Après le passage dévastateur du cyclone Chido, l’île de Mayotte tente tant bien que mal de se relever. Les autorités locales et nationales, fortement mobilisées, s’activent pour secourir les populations sinistrées et reconstruire des infrastructures vitales. Tandis que les habitants relatent leurs témoignages bouleversants, l’État français déploie d’importants moyens humains et matériels. Une délégation gouvernementale d’envergure est d’ailleurs attendue ce lundi, avec à sa tête plusieurs ministres, pour évaluer l’ampleur des dégâts et accélérer l’aide déjà engagée.
Interview d’un chef d’entreprise dans le secteur du bâtiment à Mayotte qui donne sa vision de la situation…
Interview réalisée dimanche 29 décembre, en amont de la visite de la délégation
Comment s’est déroulée la période qui a précédé l’arrivée du cyclone, et quelles précautions avaient été prises à Mayotte ?
Avant même que le cyclone Chido ne touche Mayotte, nous avions déjà reçu plusieurs messages d’alerte de la préfecture. On nous parlait de vents violents pouvant atteindre 120 à 140 km/h, puis les estimations ont été revues à la hausse jusqu’à 130-180 km/h. L’inquiétude a évidemment grandi au fil de ces annonces, mais les autorités ont tout de suite prévenu la population, notamment via des alertes téléphoniques nocturnes très bruyantes, qui nous intimaient de rester à l’abri. Ces alertes étaient stressantes, surtout lorsque votre téléphone sonne en pleine nuit pour vous signaler un danger imminent.
Malgré ces avertissements, personne ne s’attendait à une telle montée en puissance des vents. J’habite à Mamoudou, et dès le début de la nuit, j’ai compris que la situation se compliquerait. Nous avions mis nos voitures à l’abri du mieux possible, nous avions barricadé les fenêtres, et beaucoup de gens avaient fait des réserves d’eau et de nourriture, anticipant les coupures. Il faut savoir qu’en temps normal, Mayotte manque déjà d’eau potable, alors chaque geste de prévention compte.
Pouvez-vous décrire précisément comment vous avez vécu le passage du cyclone, de la nuit jusqu’au lendemain matin, et quels dégâts vous avez subi ?
La nuit a été très éprouvante. Les premiers gros coups de vent sont arrivés tard, et vers quatre heures du matin, j’entendais la pluie s’intensifier. Je me disais que la tempête approchait, mais je ne mesurais pas encore pleinement la gravité de la situation. Peu après l’aube, vers cinq ou six heures, le vent a commencé à redoubler, au point de devenir vraiment inquiétant : des arbres tombaient déjà. Il y a eu une accalmie très brève, puis les rafales sont reparties de plus belle.
Comme mon habitation est sur deux niveaux, avec un étage assez exposé, j’ai rapidement compris que je ne pouvais pas rester dans les chambres. J’ai fini par me réfugier dans la salle de bain, parce que la toiture de l’étage s’est littéralement arrachée. J’ai vu le toit partir, et tout le mobilier de la chambre a été exposé aux rafales. C’était totalement impressionnant et effrayant, on se sent vulnérable. Depuis la salle de bain, j’ai aperçu un volet au rez-de-chaussée se déformer à vue d’œil, jusqu’à ce qu’il soit emporté. Il y avait aussi de l’eau partout, mêlée de terre et de poussière, qui inondait la maison. On n’imagine pas la puissance d’un tel phénomène jusqu’à y être confronté en direct.
« On a l’impression d’être dans une zone de guerre après un bombardement »
Qu’avez-vous découvert à l’extérieur lorsque vous avez pu sortir, et comment cela a-t-il affecté votre quartier ?
Quand le vent a finalement cessé et que j’ai pu quitter la maison, le choc visuel a été terrible. Les arbres autour de chez moi, notamment des manguiers, étaient déracinés ou brisés, jonchant complètement les chemins. Je ne pouvais pas bouger ma voiture car de grosses branches bloquaient l’accès. La végétation était quasiment à plat, comme si un souffle gigantesque avait tout balayé. On a l’impression d’être dans une zone de guerre après un bombardement : des tôles par terre, des débris de toute sorte éparpillés un peu partout.
J’ai ensuite décidé d’aller voir ma voisine, une dame de soixante-dix ans qui habite à cinq minutes à pied, mais le trajet a duré plus d’un quart d’heure à cause de tous les obstacles. Ses vitres avaient explosé, les volets s’étaient envolés. Ensemble, avec un autre voisin, nous avons passé deux jours à déblayer, juste pour créer un accès minimal. Beaucoup de gens autour de nous étaient sans toit, surtout dans des habitations précaires qu’on appelle ici des « bangas en tôle ».
En tant que professionnel du BTP et habitant de Mayotte, comment décririez-vous l’ampleur des dégâts et la situation générale sur l’île, notamment sur les infrastructures et l’accès à l’eau ?
Dans certains quartiers, c’est la désolation totale. Beaucoup de maisons individuelles ont perdu leur toiture, voire leur charpente. Les grands bâtiments industriels, eux, ont certes parfois perdu des plaques de couverture, mais leurs structures ont généralement mieux tenu. Les petites habitations, souvent des constructions légères ou non conformes, ont énormément souffert.
Au niveau de l’eau, nous sommes confrontés à un gros défi. Nous avions déjà un manque chronique d’eau potable à Mayotte, mais avec le cyclone, tout est devenu encore plus compliqué.
« Très vite, un pont aérien a été mis en place par l’État. C’était indispensable parce que l’aéroport avait subi des dégâts et que la tour de contrôle n’était plus opérationnelle pendant un temps. »
Comment la solidarité s’est-elle organisée, et quels rôles ont joué l’État français et les ONG dans cette situation d’urgence ?
Très vite, un pont aérien a été mis en place par l’État. C’était indispensable parce que l’aéroport avait subi des dégâts et que la tour de contrôle n’était plus opérationnelle pendant un temps. Mais dès que cela a été possible, des avions militaires et civils ont transporté des renforts, du matériel, des médicaments et de la nourriture. Des ONG se sont également déployées sur le terrain pour distribuer de l’eau, des vivres et aider à reloger les familles sinistrées dans des centres d’accueil.
Le gouvernement a envoyé une délégation impressionnante : sous-préfets, préfets, ministres, des forces de gendarmerie et de police supplémentaires, ainsi que des équipes de pompiers et de sauveteurs spécialisés (les Formisk) qui ont déblayé les accès routiers. Je dirais que l’aide française s’est mobilisée rapidement, compte tenu de l’ampleur du désastre et des difficultés logistiques. Il ne faut pas oublier que nous sommes sur une île de 374 km², où certains endroits sont difficiles d’accès. Sans cette aide, la situation aurait été ingérable.
Cependant, il y a eu des problèmes de sécurité et de violence : des personnes ont profité du chaos pour piller des maisons, voler du matériel dans les écoles ou dans les centres d’accueil. Les forces de l’ordre font le maximum, mais c’est compliqué. Malgré tout, je vois une présence de l’État très forte, bien plus que ce à quoi certains s’attendaient, et c’est vital pour que Mayotte puisse se relever.
« …je vois une présence de l’État très forte, bien plus que ce à quoi certains s’attendaient, et c’est vital pour que Mayotte puisse se relever. »
Selon vous, comment envisager la reconstruction de l’île et quels sont les enjeux majeurs à prendre en compte (logement, écoles, immigration, etc.) ?
Les priorités immédiates sont de remettre les enfants à l’école et de fournir un toit correct à ceux qui ont tout perdu. Les écoles doivent rouvrir très vite, car la scolarité est cruciale à Mayotte, où la population est jeune. Malheureusement, certains établissements sont endommagés, voire partiellement détruits.
Sur le plan du logement, la situation est problématique. De nombreuses personnes vivent dans des bangas précaires en tôle. Après le cyclone, elles ont reconstruit de la même façon, par nécessité et par urgence. On voit bien que c’est un cercle vicieux : ces habitats seront toujours vulnérables au moindre nouveau cyclone. Il faut donc une vraie politique de l’habitat, avec des constructions pérennes, répondant à des normes antisismiques et anticycloniques, et un contrôle plus strict de l’immigration. Car quand on accueille des gens en situation irrégulière, ils finissent souvent par s’installer dans des zones déjà surpeuplées et vulnérables.
Enfin, la question de l’eau reste capitale : il faut rénover, sécuriser et mieux gérer les installations de production et de distribution. Tout cela demande des financements et une organisation solide. L’État est déjà en action avec des plans de reconstruction et de soutien économique. J’espère que cette dynamique va se poursuivre, parce qu’il y a énormément à faire et que, sans cette aide, Mayotte ne pourra pas s’en sortir seule.
Vous avez mentionné l’arrivée, ce lundi, d’une importante délégation gouvernementale : qui sont ces ministres et qu’attendez-vous de cette visite ?
Ce lundi, une délégation de plus de cinquante personnes doit arriver à Mayotte. Celle-ci est composée du Premier ministre François Bayrou, accompagné d’autres Minisutres et de plusieurs membres du gouvernement. Parmi les ministres présents figurent :
- Manuel Valls, ministre des Outre-mer
- Élisabeth Borne, ministre de l’Éducation nationale
- Valérie Létard, ministre du Logement
- Yannick Neuder, ministre de la Santé
- Thani Mohamed Soilihi, ministre de la Francophonie et ancien sénateur mahorais
Il y aura aussi plusieurs hauts fonctionnaires, y compris des sous-préfets et préfets ayant déjà exercé sur l’île. C’est une visite d’envergure qui, selon moi, témoigne à la fois de l’ampleur des dégâts et de la volonté de l’État de prendre la mesure réelle de la situation sur le terrain.
Les autorités, que ce soit le Président, les ministres ou la préfecture, ont déjà manifesté un fort engagement depuis le début de la crise. Mais avec l’arrivée de ce lundi, nous espérons que le gouvernement va accélérer encore le processus d’aide et de reconstruction. Nous attendons des décisions concrètes, spécialement dans le domaine du relogement des sinistrés et de la remise en état des établissements scolaires.
Le défi, à mes yeux, est aussi de mieux maîtriser la situation démographique à Mayotte, particulièrement en ce qui concerne l’immigration irrégulière qui alourdit la question des logements précaires. J’espère que cette visite ministérielle sera l’occasion de prendre conscience de l’ampleur des besoins. Les habitants, de leur côté, attendent qu’on leur garantisse un avenir : que ce soit en matière d’éducation, d’accès à l’eau, ou simplement de sécurité (il y a malheureusement eu des actes de pillage). Nous espérons qu’ensemble nous puissions lancer un plan d’action rapide et efficace.
Le mot de la fin …
Au-delà des décombres et du choc, c’est la force collective qui porte Mayotte vers l’avant. L’entraide, la présence solide de l’État et le courage de chacun rappellent que, malgré l’adversité, la résilience reste possible.