En 2023, l’action foncière de l’État à Mayotte a franchi un cap. Pour la première fois depuis sa création en 2017, l’EPFAM (Établissement public foncier et d’aménagement de Mayotte) a montré que son rôle dépassait les études et les intentions. Sur le terrain, les terrains changent de main, les logements émergent, les chantiers avancent, et les premières familles quittent l’habitat précaire pour des solutions dignes. Le foncier n’est plus un frein, mais devient un levier.
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Un foncier stratégique enfin mobilisé
Longtemps paralysée par la complexité administrative, la pression foncière et la fragmentation des usages, l’action publique sur le foncier à Mayotte est désormais mieux structurée. L’EPFAM a opéré en 2023 une montée en puissance visible. Sur le plan strictement foncier, l’établissement a traité 145 DIA (déclarations d’intention d’aliéner), a acquis 14 parcelles totalisant 11,5 hectares – dont 6 par préemption – et a revendu ou transféré 6 terrains, dans une logique de revalorisation productive. Ces mouvements, bien que modestes en volume, traduisent une nouvelle capacité d’action : celle de mettre le bon terrain, au bon moment, au service d’un projet utile.
Dans les opérations majeures comme les ZAC de Doujani ou Tsararano-Dembéni, ou encore la ZAE des Badamiers, l’EPFAM est parvenu à faire avancer les procédures foncières : arrêtés de DUP, cessibilité, et même expropriations lorsque nécessaire.
Ce volontarisme foncier alimente désormais directement les besoins d’aménagement urbain, scolaire ou économique. Il permet aussi aux communes, souvent démunies face aux enjeux juridiques, de bénéficier d’un appui opérationnel solide.
En 2024, plusieurs enquêtes publiques ont été ouvertes pour Doujani, Ironi Bé ou encore Badamiers, renforçant l’avancement réglementaire de ces projets.
Des chantiers qui sortent de terre
2023 a marqué une accélération concrète sur le volet opérationnel. Plusieurs ZAC stratégiques ont franchi des jalons structurants. À Doujani Ya Messo, au sud de Mamoudzou, les travaux de viabilisation ont débuté en avril, une fresque participative a mobilisé les habitants à l’automne, et la commercialisation a été engagée.
Le projet prévoit plus de 900 logements, deux groupes scolaires, des équipements culturels, sportifs et 20 000 m² dédiés aux activités économiques. C’est l’un des plus ambitieux programmes urbains de l’île. En 2024, une nouvelle enquête publique a confirmé l’évolution du projet, accompagnée d’un Salon de l’insertion organisé sur site.
À Tsararano-Dembéni, autre opération majeure, les permis de construire et autorisations environnementales ont été obtenus, les premiers relogements ont commencé, et l’appel d’offres pour les travaux a été lancé. À terme, 2 500 logements, 8 000 m² de commerces et 6 000 m² de bureaux doivent y voir le jour. Mjini a obtenu en janvier 2024 l’arrêté préfectoral validant son programme d’équipements.
Kahani, Coconi-Ouangani, Ironi Bé: sur tout le territoire, des quartiers sont redessinés, avec une logique de densification maîtrisée, d’équipements publics mutualisés, et une prise en compte réelle du tissu local.
Les chiffres donnent l’ampleur de l’ambition : 503 logements produits à ce stade, sur un objectif de 5 000 d’ici 2026. 1 000 logements insalubres sont visés pour une requalification. Pour y parvenir, l’EPFAM intègre dans ses opérations un effort de relogement sans précédent : 100 modules d’hébergement temporaire ont été commandés en 2023. Des opérations comme « Davu Dago » ou les logements « tiroirs » de Bazama Bandrajou apportent des réponses concrètes aux familles concernées par les démolitions. En mars 2025, une concertation a été relancée à Bazama Bandrajou pour associer les habitants au projet RHI.
Une reprise en main du foncier agricole
Le volet agricole du rapport montre aussi un tournant. En 2023, l’EPFAM a renforcé son rôle de SAFER. Elle a ciblé les zones agricoles (zones A et N), traité 145 DIA, exercé son droit de préemption, et lancé 4 appels à projets pour l’attribution de terres à des agriculteurs. Au total, 14 porteurs de projets ont été installés sur 32 hectares. Un chiffre modeste, mais structurant. À cela s’ajoutent 3,3 ha vendus à un agriculteur et 1,15 ha au Conservatoire du Littoral.
Le pôle agricole de Mro Mouhou cristallise cette stratégie. Avec 30 hectares, 13 agriculteurs déjà actifs, des équipements partagés, un accompagnement technique et même un accès facilité à l’eau, ce site devient une vitrine de ce que peut être une relance agricole durable à Mayotte. Plus au nord, à Tréléni (Sada), les 56 hectares de foncier d’État font l’objet d’études pour une nouvelle vague d’installations agricoles.
Parallèlement, l’EPFAM structure la filière bio : accompagnement vers la certification, pépinière à Ironi Bé, livraisons à Sodifram, intrants bio, aides CAB et MAB… Une agriculture productive, durable et adaptée au contexte mahorais est en train de se consolider, au croisement de l’alimentation, de l’emploi, et de l’écologie.
L’EPFAM a multiplié les appels à projets agricoles entre 2024 et 2025, notamment à Koungou et Ouangani, tout en lançant une campagne de sensibilisation à la protection du foncier.
Une logique plus durable… mais encore fragile
L’EPFAM revendique désormais une vision intégrée de l’aménagement. Les projets urbains comportent des jardins familiaux, des renaturations de crêtes et de rivières, des mesures de compensation agricole collective. 3,2 millions d’euros ont été mobilisés en 2023 pour des fermes urbaines, des jardins ouvriers, une pépinière bio… La ZAC de Tsararano intègre 6 fermes urbaines et 122 jardins familiaux. L’idée ? Ne pas opposer ville et nature, mais les articuler.
En 2024, la création d’Agribio 976 a renforcé la structuration du bio à Mayotte, alors que la DAAF alertait sur la persistance de pesticides interdits comme le Dimethoate.
Néanmoins, les limites sont visibles. Les objectifs du Plan stratégique de développement restent en grande partie hors d’atteinte : seulement 10 % de l’objectif de logements produits, à peine 57,3 ha agricoles aménagés sur les 80 prévus. Le morcellement foncier, la lenteur des autorisations, les conflits d’usage ou encore le manque de moyens humains freinent encore l’impact global.
MAYOTTE – Rapport d’activités 2023 de l’EPFAM