Face aux enjeux environnementaux, le réemploi des matériaux devient essentiel pour réduire l’empreinte écologique du BTP et encourager l’économie circulaire. Cependant, cette pratique soulève des questions juridiques et assurantielles. C’est pour éclaircir ces points que la Cellule Economique du BTP de La Réunion (CERBTP) a organisé un webinaire avec Emeline Techer et Me Elisabeth Gelot, réunissant une cinquantaine de participants.
Cet article propose une synthèse des principaux enseignements de ce webinaire, abordant la réglementation, les défis assurantiels et les bonnes pratiques pour intégrer le réemploi dans les projets de construction.
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Contexte et Objectifs du Réemploi dans le BTP
La réduction de l’empreinte environnementale dans le secteur du BTP passe nécessairement par une reconsidération des matériaux utilisés. Le réemploi des matériaux répond à plusieurs enjeux :
- Réduction des déchets : Le réemploi permet de limiter l’accumulation de déchets sur les chantiers en prolongeant la durée de vie des matériaux.
- Économie de ressources naturelles : En privilégiant les matériaux déjà extraits et transformés, le secteur réduit la demande en matières premières.
- Contribution à la transition écologique : Le réemploi s’inscrit pleinement dans la logique de l’économie circulaire et contribue à diminuer l’empreinte carbone du BTP.
La CERBTP, créée en 1992, joue un rôle de premier plan dans l’accompagnement des acteurs réunionnais pour relever ces défis. En tant qu’observatoire économique, elle collecte et diffuse des indicateurs sur la santé du secteur du BTP, et depuis 2004, elle se concentre aussi sur la gestion des déchets du BTP, en sensibilisant aux bonnes pratiques. Le webinaire s’inscrit dans cette mission, en rassemblant les acteurs du BTP, de la commande publique aux entreprises, pour discuter des implications et des opportunités du réemploi des matériaux.
Réglementation : Où en Sommes-Nous ?
Le cadre réglementaire encadrant le réemploi des matériaux dans le BTP a évolué, intégrant des mesures pour encourager cette pratique dans un contexte de transition écologique. Deux axes principaux structurent la réglementation en vigueur : les obligations pour les maîtres d’ouvrage et les exigences spécifiques pour la commande publique.
Les Obligations Légales pour les Maîtres d’Ouvrage
La loi AGEC impose aux maîtres d’ouvrage une hiérarchie des modes de gestion des matériaux de construction, priorisant le réemploi :
- Réemploi prioritaire : Les maîtres d’ouvrage doivent, avant toute autre option, envisager le réemploi des matériaux issus de la déconstruction.
- Diagnostic PMD : Pour les projets de plus de 1 000 m², un diagnostic « produit, équipement, matériaux, déchet » (PMD) est requis pour identifier les matériaux réemployables. Ce diagnostic, en amont du chantier, permet de déterminer quels matériaux peuvent être réutilisés sur place ou orientés vers des filières locales.
- Recyclage comme solution alternative : Si le réemploi n’est pas possible, les matériaux doivent être recyclés, toujours dans un souci de proximité pour limiter l’impact écologique du transport.
Le Verdissement de la Commande Publique
Pour les projets de construction financés par des fonds publics, les maîtres d’ouvrage sont soumis à des objectifs de verdissement :
- D’ici 2026 : La loi Climat et Résilience impose un verdissement général de la commande publique. Tous les appels d’offres de la commande publique doivent inclure des critères environnementaux, notamment pour encourager le réemploi.
- D’ici 2030 : Un objectif de 25 % de matériaux bas carbone, incluant les matériaux de réemploi, sera obligatoire dans les projets de construction. Cet objectif vise à réduire les émissions de gaz à effet de serre du secteur en intégrant davantage de matériaux recyclés ou réemployés.
Ce cadre législatif ambitieux place le réemploi au cœur des priorités du BTP, notamment pour les acteurs publics, tout en rappelant la nécessité de s’adapter aux ressources et contraintes locales pour maximiser l’impact écologique.
Le Défi Assurantiel : Freins et Solutions
Bien que le réemploi des matériaux soit encouragé, il se heurte encore à des obstacles d’ordre assurantiel. Les assureurs soulèvent plusieurs problématiques liées à cette pratique, influencées par la nature même des matériaux de réemploi et par les exigences spécifiques du secteur de la construction en matière de responsabilité décennale. Au cours du webinaire, les experts ont identifié les principaux freins assurantiels ainsi que les solutions possibles pour les surmonter.
Principales Réticences des Assureurs
Les assureurs expriment souvent des inquiétudes à propos du réemploi des matériaux, en particulier dans les projets soumis à des normes de responsabilité strictes :
- Modification de la chaîne de responsabilité : Le réemploi complique l’attribution des responsabilités en cas de sinistre, car la traçabilité est parfois réduite en l’absence de fabricant ou de fournisseur.
- Risque de sinistralité : Certains assureurs estiment que les matériaux de réemploi pourraient entraîner une aggravation du risque de sinistre, en raison de performances parfois moindres. Toutefois, les statistiques recueillies ne démontrent aucune sinistralité accrue associée spécifiquement aux matériaux de réemploi.
- Garantie décennale : Le réemploi est souvent perçu comme une « technique non courante », ce qui pourrait entraîner une exclusion de garantie. Cependant, les jurisprudences récentes sont favorables aux assurés, jugeant souvent les clauses limitatives de garantie comme non valides, en particulier lorsque le réemploi respecte les règles de l’art.
Solutions et Bonnes Pratiques pour Surmonter les Obstacles Assurantiels
Les experts recommandent plusieurs bonnes pratiques pour faciliter l’acceptation du réemploi par les assureurs :
- Déclaration proactive des matériaux de réemploi : Bien que les acteurs du BTP n’aient pas d’obligation légale de déclarer le réemploi aux assureurs, il est conseillé de le faire pour anticiper d’éventuels litiges en cas de sinistre.
- Fiches de traçabilité : L’utilisation de fiches de traçabilité est encouragée pour documenter l’origine, l’état et l’utilisation des matériaux de réemploi. Bien que non requises par la loi, ces fiches contribuent à clarifier la responsabilité des intervenants et facilitent les échanges avec les assureurs.
- Sélection rigoureuse des matériaux de réemploi : Préférer des matériaux reconditionnés, testés et conformes aux normes, pour atténuer les risques assurantiels et rassurer les parties prenantes. Les matériaux de réemploi bénéficiant de tests et d’une qualification technique peuvent être plus facilement intégrés dans des contrats d’assurance sans exclusion de garantie.
En somme, une approche proactive, associée à une traçabilité renforcée, permet de lever en grande partie les réticences des assureurs et d’encourager une plus large adoption du réemploi dans les projets de construction.
Stratégies de Prescription et Choix des Matériaux pour le Réemploi
Pour intégrer le réemploi dans les pratiques du BTP, les maîtres d’ouvrage et maîtres d’œuvre doivent adopter des stratégies de prescription adaptées, en tenant compte des spécificités techniques et des contraintes de chaque chantier. Le webinaire a abordé des recommandations concrètes pour faciliter l’intégration du réemploi, notamment à travers une sélection judicieuse des matériaux et une anticipation dès la phase de conception.
Critères de Sélection des Projets et Matériaux pour le Réemploi
Les experts recommandent de privilégier certains types de projets et de matériaux pour réduire les complexités juridiques et logistiques du réemploi :
- Projets sans contrôle technique obligatoire : Les projets qui ne nécessitent pas de contrôles techniques approfondis sont plus faciles à gérer, car ils permettent une flexibilité accrue dans le choix des matériaux.
- Matériaux reconditionnés : Lorsque des filières de reconditionnement existent, les matériaux soumis à des tests d’usage peuvent être intégrés dans des projets sans contrainte majeure. En métropole, des filières pour les moquettes, faux-planchers ou sanitaires existent déjà, et bien que leur disponibilité soit limitée à La Réunion, cette option reste envisageable pour des projets futurs.
- Matériaux hors champ décennal : Les équipements dissociables (ex. : cloisons amovibles, pavés, équipements sanitaires) sont particulièrement adaptés au réemploi car ils ne compromettent pas la solidité de la structure et n’impliquent pas de responsabilité décennale.
Intégration du Réemploi dès la Conception du Projet
Pour maximiser l’efficacité du réemploi, il est recommandé d’anticiper dès la phase de programmation :
- Diagnostic PMD et sourcing local : En amont du chantier, le diagnostic PMD permet d’identifier les matériaux disponibles pour le réemploi sur le site. Un sourcing local peut aussi être envisagé pour répondre aux besoins spécifiques du projet tout en soutenant l’économie circulaire régionale.
- Achat de matériaux de réemploi : Le maître d’ouvrage peut soit intégrer l’achat de matériaux de réemploi dans le marché principal de construction, soit passer un contrat-cadre pour le sourcing de ces matériaux. Cela permet de centraliser la gestion des matériaux réemployés et de coordonner les ressources de manière efficace.
- Flexibilité pour les entreprises de travaux : Laisser la possibilité aux entreprises de refuser certains matériaux si ceux-ci ne respectent pas les exigences techniques ou de sécurité, afin de garantir la qualité et la durabilité de l’ouvrage.
Ces stratégies, lorsqu’elles sont bien anticipées et adaptées à chaque type de projet, facilitent l’intégration du réemploi tout en minimisant les risques. Le réemploi devient alors une opportunité d’innovation dans le BTP, favorisant des pratiques plus durables et adaptées aux défis environnementaux actuels.
Session des Matériaux et Logistique : Bonnes Pratiques
Le réemploi de matériaux dans le secteur du BTP nécessite une organisation logistique efficace et des méthodes de session adaptées pour maximiser les bénéfices tout en minimisant les coûts et les risques. Lors du webinaire, plusieurs options de session et de gestion logistique ont été abordées, permettant aux maîtres d’ouvrage d’intégrer le réemploi de manière flexible et pragmatique.
Modalités de Session des Matériaux
Les maîtres d’ouvrage disposent de plusieurs options pour céder les matériaux réemployés et faciliter leur intégration dans d’autres projets :
- Cession aux entreprises de travaux : Dans le cadre du marché de déconstruction, les maîtres d’ouvrage peuvent convenir d’une « moins-value » sur les coûts des travaux en échange des matériaux cédés. Ce type de session réduit la responsabilité du maître d’ouvrage en laissant l’entreprise de travaux gérer la réutilisation.
- Création de lots dédiés dans les appels d’offres : Intégrer un lot spécifique pour le réemploi permet de faciliter l’accès aux marchés pour les acteurs locaux de l’économie circulaire. Cela favorise également une montée en compétence des entreprises sur le sujet du réemploi.
- Vente directe ou don à des acteurs spécialisés : Les matériaux peuvent être vendus ou donnés à des associations locales, des ressourceries, ou des acteurs de la réutilisation. Cette option permet de valoriser les matériaux tout en les rendant accessibles à des initiatives locales de réemploi.
Traçabilité et Justificatifs
Bien que la loi ne rende pas obligatoire la traçabilité des matériaux de réemploi, il est recommandé de documenter leur usage pour faciliter le suivi et prouver leur conformité aux standards de qualité :
- Bilan réemploi : Un bilan réemploi peut être intégré dans le dossier des ouvrages exécutés (DOE) pour répertorier les matériaux utilisés et leur provenance. Ce bilan peut reprendre le tableau standard CERFA associé au diagnostic PMD.
- Justificatifs divers : Il est conseillé de collecter les contrats de vente, les fiches de traçabilité, les attestations de dépôt en point de reprise et autres conventions de don, afin de documenter l’ensemble des transactions liées aux matériaux de réemploi. Cela permet de sécuriser les transactions et de maintenir une transparence accrue.
En appliquant ces bonnes pratiques, les maîtres d’ouvrage et les entreprises de travaux peuvent non seulement optimiser la gestion des matériaux de réemploi, mais aussi renforcer la confiance des parties prenantes et promouvoir des initiatives de réutilisation plus structurées.
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Le réemploi des matériaux dans le BTP est un levier crucial pour une construction plus durable. Grâce à des évolutions réglementaires, des solutions aux freins assurantiels et des stratégies de prescription claires, il devient possible de réduire l’empreinte écologique des chantiers. Le webinaire de la Cellule Economique du BTP de La Réunion a permis d’explorer ces enjeux et de proposer des pratiques concrètes pour intégrer le réemploi de manière efficace.
Une approche progressive et des projets pilotes peuvent aider les maîtres d’ouvrage et d’œuvre à tester ces pratiques, en renforçant les filières locales et en contribuant activement à la transition écologique.