Alors que l’Agence nationale pour la rénovation urbaine s’apprête à lancer un nouveau programme national en 2025, les regards se tournent déjà vers certains territoires en tension. Parmi eux, la Guadeloupe — et plus précisément le groupement de Cap Excellence — retient l’attention. Entre réalités sociales, vulnérabilités climatiques et ambitions locales, le territoire pourrait bien se positionner en précurseur d’un changement de méthode voulu par l’État.
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Cap Excellence, territoire fragile mais stratégique
Cap Excellence, communauté d’agglomération regroupant Pointe-à-Pitre, Les Abymes et Baie-Mahault, cumule depuis plusieurs années les caractéristiques ciblées par les politiques de renouvellement urbain : précarité sociale, habitat vieillissant, enclavement urbain, mais aussi initiatives locales déjà engagées. Le quartier populaire de Lauricisque ou encore celui de Bergevin font partie de ces espaces en quête de transformation durable.
Dans une tribune publiée début avril, un observateur local soulignait justement l’intérêt stratégique que l’ANRU semble accorder à Cap Excellence, après les récentes visites institutionnelles. Il y voyait un territoire « particulièrement concerné« , à la croisée des enjeux climatiques, sociaux et urbains. Cette lecture locale renforce l’idée que la Guadeloupe pourrait devenir un laboratoire des ambitions portées par le programme 2025.
C’est dans ce contexte qu’interviennent deux visites de haut niveau : d’abord celle de Benoît Zeller, directeur opérationnel de l’ANRU en 2024, puis plus récemment, en février 2025, celle d’Anne-Claire Mialot, directrice générale.
Leur présence en Guadeloupe ne doit rien au hasard. Elle acte une reconnaissance officielle des besoins du territoire, mais aussi de son potentiel en tant que terrain d’expérimentation.
La Maison de quartier « Nicaise Ako », à Pointe-à-Pitre, en est une illustration. Ce lieu de vie, profondément ancré dans la mémoire locale, pourrait devenir une vitrine de ce que l’ANRU appelle une « co-construction de la transformation urbaine avec les habitants« . Derrière ce terme, une idée simple : faire avec les gens, pas à leur place.
Ce que propose réellement le rapport « Ensemble, refaire la ville »
Remis au gouvernement en février 2025, le rapport « Ensemble, refaire la ville » trace les grandes lignes de ce que sera le renouvellement urbain dans les années à venir. Au centre de la réflexion, deux urgences combinées : la montée des inégalités territoriales et l’accélération du changement climatique.
Le rapport propose ainsi de réaffirmer la lutte contre la ségrégation socio-spatiale comme une priorité nationale. Pour les territoires ultramarins, cette reconnaissance est cruciale. Trop longtemps considérés comme des cas à part, ils entrent désormais dans le périmètre élargi des politiques publiques de la ville.
Le document recommande également de prendre en compte la vulnérabilité environnementale dans la sélection des quartiers éligibles. Une avancée majeure pour des régions comme la Guadeloupe, confrontées au risque cyclonique, à la montée des eaux et aux déséquilibres fonciers.
Mais au-delà des intentions, le rapport rebat les cartes sur le plan opérationnel. L’ANRU 2025 ne sera pas une simple reconduction des programmes précédents. Il s’agira d’un programme récurrent, articulé avec le cycle municipal, fortement territorialisé, et fondé sur un pacte de confiance avec les collectivités locales.
Parmi les nouveautés notables :
- Une contractualisation basée sur des objectifs clairs, non plus figée mais évolutive.
- Un financement conditionné à la participation effective des habitants.
- Un accompagnement renforcé pour les collectivités à ingénierie limitée.
- Une prise en compte systématique des enjeux climatiques dans la conception urbaine.
En Guadeloupe, une opportunité qui se joue dès maintenant
Pour Cap Excellence, l’opportunité est réelle, mais le défi l’est tout autant. Bénéficier de ce nouveau programme suppose de répondre à plusieurs conditions : être en capacité de poser un diagnostic social fin, de co-construire un projet avec les habitants, de mobiliser des financements croisés et de structurer une ingénierie de projet efficace.
C’est là que le bât pourrait blesser. Le territoire souffre encore d’un manque chronique de moyens techniques et humains. Les dispositifs existent, les élus sont mobilisés, les associations locales aussi.
Mais l’articulation entre tous ces acteurs reste fragile. Pour entrer dans le cadre du futur programme ANRU, il faudra démontrer une cohérence de vision et une capacité à porter des projets intégrés sur la durée.
Le risque est connu : que les territoires les mieux dotés captent les financements, laissant les plus vulnérables une fois de plus à la marge. C’est justement ce que le rapport veut éviter, en proposant un accompagnement différencié selon les capacités locales. Encore faut-il que cette différenciation soit traduite clairement dans les appels à projets et qu’elle tienne compte des spécificités insulaires.
Une vitrine possible d’une politique renouvelée
Si la Guadeloupe, et Cap Excellence en particulier, parviennent à s’inscrire dans cette nouvelle dynamique, alors le territoire pourrait devenir une vitrine de la nouvelle génération ANRU. Cela ne se décrète pas, cela se construit — mais les signaux sont encourageants.
Les visites institutionnelles, la valorisation de projets locaux, la reconnaissance des vulnérabilités climatiques : tous les ingrédients sont réunis pour initier un basculement. Reste à transformer l’essai, avec méthode, rigueur et imagination. Le renouvellement urbain ne sera plus un simple exercice de démolition-reconstruction, mais un levier d’équilibre, d’adaptation et de dignité urbaine.
À l’heure où les territoires se préparent à candidater pour entrer dans le futur programme, Cap Excellence dispose d’une carte à jouer. Peut-être même une longueur d’avance, si la mobilisation reste collective et déterminée. Le rendez-vous est donné pour 2025. Reste à savoir qui saura le saisir.
RESSOURCE À CONSULTER
ENSEMBLE, REFAIRE VILLE – Rapport remis en février 2025