BATI SOLID : reconstruire les règles depuis les territoires…un peu d’historique

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    Face à des normes inadaptées, à des risques toujours plus forts, et à une expertise locale longtemps ignorée, BATI SOLID s’est imposé comme une réponse ambitieuse et collective. Jean-Yves Bonnaire, assistant à maîtrise d’ouvrage pour la CERC Martinique, revient sur le sens profond de cette démarche initiée après 2017, et sur ce qu’ils ont, ensemble, commencé à bâtir.


    Article réalisé le vendredi 21 mars 2025 à Fort-de-France, lors du 1er séminaire de restitution du projet BATI SOLID, porté par les Cellules Économiques Régionales de la Construction (CERC) de Martinique et de Guadeloupe. Un Séminaire très riche en information et décliné en plusieurs articles


    En ouverture de cette restitution attendue, Jean-Yves Bonnaire n’a pas récité une chronologie ou aligné les chiffres. Il a préféré rappeler pourquoi ce projet existe. Pourquoi il était urgent d’agir. Pourquoi BATI SOLID n’est pas un rapport de plus, mais un changement de posture face à une double réalité : celle d’un cadre normatif national qui ne parle pas notre langue, et celle d’une expertise locale trop longtemps marginalisée.

    Il commence par un rappel historique. Dans les années 1990, plusieurs règles spécifiques Antilles avaient vu le jour, fruit d’un vrai travail d’adaptation, salué à l’époque. Mais faute de lien avec la production normative nationale, elles n’ont pas pu évoluer. Elles ont peu à peu été rendues obsolètes par l’empilement des normes européennes, les mutations techniques et les lacunes de diffusion. Ce constat, la délégation sénatoriale aux Outre-mer l’a confirmé en 2017, à travers un rapport sur la production normative qui établissait noir sur blanc que les territoires ultramarins ne sont pas suffisamment associés aux processus nationaux de normalisation.

    Cette même année 2017 fut aussi marquée par une autre alerte : la saison cyclonique exceptionnelle, et les dégâts cataclysmiques à Saint-Martin et Saint-Barthélemy. Deux milliards d’euros de dégâts assurés, selon les données de la caisse centrale de réassurance. Et selon les modélisations faites à l’époque, un cyclone équivalent sur la Martinique ou la Guadeloupe pourrait produire entre 9 et 12 milliards d’euros de dommages assurés, soit bien au-delà des capacités actuelles de couverture. Ce serait, selon Jean-Yves Bonnaire, “un appel direct à l’État”.

    C’est dans ce contexte que le projet BATI SOLID est né. Son ambition ? Ancrer une expertise locale, mettre en commun les savoir-faire, formaliser une nouvelle génération de règles issues des réalités de terrain. Il ne s’agit pas de s’opposer aux normes nationales, mais de construire depuis ici des réponses techniques, humaines, assurancielles, climatiques, adaptées aux Antilles.

    Dès le départ, la méthode a été participative. C’est ce qui fait sa force. Plus de 114 réunions techniques, 182 contributeurs individuels, 13 groupes de travail, des échanges en visio pendant les confinements, des forums publics baptisés “An Ti Kozé” ou “Bokantaj Pawol”, des interventions en Guyane, en Guadeloupe, à Paris, et des dizaines de présentations auprès d’élus, de techniciens, de maîtres d’ouvrage, de bailleurs, d’institutionnels. L’objectif était double : produire des livrables utiles, et faire connaître cette production.

    Mr Bonnaire insiste : ce projet n’a pas seulement vocation à produire des guides. Il s’agit aussi de valider une méthode, une manière de faire à plusieurs, qui pourrait être reproduite dans d’autres secteurs : eau, énergie, logement, gestion des risques… Ce travail, ajoute-t-il, doit aussi servir de vitrine pour valoriser les savoir-faire antillais. Il faut sortir de la logique qui nous enferme dans une position de consommateurs de normes. Nous avons les compétences, les outils, les expériences pour en produire.

    C’est pourquoi BATI SOLID est aussi un projet politique au sens noble, un projet de territoire, qui vise à faire émerger une parole technique forte, cohérente, argumentée, pour revendiquer une place dans les processus décisionnels nationaux. La qualité de la construction n’est pas une affaire technique secondaire. Elle touche à la sécurité, à la durabilité, au confort, à la résilience, et surtout à la justice sociale : car ce sont les plus modestes qui vivent dans les bâtiments les plus fragiles.

    Les livrables produits dans le cadre de BATI SOLID (guides, CCTP types, retours d’expériences, analyses critiques, propositions réglementaires…) doivent désormais être diffusés largement, testés, améliorés, repris. C’est la prochaine étape, mais elle n’est possible que si chacun — entreprises, collectivités, bailleurs, assureurs, élus — accepte de s’y impliquer.

    Et Jean-Yves Bonnaire de conclure :

    “Nous n’avons pas fait ce travail pour nous. Nous l’avons fait pour les populations de nos territoires, pour qu’elles puissent vivre dans des logements sûrs, confortables et moins gourmands en énergie. Maintenant, il faut que cela se voit. Et surtout, que cela serve.”

     

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