Depuis le 1er janvier 2025, la Guadeloupe et la Martinique sont entrées dans une nouvelle ère réglementaire. L’entrée en vigueur de l’arrêté du 5 juillet 2024 sur la prise en compte du risque de vents cycloniques dans la conception et la construction des bâtiments marque un tournant.
Cette mutation normative, longtemps attendue par les professionnels du secteur, répond à un double constat : la vulnérabilité structurelle du parc bâti face aux aléas climatiques extrêmes et la nécessité d’adapter les outils d’ingénierie aux réalités ultramarines. Le projet BATISOLID Antilles, porté par les CERC Guadeloupe et Martinique, s’est inscrit au cœur de cette transition.
—
Repenser les bases : des leçons tirées d’Irma et Maria
La saison cyclonique de 2017, marquée par le passage des ouragans Irma et Maria, a laissé une empreinte durable. En quelques jours, ces phénomènes extrêmes ont mis à nu les carences structurelles des bâtiments : contreventements absents ou sous-dimensionnés, ancrages faibles, matériaux inadaptés, malfaçons récurrentes. L’évaluation post-catastrophe a montré que même les constructions récentes n’étaient pas à l’abri. Il fallait donc aller au-delà du constat et enclencher une véritable réforme technique et réglementaire.
Cette prise de conscience a conduit les pouvoirs publics à commander une série d’études scientifiques, climatologiques et technico-économiques. Le CSTB a été missionné pour revoir les bases de dimensionnement en vent, en s’appuyant sur un benchmark international (Floride, Japon, Australie) et des observations actualisées intégrant les données de 20 années supplémentaires.
Une nouvelle norme pour des vents plus forts
Le point de bascule opéré par la réglementation repose sur un relèvement significatif des vitesses de référence du vent. Là où l’ancienne norme NF EN 1991-1-4 s’appuyait sur des simulations limitées aux événements pré-1998, les nouvelles valeurs adoptent une approche bien plus rigoureuse. Désormais, il faut compter avec des vitesses moyennes de 36 à 38 m/s en Guadeloupe, 32 à 35 m/s en Martinique, et jusqu’à 40 m/s dans les îles du Nord.
Ce relèvement n’est pas anecdotique. Il entraîne un changement profond dans la conception des ouvrages, notamment pour les structures en élévation, les éléments de toiture et les menuiseries. Le texte introduit également une classification des bâtiments selon leur « catégorie d’importance« , un concept issu de la réglementation parasismique. Les bâtiments dits « refuges » devront ainsi être dimensionnés pour résister à un épisode centennal.
Les échéances sont claires : à compter du 1er janvier 2025, les nouvelles exigences s’appliquent à tous les projets dont la demande d’autorisation est postérieure. Les menuiseries et les logements individuels bénéficient d’un sursis jusqu’au 1er janvier 2026.
Des conséquences concrètes pour les professionnels
Pour les architectes, bureaux d’études et entreprises, cette réforme impose une vérification systématique des CCTP, une mise à jour des outils de calcul, et une révision de l’ensemble des prescriptions techniques. Le moindre ancrage, la moindre menuiserie devient un point de vigilance.
Les études d’impact menées par le CSTB montrent que les surcoûts peuvent être contenus, mais varient selon la typologie des bâtiments. Pour une maison de plain-pied en maçonnerie, l’effet reste négligeable.
En revanche, sur les structures bois ou en R+2, le renforcement structurel peut augmenter le coût de 0,2 à 0,7 %. Quant aux bâtiments en R+5, le béton résiste bien aux exigences supplémentaires.
Mais l’enjeu ne se limite pas à la structure. Les épisodes récents (CHIDO à Mayotte, Garance à La Réunion) ont révélé que la perte d’étanchéité due à la destruction de menuiseries entraîne un effet domino fatal : surpression, envol de toitures, destruction généralisée. Ces points faibles deviennent des priorités techniques.
BATISOLID, moteur discret mais déterminant
Le projet BATISOLID n’est pas un cadre réglementaire en soi, mais il a accompagné pas à pas l’émergence de cette nouvelle norme. Porté par les CERC Antilles, il a rassemblé les professionnels locaux autour de concertations constructives, relayé les retours d’expérience et participé activement à la révision des guides techniques.
C’est dans ce cadre que l’AFPS a été missionnée pour mettre à jour le guide de construction parasismique et paracyclonique à structure bois de 2011. Le nouveau document, en cours de finalisation, intègre les nouvelles vitesses de vent et simplifie les choix de dimensionnement, avec une approche par tableaux adaptée aux praticiens de terrain.
BATISOLID s’est aussi impliqué dans la validation des guides C2PMI rédigés par le CSTB, aujourd’hui en référence dans l’arrêté. Ces documents, finalisés en 2024, proposent une méthodologie claire, des cas-types de bâtiments, des prescriptions selon le niveau d’exposition au vent, et des abaques de dimensionnement adaptés aux matériaux utilisés dans les Antilles.
Les guides C2PMI sont organisés en fiches pratiques, permettant une lecture ciblée selon le type d’ouvrage ou le corps d’état concerné. Ils s’adressent aussi bien aux bureaux d’études qu’aux artisans ou aux maîtres d’ouvrage publics. L’objectif est de rendre la réglementation opérationnelle, en fournissant des solutions directement applicables sur chantier.
À lire aussi :
Construire en BOIS en ZONE CYCLONIQUE : les règles à suivre selon le guide C2PMI
Cette approche outillée est au cœur de la méthode BATISOLID : proposer une transition réglementaire réaliste, appuyée sur des documents robustes, compréhensibles et partagés. Elle témoigne aussi d’une volonté d’ancrer les pratiques dans la réalité du terrain, sans sacrifier l’exigence technique.
Ce que cette réforme dit de la construction en Outre-mer
Au-delà de ses aspects techniques, la réglementation sur les vents cycloniques traduit un changement de paradigme. Elle marque la fin d’une adaptation à la marge des normes hexagonales. Elle reconnaît enfin la spécificité climatique, sociale et géographique des territoires d’outre-mer.
Dans cette dynamique, BATISOLID apparaît comme un modèle de méthode. Une méthode qui conjugue expertise locale, retour d’expérience, concertation et simplification. Une méthode qui pourrait inspirer d’autres régions confrontées à des aléas extrêmes : sismiques, volcaniques ou hydrologiques.
L’entrée en vigueur de l’arrêté du 5 juillet 2024 n’est pas un aboutissement, mais le début d’une acculturation collective. Entreprises, maîtres d’ouvrage, bureaux d’études et institutions devront intégrer ces nouvelles règles dans leurs pratiques quotidiennes. BATISOLID, en facilitateur de terrain, rappelle qu’une réglementation, pour être efficace, doit être comprise, partagée et appropriée.