Mayotte : Entre ravages et renouveau, l’appel de Nizar Assani Hanaffi

    0

    « Le cyclone Chido a été une tragédie, mais c’est aussi une opportunité unique pour repenser l’avenir de Mayotte. »

    Le cyclone Chido a dévasté Mayotte, révélant des failles structurelles et sociales profondes. Comment transformer cette tragédie en opportunité ? Nizar Assani Hanaffi, président du comité territorial Action Logement Mayotte, membre du Medef, chefs d’entreprise dans l’immobilier et Mahorais, fière d’être français, nous livre son témoignage et un appel à une action déterminée.

    Pouvez-vous nous présenter Action Logement et son rôle à Mayotte ?

    Action Logement, comme dans l’Hexagone et les autres territoires ultramarins, a pour mission principale de faciliter l’accès au logement pour les salariés du secteur privé. C’est un organisme financé à hauteur de 0,45 % de la masse salariale des entreprises privées de plus de 50 salariés. Son objectif est de garantir un logement digne pour favoriser l’accès à l’emploi et la stabilité professionnelle.

    Depuis 2018, avec mon binôme Mohamed Ahmed Fatul, nous avons présidé le comité territorial Action Logement à Mayotte. Cela a été un véritable combat pour établir une agence locale et lancer un opérateur social. Aujourd’hui, nous sommes fiers d’avoir créé Alma Action Logement, qui contribue non seulement à la construction de logements pour les salariés du privé, mais aussi participe de manière générale à l’aménagement global du territoire en partenariat avec les autres opérateurs et services de L’État.

    Quelles étapes ont permis la création d’Alma Action Logement ?

    Avant Alma, il n’y avait qu’un petit bureau de 30 mètres carrés. Grâce à un effort collectif des partenaires sociaux, syndicaux et patronaux, nous avons obtenu l’accord du conseil d’administration national pour créer cet opérateur social. Cela a été annoncé en novembre 2021 lors de la première visite du président du groupe Action Logement Bruno ARCADIPANE à Mayotte à l’occasion de notre première convention Territoriale Annuelle.

    En 2022, Alma a vu le jour, et aujourd’hui, nous avons plus de 15 salariés à temps plein y compris avec les équipes de ALS. Avec l’aide du Plan d’Investissement Volontaire (PIV) d’un milliard et demi d’euros fléchés pour les Outre-mer, nous avons pu financer des projets ambitieux comme 572 logements dont une partie est en cours de construction en partenariat avec la SIM pour un montant de 76 millions d’euros. Alma a déjà obtenu les agréments pour près de 1 000 logements, dont certains chantiers sont en cours.

    Nizar Assani Hanaffi, président du comité territorial Action Logement Mayotte, membre du Medef, chefs d’entreprise dans l’immobilier et Mahorais

    Pouvez-vous nous parler des projets en cours ?

    Le projet phare est la résidence pour jeunes actifs à Kawéni, située dans le principal bassin d’emploi de Mayotte. Cette résidence est conçue comme un lieu de transit pour accompagner les jeunes entre la fin de leurs études et leur première expérience professionnelle. Elle vise à leur fournir un logement temporaire pour qu’ils puissent se concentrer sur leur insertion professionnelle. Cela répond à un enjeu majeur : éviter que l’absence de logement devienne un frein à l’emploi.

    Le cyclone Chido a été une catastrophe pour Mayotte. Quel est votre constat ?

    Chido a été dévastateur. Tout le territoire a été touché, des bidonvilles aux infrastructures modernes. Les écoles, les hôpitaux, les préfectures… Rien n’a été épargné. Mayotte est littéralement à terre. Ce cyclone a révélé les malfaçons, l’absence de plans d’aménagement et la fragilité des infrastructures. Il a mis en lumière des problèmes structurels ignorés depuis plus de 40 ans.

    Les bidonvilles ont certes repoussé aussi vite que le cyclone est passé, mais Mayotte ne se résume pas à ces zones de précarité. Les Mahorais, qu’ils soient chefs d’entreprise, salariés ou étudiants, ont été tout aussi meurtris. Il est crucial de changer la perception que l’on a de notre territoire et de reconnaître la résilience et la dignité des habitants.

    Personnellement, j’ai vécu le cyclone seul dans ma maison. J’ai vu mon toit partir, une expérience terrifiante. Mais ce qui m’inquiète le plus, c’est l’avenir : aurons-nous la vision et le courage de reconstruire mieux ? Ou allons-nous répéter les erreurs du passé ?

    Que pensez-vous des mesures prises par l’État et des récentes visites officielles ?

    Pour l’instant, le président Emmanuel Macron est venu, ce week-end, nous attendons la visite du Premier ministre, du ministre des Outre-mer et de la ministre du Logement, de la Santé et de L’Éducation. Ces visites sont importantes, mais elles ne doivent pas se résumer à des annonces sans suivi. Lors de la venue du président Macron, j’ai ressenti un manque de vision et de coordination. Les échanges étaient souvent confus, avec des élus, des collectifs et des acteurs économiques mélangés dans une sorte de « foire aux questions ». Ce n’est pas ce dont Mayotte a besoin.

    Nous attendons des mesures courageuses et concrètes : la mise en place d’une zone franche, le gel des cotisations sociales, des aides substantielles pour relancer l’économie. Il faut arrêter le bricolage et investir dans une reconstruction durable. J’espère que la prochaine visite des ministres apportera des engagements clairs et des solutions adaptées à la réalité de notre territoire. La survie de ce territoire dépend fortement de la relance économique. Les acteurs économiques ne peuvent être ignorés car une crise sociale très visible peut nous achever.

    « Les Mahorais sont fiers d’être français, mais cette fierté doit être honorée par des actions concrètes. »

    Quelles sont les priorités immédiates pour les infrastructures essentielles comme l’électricité et l’eau ?

    Les infrastructures d’électricité et d’eau sont les deux piliers essentiels pour la relance. Le réseau électrique, archaïque et sous-dimensionné, doit être modernisé d’urgence. Quant à l’eau, Mayotte vit une crise depuis 2018, exacerbée par le cyclone. Il est impératif de rétablir la distribution pour assurer un minimum de stabilité au quotidien et éviter une crise sanitaire. Ces deux secteurs sont prioritaires pour relancer l’économie et répondre aux besoins immédiats des habitants.

    Quelle place doit jouer l’éducation dans le plan de redressement de Mayotte ?

    L’éducation est la clef du redressement. Avec des écoles et des collèges détruits, nous faisons face à un défi colossal. Il faut reconstruire rapidement ces infrastructures et investir dans une éducation de qualité pour les jeunes Mahorais. Une jeunesse bien formée est la meilleure garantie d’un avenir prospère pour Mayotte.

    Comment gérer l’urgence tout en préparant un plan à long terme pour la reconstruction ?

    L’urgence n’exclut pas la vision. Il faut un plan en deux temps : d’abord répondre aux besoins immédiats, comme la mise à l’abri et l’accès à l’eau, puis bâtir une stratégie à long terme. Cette stratégie doit inclure des projets structurants pour améliorer les infrastructures, créer de l’emploi et garantir une résistance face aux futures crises. Un plan d’ensemble est nécessaire pour faire de Mayotte un territoire moderne et durable. La reconstruction est possible si L’État met les moyens. 

    « Associer les compétences locales est essentiel pour une reconstruction efficace et durable. »

    Quelle est la place des entreprises locales dans ce processus ?

    Il est absolument essentiel d’associer les entreprises locales et les compétences mahoraises dans ce processus. Mayotte dispose de chefs d’entreprise, d’ingénieurs, de techniciens et de juristes qualifiés, capables de relever ces défis. Cependant, cela n’exclut pas la collaboration avec des entreprises extérieures, tant qu’elle se fait en complément et non en substitution. L’équilibre entre ressources locales et expertise externe est crucial pour une reconstruction efficace et durable.

    Quel message souhaitez-vous transmettre ?

    Mayotte est à un tournant. Le cyclone Chido est une tragédie, mais aussi une opportunité unique de repartir sur de bonnes bases. Nous devons nous unir, éviter le rafistolage et reconstruire durablement. La France doit montrer qu’elle est prête à investir dans l’avenir de Mayotte. Enfin, j’insiste sur l’importance d’intégrer les Mahorais dans chaque décision. Reconstruire Mayotte sans ses habitants, c’est voué à l’échec.

    Nous sommes fiers d’être français, mais cette appartenance doit se traduire par des actes concrets. Les gestes d’amour comptent plus que les déclarations. Ensemble, nous pouvons faire de Mayotte un modèle de résilience et de prospérité.

    Propos recueillis par Philippe PIED

    NDLR : D’autres articles suivent, avec d’autres acteurs économiques présents à Mayotte

    LAISSER UN COMMENTAIRE

    S'il vous plaît entrez votre commentaire!
    S'il vous plaît entrez votre nom ici