L’encadrement des loyers n’a rien de nouveau. Depuis la loi ALUR en 2014, certaines communes en métropole peuvent plafonner les loyers pour freiner les hausses abusives. En 2018, la loi ÉLAN a transformé ce mécanisme en une expérimentation, ouverte aux villes situées en zones tendues, mais sous conditions strictes.
Le problème ? Les Outre-mer en étaient absents. Jusqu’en août 2023, aucune commune d’Outre-mer ne figurait dans la liste des zones tendues, condition essentielle pour rejoindre le dispositif. Cette exclusion reposait sur un critère démographique et économique jugé inadapté aux réalités des Outre-mer.
Dans ces territoires, le marché locatif est souvent caractérisé par une forte tension, due à un déséquilibre structurel entre l’offre et la demande, une pression foncière accrue et une urbanisation contrainte par le relief et les conditions climatiques.
Lorsque la liste des zones tendues a été mise à jour, il était trop tard : les candidatures étaient closes depuis novembre 2022. Cette situation a entraîné une asymétrie réglementaire entre la métropole et les Outre-mer, alors même que les loyers en Outre-mer atteignent souvent des niveaux supérieurs à ceux de l’Hexagone.
Par exemple, en Guyane, le prix du mètre carré locatif peut excéder les 20 €/m², un niveau comparable à certaines grandes métropoles françaises. De même, à La Réunion et en Guadeloupe, le taux d’effort des ménages locataires est largement supérieur à la moyenne nationale.
Une nouvelle expérimentation spécifique aux Outre-mer
Pour corriger cette exclusion, une proposition de loi présentée au Sénat vise à ouvrir une expérimentation adaptée aux réalités des Outre-mer. Le texte prévoit deux changements majeurs :
- Une réouverture des candidatures jusqu’en 2026 : les collectivités ultramarines classées en zone tendue pourront demander à appliquer un encadrement des loyers. Cette disposition vise notamment à pallier le défaut de synchronisation entre la mise à jour des zonages et les dispositifs d’encadrement.
- Une prolongation de l’expérimentation jusqu’en 2027, au lieu de 2026 en métropole, afin de laisser le temps nécessaire à une évaluation approfondie des effets du dispositif dans des contextes socio-économiques différents.
Contrairement à l’encadrement des loyers métropolitain, cette version est entrièrement facultative : chaque collectivité locale pourra décider de l’appliquer en fonction de ses besoins et de la situation du marché locatif.
Quels territoires sont concernés ?
Depuis août 2023, 38 communes Outre-mer sont officiellement classées en zone tendue, ce qui leur permet de demander l’application du dispositif.
Cependant, la mise en œuvre immédiate reste incertaine. Pour fixer des loyers de référence, un Observatoire Local des Loyers (OLL) est indispensable. Seules La Réunion et la Guadeloupe disposent actuellement de tels observatoires. A contrario, Mayotte, la Guyane et la Martinique ne possèdent pas encore ces outils de suivi, ce qui rendrait l’application effective plus compliquée et retardée.
Quel impact pour les professionnels du BTP et les collectivités locales ?
L’expérimentation soulève plusieurs enjeux pour les acteurs du logement et du BTP :
- Pour les propriétaires-bailleurs : ils devront respecter un plafond de loyer fixé localement, ce qui pourrait réduire leur rentabilité locative et impacter l’attractivité du parc locatif privé.
- Pour les promoteurs et investisseurs : la régulation des loyers peut dissuader les investissements locatifs si les plafonds sont perçus comme trop contraignants. En revanche, une stabilisation des prix pourrait améliorer la visibilité financière des projets immobiliers.
- Pour les collectivités locales : elles bénéficient d’un levier supplémentaire pour réguler le marché locatif, mais doivent s’assurer que cette mesure n’entraîne pas une diminution de l’offre locative.
Une réponse partielle à la crise du logement
Si l’encadrement des loyers vise à freiner l’envolée des prix, il ne répond pas au problème structurel du logement en Outre-mer.
Le déficit de logements est estimé à plus de 110 000 logements manquants, et la production de nouveaux logements est freinée par des coûts de construction élevés (+19 % à La Réunion, +17 % en Guyane en 2023), des difficultés d’accès au foncier et des normes de construction inadaptées aux spécificités climatiques locales.
Pour être efficace, l’encadrement des loyers devra s’inscrire dans une politique plus globale intégrant :
- Un soutien à la construction neuve, notamment par des dispositifs incitatifs pour les investisseurs.
- Une adaptation des règles d’urbanisme pour favoriser la densification et l’optimisation des espaces bâtis.
- Un renforcement des Observatoires Locaux des Loyers pour garantir un suivi précis du marché locatif en Outre-mer.
Un premier pas vers une régulation adaptée ?
Cette expérimentation marque une avancée pour la régulation du marché locatif en Outre-mer. Elle répare une inégalité réglementaire en offrant aux collectivités d’Outre-mer un outil dont elles étaient jusqu’ici privées. Mais sa mise en place et son efficacité dépendront largement des capacités locales à structurer un encadrement cohérent et adapté aux réalités de chaque territoire.