LA REUNION. Une aérogare bioclimatique en milieu tropical : un pari réussi ?

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aérogare bioclimatique La Réunion

La transformation de l’aéroport Roland-Garros a franchi un cap en mars 2024, avec l’inauguration de sa nouvelle aérogare ouest. Conçue pour accompagner la montée en puissance du trafic aérien régional, cette extension n’est pas une simple réponse à la saturation : elle marque une rupture dans la manière de penser et construire une infrastructure aéroportuaire en milieu tropical. Dès les premières lignes de conception, un pari a été posé : celui de bâtir un bâtiment capable de conjuguer innovation technique, sobriété énergétique et ancrage territorial durable, sans sacrifier le confort des usagers. Et aujourd’hui, c’est un projet d’envergure internationale qui prend forme, mêlant ingénierie de pointe et adaptation au climat. Voici comment La Réunion a réinventé, chez elle, l’aéroport du futur.


Ici, le vent remplace la climatisation

Oubliez les flux d’air glacés des bouches de climatisation. À Roland-Garros, le confort thermique passe par une intelligence climatique intégrée à l’architecture. Le secret ? Une toiture courbée inspirée du relief du Piton des Neiges, et un « canyon central » végétalisé qui scinde le bâtiment en deux ailes.

Cette structure agit comme un puits d’extraction d’air chaud : à mesure que l’air se réchauffe à l’intérieur, il est aspiré naturellement vers le sommet du canyon, pendant que les alizés, ces vents constants venus du nord-est, rafraîchissent les entrées. Les façades en vantelles motorisées régulent ces flux en temps réel, pilotées par une station météo embarquée sur le toit.

Ce dispositif complexe s’ajuste automatiquement selon la direction du vent, le taux d’humidité ou encore la température extérieure, évitant les surchauffes tout en garantissant une ventilation constante. En l’absence de vent, des brasseurs d’air prennent le relais, simulant une brise douce et continue.

Ce choix technique, inspiré de la tradition vernaculaire, repose aussi sur des modélisations complexes. Une maquette à l’échelle 1/150 a été testée à la Soufflerie Jules Verne de Nantes, afin de valider les flux de dépression naturelle. Les résultats ont dépassé les attentes : plus de 30 volumes d’air renouvelés par heure. Cela place le bâtiment au niveau des meilleures normes d’aération hygiénique, tout en restant à l’écoute de son environnement naturel.

aérogare bioclimatique La Réunion

 

Un confort pensé pour le climat tropical

Dès l’arrivée, le visiteur ressent une sensation de fraîcheur discrète, sans jamais être agressé par l’artifice d’une climatisation. Les grands volumes, les surfaces vitrées à contrôle solaire, la végétation endémique qui tapisse les abords et les ilots intérieurs participent à un confort global, visuel et thermique.

Le sol lui-même, en béton lissé, est laissé brut, renforcé par une poudre de quartz qui lui donne une esthétique minérale durable. Ce sol patiné par les pas des voyageurs contribue à l’ambiance thermique du lieu.

L’enveloppe bâtie joue aussi un rôle actif : 51 % de la façade est constituée de vantelles motorisées, version modernisée des traditionnels « nacos« , permettant de maintenir une porosité constante entre intérieur et extérieur.

Leur pilotage informatique permet de fermer les ouvrants en cas d’intempéries tout en conservant la qualité de l’air. Enfin, l’utilisation de matériaux naturels et renouvelables comme le bois contribue à un confort sensoriel global : odeurs, teintes chaudes, acoustique atténuée.

Les économies d’énergie sont à la hauteur : 300 000 euros par an économisés, soit l’équivalent de la consommation de plus de 500 foyers. Au-delà des chiffres, c’est une nouvelle manière d’expérimenter l’espace public aéroportuaire qui est ici proposée.

 

Une réussite réunionnaise du sol au plafond

Ce chantier n’est pas une importation de savoir-faire extérieur. Il est réunionnais dans sa conception, dans sa mise en œuvre, et dans son ambition. Près de 91 % des entreprises mobilisées sont locales, avec une forte implication de la filière bois. *

La charpente est en lamellé-collé, composée de plus de 750 m3 de pin rouge scandinave traité, dont une large partie a été préparée et assemblée à La Réunion. Chaque poutre, chaque arbalétrier a fait l’objet d’une logistique spécifique, notamment pour les pièces les plus massives, acheminées par convoi exceptionnel depuis la métropole.

Pour la dalle du plancher, une technique encore rare dans l’île a été choisie : le corps creux. En intégrant des caissons creux en plastique dans la structure, on allège l’ensemble du plancher, on réduit le volume de béton coulé et on simplifie les passages techniques en sous-face.

Cette technique, issue de projets innovants en Europe, permet ici d’économiser près de 140 m3 de béton. En pleine phase de transition bas carbone du bâtiment, ce type d’optimisation structurelle prouve que l’innovation peut être locale et frugale.

Le chantier a été mené tambour battant en 2 ans et demi, en pleine période post-covid. Cette performance technique et humaine a été distinguée par plusieurs prix nationaux :

aérogare bioclimatique La Réunion

 

Une infrastructure qui change l’échelle

Cette aérogare n’est pas un simple terminal d’arrivée : c’est un outil stratégique de connectivité pour l’île. En prévoyant d’accueillir jusqu’à 3 millions de passagers par an d’ici 2030, La Réunion se dote d’un véritable hub aérien, au service de son attractivité économique et touristique.

Le traitement des bagages a été modernisé pour répondre aux nouvelles normes européennes de sécurité, et la qualité de l’accueil est repensée comme une expérience immersive : grandes verrières, vue sur les montagnes, transition douce entre cabine d’avion et paysage réunionnais.

Pour Huguette Bello, Présidente de la Région, ce projet n’est qu’une étape. L’aéroport doit devenir une plateforme complète, intégrant formation, fret, maintenance et innovation. L’aérogare s’inscrit dans un ensemble d’initiatives portées par la collectivité pour créer une chaîne de valeur autour des activités aéronautiques.

Le financement, à hauteur de 66 millions d’euros, a été porté à 58 % par la Région et les fonds européens (FEDER), avec le soutien de l’ADEME. Cette collaboration multiacteurs est un exemple de coordination territoriale ambitieuse et ciblée.

 


 

Ce projet pionnier ne se limite pas à sa réussite technique. Il incarne une nouvelle façon de construire en Outre-mer : en partant du climat, des ressources locales, et des usages réels. L’aérogare Roland-Garros devient un modèle pour d’autres territoires tropicaux, un exemple de ce que peut être une infrastructure sobre, durable, confortable et adaptée. La suite est déjà en cours : une extension du hall d’enregistrement et une esplanade paysagère sont prévues. La Réunion ne se contente plus de suivre l’innovation : elle la dessine, à même le sol de son principal point d’entrée.

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