« La Réunion ne doit plus être simplement spectatrice de son avenir, elle doit en devenir l’actrice principale en misant sur l’éducation, l’innovation et l’ouverture au monde. »
Un parcours hors du commun
De son enfance à Madagascar à ses mandats politiques marquants à La Réunion, Gilbert Annette a tracé une trajectoire singulière, marquée par un engagement sans faille pour le développement de son île et une vision progressiste de la politique. Ancien maire de Saint-Denis, il revient sur son parcours, ses combats, et sa conception du développement économique et social.
Vous avez grandi entre Madagascar et La Réunion. Comment ces expériences ont-elles influencé votre engagement ?
Mon parcours est un peu atypique. Né à Madagascar, j’ai été marqué très tôt par l’environnement dans lequel j’ai grandi. Mon père était un homme rigoureux, ma mère une femme courageuse. Ils ont fait le choix de la mobilité, et j’ai grandi en naviguant entre plusieurs réalités, ce qui m’a appris très vite l’adaptabilité. J’ai été bon élève, et ma mère, soucieuse de mon avenir, m’a encouragé à poursuivre mes études dans des écoles d’excellence. Ce fut un premier choc : me retrouver parmi des fils d’officiers et de cadres supérieurs, avec une pression immense pour réussir. Cette expérience m’a forgé et m’a donné cette volonté de prouver que, quel que soit son milieu, on pouvait s’imposer.
Comment êtes-vous entré en politique ?
Au départ, ce n’était pas du tout mon objectif. J’ai suivi un parcours en économie et en commerce, ce qui m’a mené à une carrière dans le secteur privé. J’ai même travaillé pour de grands groupes comme L’Oréal. Mais au fil du temps, j’ai ressenti une frustration : je voulais avoir un impact plus direct sur ma communauté. J’ai commencé par des engagements associatifs, puis je suis entré progressivement en politique, porté par l’idée que l’action publique pouvait changer la vie des gens. De fil en aiguille, j’ai pris des responsabilités, jusqu’à devenir maire de Saint-Denis. J’ai aussi été élu député et j’ai occupé plusieurs fonctions au sein du Parti socialiste. Mon engagement s’est renforcé à mesure que j’ai compris les défis structurels que rencontrait La Réunion.
Quel regard portez-vous sur le développement de La Réunion et des Outre-mer ?
La Réunion a un potentiel extraordinaire, mais il faut une vision à long terme. Trop souvent, nous avons fonctionné dans un modèle économique assisté, dépendant des subventions. J’ai toujours défendu une approche proactive : investir dans l’éducation, la formation, et surtout l’ouverture à l’international. Nous devons arrêter de nous enfermer dans des schémas du passé et saisir les opportunités qui s’offrent à nous. Par exemple, La Réunion peut devenir un hub économique dans l’océan Indien en développant des liens avec l’Afrique et l’Asie. De plus, la transition énergétique est une voie essentielle à explorer pour rendre l’île plus autonome et durable. Le tourisme durable est aussi un secteur d’avenir, à condition qu’il soit respectueux de notre environnement et de nos cultures locales.
Vous parlez beaucoup de la jeunesse. Quels sont les leviers pour favoriser leur réussite ?
La clé, c’est l’éducation et l’ouverture. J’ai toujours mis un point d’honneur à renforcer l’apprentissage des langues, notamment l’anglais et le mandarin, dès le plus jeune âge. Nous avons aussi mis en place des bourses de voyage pour permettre aux jeunes de découvrir d’autres horizons, car je suis convaincu que l’ouverture sur le monde est essentielle pour leur épanouissement. Aujourd’hui, nous avons des jeunes qui réussissent partout grâce à ces initiatives. Il faut leur donner confiance, leur permettre de rêver grand et leur donner les outils pour y parvenir. L’entrepreneuriat local doit aussi être encouragé : je crois profondément en la capacité de notre jeunesse à innover et à créer des entreprises compétitives. Nous devons aussi revoir notre modèle éducatif pour mieux accompagner les jeunes qui veulent se lancer dans des métiers techniques ou artisanaux, qui sont essentiels pour notre économie.
« Nous devons rompre avec la dépendance aux subventions et bâtir une économie durable et autonome, ancrée dans nos ressources locales et tournée vers l’international. »
Quels ont été les grands défis que vous avez rencontrés en tant qu’élu ?
Il y en a eu beaucoup ! Quand j’ai été élu maire, j’ai voulu moderniser l’administration, investir dans des infrastructures et améliorer la gestion des ressources. Mais les résistances ont été nombreuses. Il faut comprendre qu’en politique, il y a des enjeux de pouvoir, des intérêts en place. J’ai dû mener des batailles, convaincre, parfois imposer des réformes. Ce n’est jamais simple, mais je n’ai jamais transigé sur mes principes. Par exemple, la refonte des transports en commun a été un projet structurant, mais il a nécessité un combat acharné pour être mis en place. J’ai aussi œuvré pour le développement des énergies renouvelables, car nous ne pouvons plus dépendre uniquement des énergies fossiles.
Que retenez-vous de votre parcours politique ?
Que rien n’est jamais acquis et que chaque avancée demande du courage et de la persévérance. J’ai toujours été animé par la conviction que l’action politique devait servir l’intérêt général et non des intérêts particuliers. J’ai fait des choix, pris des décisions difficiles, mais toujours avec la volonté d’améliorer la vie des Réunionnais. Il faut aussi savoir transmettre et former la nouvelle génération de responsables politiques, c’est un travail indispensable pour assurer la continuité d’un engagement fort. Nous devons encourager l’émergence de nouveaux leaders locaux qui comprennent les enjeux spécifiques de nos territoires et sont capables d’y apporter des réponses adaptées.
Un dernier message ?
La Réunion a tout pour réussir, mais cela passe par un changement de mentalité. Nous devons croire en nous-mêmes, arrêter de nous positionner comme des victimes et devenir des acteurs de notre propre développement. L’avenir appartient à ceux qui osent et qui travaillent dur. Je crois profondément en notre jeunesse et en notre capacité à bâtir un futur prospère. Nous devons continuer à innover, à investir dans l’humain et à renforcer notre autonomie économique pour construire une île plus forte et plus solidaire. Il faut aussi miser sur la coopération régionale : nous avons un rôle clé à jouer dans l’espace de l’océan Indien et nous devons bâtir des ponts avec nos voisins pour un développement mutuel.
Propos recueillis par Philippe Pied