Le secteur du bâtiment est à un tournant. Représentant aujourd’hui 21 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) et consommant jusqu’à 50 % des matériaux extraits globalement, il est l’un des principaux contributeurs à la crise climatique et écologique.
Malgré des avancées en matière d’efficacité énergétique et de matériaux à faible empreinte carbone, les gains réalisés sont annulés par une croissance massive des surfaces bâties et une demande toujours croissante en ressources.
Face à cette situation, le Sufficiency Action Hub, une initiative portée par l’Institut Français pour la Performance du Bâtiment (IFPEB) et soutenue par des partenaires comme l’ADEME et le GlobalABC, propose une approche révolutionnaire : la suffisance.
Ce concept innovant vise à réduire la demande en ressources dès l’origine des projets, en repensant les besoins réels pour construire moins, mieux, et avec moins d’impact.
La suffisance : un concept clé pour repenser le bâtiment
La suffisance, définie dans le rapport 2022 du GIEC, vise à réduire la demande en ressources (énergie, matériaux, sol, eau) tout en maintenant le bien-être des populations. Contrairement aux stratégies d’efficacité énergétique ou de circularité, elle questionne le besoin même de construire.
En d’autres termes, il s’agit de construire moins, avec moins, et mieux.
Adoptée dans certaines initiatives locales, comme la loi Sobriété énergétique en France (2015) ou les politiques climatiques de Genève, la suffisance est aujourd’hui portée à l’échelle internationale par des organisations telles que le GlobalABC et l’ADEME.
Ces acteurs appellent à inscrire ce principe dans les contributions déterminées au niveau national (NDC) des pays dans le cadre de l’Accord de Paris.
Les limites des stratégies actuelles
Malgré les progrès en matière d’efficacité énergétique et d’énergies renouvelables, le secteur atteint ce que les experts appellent un « plafond de décarbonation ». Trois problèmes majeurs émergent :
- Croissance des surfaces de plancher :
D’ici 2060, la surface bâtie mondiale devrait doubler, portée par l’urbanisation et l’augmentation des superficies par habitant. Cette expansion entraîne une demande accrue en matériaux, énergie et eau, aggravant l’empreinte carbone.
- Déchets et artificialisation des sols :
Le bâtiment génère 30 % des déchets mondiaux, soit une projection de 2,2 milliards de tonnes par an d’ici 2025. Parallèlement, la construction empiète sur les terres agricoles et les écosystèmes, amplifiant les conflits d’usage.
- Inadéquation des solutions technologiques seules :
Les gains en efficacité énergétique sont souvent compensés par l’augmentation de la demande (effet rebond). De même, la circularité reste limitée par des contraintes physiques et une croissance persistante des besoins.
La suffisance en action : des solutions concrètes
Pour intégrer la suffisance dans les pratiques du bâtiment, plusieurs actions clés sont nécessaires :
La rénovation et l’optimisation des bâtiments existants doivent devenir prioritaires. Cela inclut la lutte contre la vacance immobilière et la conversion des bâtiments inutilisés à de nouveaux usages. Les investissements dans la rénovation énergétique et structurelle des infrastructures existantes sont essentiels pour éviter des constructions inutiles et réduire les émissions associées.
La croissance des surfaces bâties doit être maîtrisée. Pour cela, les projections de croissance des surfaces de plancher doivent être révisées en tenant compte des limites planétaires. Des politiques ambitieuses de zéro artificialisation nette doivent également être adoptées afin de protéger les sols naturels et agricoles.
Les designs architecturaux doivent être repensés pour réduire leur empreinte environnementale. Les architectes et concepteurs doivent privilégier des designs compacts, capables de réduire jusqu’à 130 kg de CO2 par m², selon une étude française. Il est également crucial de limiter l’utilisation de matériaux à forte empreinte carbone, comme le béton et l’acier, au profit de solutions bio-sourcées et innovantes.
Les gouvernements et la coopération internationale ont un rôle central à jouer. Les États doivent donner l’exemple en intégrant les principes de suffisance dans leurs bâtiments publics. La collaboration entre nations est également indispensable pour partager les meilleures pratiques, harmoniser les réglementations et accélérer une transition équitable à l’échelle mondiale.
Construire moins pour un avenir durable
Le principe de suffisance n’est pas une contrainte, mais une opportunité. En remettant en question le besoin de construire et en favorisant une approche systémique, il offre une voie réaliste pour réduire les émissions, protéger les ressources et répondre aux besoins des populations les plus vulnérables.
Pour réussir cette transition, le secteur du bâtiment doit adopter une nouvelle vision, alliant innovation, responsabilité et équité.
La suffisance n’est pas seulement une solution parmi d’autres : elle est le premier pas vers un avenir durable.
Cet article s’appuie sur les résultats présentés lors du webinaire « Sufficiency and the Built Environment », organisé par le Sufficiency Action Hub le 19 novembre, et sur le rapport publié par l’Institut Français pour la Performance du Bâtiment (IFPEB), en partenariat avec l’ADEME, le GlobalABC et A4MT.
Pour en savoir plus, découvrez le rapport complet et le Replay du Webinaire.