuis une période de 4 ans. L’emploi, qui ne progresse plus (+0,1 % au premier trimestre 2024), est un autre signal inquiétant de cette note de conjoncture. Plus alarmant encore, le nombre de demandeurs d’emploi a augmenté de 0,6 % au deuxième trimestre, marquant la première hausse du chômage depuis juin 2020, soit en quatre ans. Cela indique que le marché du travail, après plusieurs années de relative stabilité, commence à ressentir les effets du ralentissement économique.
Cette tendance pourrait s’amplifier si les perspectives économiques continuent de se dégrader. Les entreprises pourraient être contraintes de limiter leurs embauches, voire de réduire leurs effectifs, ce qui entraînerait une augmentation du chômage et une pression supplémentaire sur les ménages déjà fragilisés. Si la situation n’est pas rapidement corrigée, une spirale négative pourrait se mettre en place, combinant baisse de la consommation, augmentation du chômage et stagnation de la croissance. Oui , ne nous y trompons pas, il existe un fort risque de détérioration accrue dans les mois à venir de l’économie martiniquaise . L’une des conclusions majeures de cette note de l’IEDOM est la possibilité d’une poursuite de la dégradation de la situation économique dans les mois à venir. Si les perspectives sont déjà incertaines, l’anticipation d’une détérioration supplémentaire par les chefs d’entreprises est particulièrement préoccupante. Cela pourrait indiquer que les acteurs économiques s’attendent à des chocs externes ou internes qui viendront accentuer les difficultés actuelles, comme de nouveaux troubles sociaux ou des perturbations climatiques car nous sommes en pleine période cyclonique .
Et bien que la note de conjoncture ne mentionne pas directement les récents mouvements sociaux contre la vie chère, il est évident que ces événements auront un impact sur l’économie locale. Les blocages des entreprises de distribution et les protestations généralisées peuvent ralentir encore davantage l’activité économique, en perturbant les chaînes d’approvisionnement et en créant un climat d’incertitude.Ces troubles risquent également de peser sur la consommation des ménages, déjà sous pression, et d’inciter les entreprises à reporter leurs investissements, voire à réduire leurs activités, ce qui pourrait accentuer les effets négatifs sur l’emploi et la croissance. En fait cette dernière note de conjoncture économique de l’IEDOM est doublement instructive car elle révèle un tableau préoccupant pour la Martinique en 2024. Le ralentissement de l’économie, le recul du climat des affaires, la fragilisation de la consommation des ménages, et la première hausse du chômage en quatre ans sont autant de signaux qui indiquent que l’économie locale traverse une phase difficile. Les perspectives pour les prochains mois sont marquées par une grande incertitude, et les risques de détérioration supplémentaires sont réels. Sans actions rapides pour accélérer les négociations sur la lutte contre la vie chère et stabiliser la situation économique, améliorer la confiance des chefs d’entreprises et soutenir la consommation des ménages, la Martinique pourrait entrer dans une période de stagnation prolongée, voire de récession.
Les troubles sociaux actuels liés à la vie chère et aux blocages des entreprises de la grande distribution en Martinique représentent une menace sérieuse pour la stabilité économique à court terme. La fragilité économique déjà présente, combinée à la baisse du climat des affaires et à la stagnation de l’emploi, pourrait s’aggraver encore. À court terme, les prévisions de croissance risquent d’être révisées encore plus à la baisse, en raison de la perturbation des chaînes d’approvisionnement, de la baisse de la consommation des ménages, et de l’impact sur l’emploi. Si ces tensions se prolongent, elles pourraient également peser lourdement sur la capacité du territoire à se redresser économiquement dans un avenir proche.
» Pa konnèt mové «
Traduction littérale : Il est mauvais de ne pas savoir comprendre et analyser les évènements . Ne pas connaître les conséquences d’une action est mauvais.
Moralité : Il est important de s’instruire, d’acquérir des connaissances notamment économiques et financières…
Jean marie Nol économiste