Les dernières données publiées par l’Insee, dans son bulletin Insee Première n°2046 paru en avril 2025, apportent un éclairage saisissant sur la concentration du patrimoine immobilier privé en France. On y apprend que près de 9,7 millions de personnes, soit un tiers des propriétaires, possèdent au moins deux logements. Ces multipropriétaires détiennent, à eux seuls, près de deux logements sur trois du parc privé. Cette situation, loin d’être homogène sur le territoire, révèle de fortes disparités entre zones touristiques, centres urbains et départements à faibles revenus, notamment en Outre-mer.
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Un tiers des propriétaires possèdent deux logements ou plus
Selon les données de la base de propriété foncière 2022, 27,6 millions de personnes résidant fiscalement en France (hors Mayotte) sont propriétaires d’au moins un logement. Parmi elles, 35 % sont multipropriétaires, seuls ou en indivision. Cela représente 9,7 millions de personnes.
Ces multipropriétaires, qui peuvent détenir leurs biens en nom propre ou via une SCI, sont loin d’être un groupe homogène : certains n’ont que deux logements, souvent leur propre résidence principale et un bien hérité ou donné en usufruit, d’autres possèdent un portefeuille immobilier locatif.
La concentration est notable : 4 % des propriétaires détiennent à eux seuls la moitié des logements loués dans le parc privé. Plus le nombre de logements possédés augmente, plus le niveau de vie du propriétaire est élevé : ainsi, les détenteurs de dix biens ou plus disposent d’un niveau de vie médian supérieur de 43 % à celui des multipropriétaires ne possédant que deux logements.
DOM, montagne, métropole : la carte très inégalitaire de la multipropriété
Si la multipropriété touche un tiers des propriétaires à l’échelle nationale, elle s’avère très inégalement répartie sur le territoire. Dans les départements touristiques de montagne, comme les Hautes-Alpes, la Savoie ou la Lozère, plus d’une personne sur quatre âgée de 25 ans ou plus est multipropriétaire. En Lozère, ce taux atteint 27,2 %, contre 24 % à Paris, 24,4 % en Corse-du-Sud ou encore 26,4 % dans les Hautes-Alpes.
Ces territoires sont aussi ceux où la part de logements détenus par des multipropriétaires atteint des sommets. À Paris, 81,5 % des logements possédés par des particuliers appartiennent à au moins un multipropriétaire. En Corse-du-Sud et en Haute-Corse, cette part dépasse 77 %, tout comme dans les stations alpines ou littorales les plus cotées.
À l’opposé, des départements comme le Pas-de-Calais (14,6 % de multipropriétaires), la Seine-Saint-Denis (11,9 %) ou la Guadeloupe (12,2 %) affichent des taux extrêmement faibles. Dans ces zones, les niveaux de vie inférieurs, la jeunesse de la population et la précarité de l’accès à la propriété expliquent en partie la moindre présence de multipropriété.

Outre-mer : des territoires peu concernés, mais pas à l’abri des tensions
Les départements d’Outre-mer se distinguent très nettement du reste de la France par leur faible taux de multipropriétaires.
En 2022, seuls 12,2 % des résidents de Guadeloupe âgés de 25 ans ou plus sont multipropriétaires. La Martinique suit avec 12,8 %, la Guyane avec 13,3 % et La Réunion avec 12,3 %. Ces taux sont à comparer à une moyenne nationale de 20,6 %, selon les données de l’Insee.
Cette faible multipropriété ne reflète pas une situation détendue sur le plan du logement. Au contraire, plusieurs études signalent que les territoires ultramarins font face à un déficit structurel de logements disponibles. Cette tension s’explique par un foncier souvent contraint (relief, littoralisation, risques naturels), des coûts de construction supérieurs à la métropole et une forte croissance démographique, en particulier en Guyane.
L’accès à la propriété y est par ailleurs limité par plusieurs facteurs : des revenus médians généralement inférieurs à ceux de l’Hexagone, un accès au crédit plus difficile, ainsi que des situations foncières complexes, notamment les indivisions héritées ou les titres de propriété non clarifiés. Les dispositifs d’incitation comme le Pinel Outre-mer existent, mais restent en grande partie boudés par les résidents locaux, du fait de conditions d’éligibilité ou d’un décalage avec les capacités réelles d’investissement.
La faiblesse de l’investissement locatif local, combinée à la pression démographique et à la fragilité du parc ancien (souvent mal entretenu, voire indigne), contribue à alimenter des tensions importantes. Ainsi, malgré une multipropriété peu répandue, le marché locatif ultramarin demeure parmi les plus contraints de France pour les ménages modestes.
Usage des logements : entre résidences secondaires, location et vacance
Le profil d’usage des logements varie également selon le statut du propriétaire. Tandis que les monopropriétaires occupent directement leur bien dans 87 % des cas, les multipropriétaires le font dans moins de la moitié des cas. Le reste du parc qu’ils possèdent est constitué de logements mis en location (57 %), de résidences secondaires (23 %) ou laissés vacants (20 %).
On observe aussi une forte concentration : près de la moitié des logements loués sont détenus par des multipropriétaires possédant cinq biens ou plus. Les biens vacants, quant à eux, sont nombreux : plus de 2 millions sont concernés, dont 55 % inoccupés depuis plus d’un an. Ce phénomène est particulièrement sensible dans les zones urbaines tendues et dans certaines stations touristiques.
Source / INSEE – Un tiers des propriétaires possède deux logements ou plus
Une concentration qui interroge
Si la multipropriété répond à des logiques d’investissement patrimonial et de constitution de revenus locatifs, elle soulève également des interrogations. Quatre pour cent des propriétaires détiennent à eux seuls la moitié des logements loués dans le parc privé. Cette concentration est d’autant plus marquante que ces propriétaires sont souvent implantés localement : deux tiers des biens sont situés dans le même département que leur détenteur.
Dans les territoires en tension, où le parc disponible est restreint, cette situation peut contribuer à restreindre l’offre accessible à la classe moyenne ou populaire. Faut-il, dans ces zones, envisager des mesures d’encadrement de la multipropriété, à l’image des discussions récurrentes sur les locations saisonnières dans les zones touristiques ? Les données de l’Insee apportent en tout cas des éléments clés pour nourrir le débat public.