BATI SOLID : bâtir mieux, ensemble, pour résister, durer et transmettre…

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Fort-de-France, 21 mars 2025 — Une bonne partie de la journée, ils ont été là. Une cinquantaine de personnes, de la Martinique mais aussi de Guadeloupe, pour assister à ce moment particulier : la restitution publique du projet BATI SOLID, porté conjointement par les Cellules Économiques Régionales de la Construction (CERC) des deux territoires. À l’Hôtel de l’Assemblée de la CTM, il ne s’agissait pas d’une réunion technique de plus. C’était un point d’étape important, presque un passage de relais : après plus de cinq ans de travail de fond, de réunions, d’échanges, de relevés de terrain, il fallait rendre compte. Montrer que le travail avance. Et, surtout, dire que c’est maintenant à chacun de s’en emparer.

Michel NEROVIQUE – Chargé de mission – CERC Martinique

Ce projet, né après les ouragans Irma et Maria, n’est pas juste une étude de plus à archiver. C’est un travail collectif qui interroge la façon dont on construit aux Antilles, dans un monde où les tempêtes sont plus violentes, les ressources plus rares, et les besoins toujours plus pressants. Il s’agit de bâtir des logements, des écoles, des bâtiments publics plus solides, plus sains, plus adaptés, en intégrant les réalités d’ici. Et pour cela, il faut parfois changer les règles du jeu, ou au moins les adapter. C’est exactement ce que propose BATI SOLID.

Deux territoires, une dynamique commune

Dès les premiers mots de l’introduction, Carole Guille, directrice de la CERC Guadeloupe, a insisté sur la dimension interrégionale du projet. Depuis 2022, la Guadeloupe est partie prenante du dispositif, et les groupes de travail ont été coanimés par les deux CERC. Une restitution aura d’ailleurs lieu le 7 mai prochain en Guadeloupe, avec les mêmes objectifs de partage, de confrontation et de projection.

« Ce n’est pas un projet de la Martinique ou de la Guadeloupe, c’est un projet du territoire Antilles. Nous avons beaucoup à mutualiser, à apprendre les uns des autres, sans copier-coller, mais avec intelligence. »

Carole Guille, directrice de la CERC Guadeloupe

La dynamique est donc bien partagée, appuyée par les deux exécutifs régionaux, les partenaires techniques (Action Logement, la DEAL, les CTM et Région Guadeloupe, les bailleurs, les assureurs, les maîtres d’œuvre, les contrôleurs techniques…), et surtout les professionnels du secteur.

Repenser les règles du jeu… depuis le terrain

Jean-Yves Bonnaire, coordinateur du projet pour la CERC Martinique, a rappelé le cœur de la démarche : produire localement des outils fiables, simples et utilisables, pour mieux construire et mieux entretenir. En clair : arrêter de s’appuyer uniquement sur des normes écrites pour d’autres territoires, et qui laissent trop de zones grises, ou pire, qui provoquent des malfaçons.

« Ce n’est pas une question de sophistication technique. C’est une question de clarté, d’adéquation, et de diffusion. Les règles ne doivent pas rester dans les bureaux. Elles doivent arriver jusqu’aux mains de ceux qui construisent. »

Jean-Yves Bonnaire, coordinateur du projet pour la CERC Martinique

Parmi les livrables présentés :

  • un guide de conception parasismique et paracyclonique adapté aux Antilles ;
  • un guide d’entretien des bâtiments en milieu tropical humide ;
  • des CCTP types (documents de marché) corrigés pour intégrer les spécificités locales ;
  • un guide illustré des erreurs fréquentes sur les chantiers ;
  • une analyse critique de la RTM (réglementation thermique) ;
  • une réflexion sur les bâtiments et pièces refuges, en lien avec les réalités sociales et climatiques du territoire.

Entretenir mieux, construire pour longtemps

Parmi les productions majeures du projet BATI SOLID figure aussi un guide d’entretien des bâtiments, spécifiquement conçu pour les Antilles. Loin d’être un manuel austère, ce livret rassemble des recommandations concrètes, classées par type d’ouvrage (charpente, étanchéité, peinture, menuiseries, etc.), avec des conseils sur la fréquence, les bons gestes, les erreurs à éviter, et surtout l’explication des risques en cas d’oubli.

« On ne construit pas pour 10 ans. On construit pour durer, mais à condition d’entretenir. Ce guide vise à faire passer une culture : celle de la maintenance préventive, pas du rafistolage en urgence. »

Ce guide est pensé pour les collectivités, les bailleurs, les syndics, mais aussi les particuliers. Car le coût réel d’un bâtiment, ce n’est pas seulement le prix de sa construction.

Penser “coût global” : construire intelligent, pas seulement moins cher

C’est l’autre révolution discrète que propose BATI SOLID : sortir de la logique du “moins-disant”, qui pousse à choisir les offres les moins chères, sans regarder ce qu’elles coûteront demain. En introduisant la notion de coût global, le projet encourage à intégrer dès la conception l’ensemble des dépenses sur la durée de vie du bâtiment : entretien, réparations, consommations d’énergie, remplacement d’équipements…

« Un bâtiment mal ventilé, mal protégé, mal suivi… finit toujours par coûter plus cher que prévu. »

Cette approche, encore peu appliquée dans les marchés publics, pourrait bien faire évoluer les règles du jeu. Car mieux construire dès le départ, c’est aussi réduire les dépenses futures, améliorer le confort, et préserver les investissements publics.

Du concret, du vécu, du partagé

Paul Quistin, responsable technique chez ANCO et AMO pour la CERC, a été un des artisans du volet technique. Il a présenté plusieurs travaux issus du terrain :

  • Des erreurs classiques repérées sur les chantiers (présence d’eau dans les fouilles, dosage du béton, mauvais chaînage), analysées dans un guide illustré facile à lire et à diffuser.
  • Les propositions du groupe de travail n°4 sur l’étanchéité des toitures-terrasses, avec une révision des pratiques en lien avec le guide CSTB DOM (trop peu appliqué).
  • Les travaux du GT5, sur l’imperméabilisation des façades : un domaine où le DTU est inadapté, car il concerne uniquement la réhabilitation en métropole, alors qu’aux Antilles on imperméabilise dès la construction neuve.

« L’enjeu, c’est la justesse. On ne veut pas surprescrire, ni sous-prescrire. On veut que les chantiers se passent bien, et qu’en cas de pépin, on sache qui est responsable de quoi. »

Paul Quistin, responsable technique chez ANCO et AMO

À chaque fois, des CCTP types sont proposés, pour que les maîtres d’ouvrage puissent les intégrer facilement dans leurs appels d’offre. Le tout accompagné de schémas, d’illustrations et de préconisations concrètes.

La thermique, parent pauvre de la réglementation

Florence Talpe, directrice de KEBATI, a piloté le GT9 consacré à la Réglementation Thermique de Martinique (RTM). Le constat est sans appel :

« La RTM n’a jamais été évaluée. On ne sait pas si elle a eu un impact. Les outils sont vieillissants, les professionnels ne les utilisent pas. Et on confond tout : RTM, RTADOM… »

Florence Talpe, directrice de KEBATI

Le KEBATI propose une révision ambitieuse : nouveaux indicateurs prenant en compte le confort thermique réel, meilleure prise en compte de l’humidité, intégration de l’albédo, accessibilité des outils, formation des acteurs, et surtout portage politique clair.

« Il faut faire des choix. Et il faut qu’ils soient lisibles. La thermique n’est pas qu’une affaire d’ingénieur : c’est une affaire de bien vivre. »

Des bâtiments qui protègent… vraiment

Un moment fort de la journée a été la présentation du guide des bâtiments et pièces refuges, coordonné par Jean-Yves Bonnaire. Un document de plus de 100 pages, qui croise les données techniques, les réalités de terrain, et les usages sociaux.

Il ne s’agit pas seulement de concevoir des abris résistants, mais des lieux vivables, accessibles, accueillants dans la durée, même pour plusieurs jours. On y parle de dignité, de promiscuité, de gestion du genre, de prise en compte des enfants, des personnes âgées, des animaux domestiques, etc.

« Un gymnase où l’on dort à même le sol, sans intimité, sans éclairage de secours, sans toilettes adaptées, ce n’est pas un refuge. C’est un problème en plus. »

Le guide propose des fiches pratiques, des scénarios, des recommandations, et cinq mesures concrètes : pièce refuge obligatoire dans les projets aidés, audit structurel annuel, intégration dans les concours, etc.

Et maintenant ?

Tout cela ne doit pas rester au stade du document. C’est le message final : les guides, les outils, les propositions doivent être diffusés, testés, discutés, adoptés.

Dès maintenant, les livrables sont disponibles sur les sites des CERC. Des formations sont prévues. Une concertation publique va démarrer. Et surtout : la restitution guadeloupéenne du 7 mai prochain permettra de relancer la dynamique et d’élargir encore la base d’acteurs impliqués.

Le plus dur commence peut-être maintenant.

Faire vivre BATI SOLID, ce sera convaincre les maîtres d’ouvrage, les élus, les bureaux d’études, les entreprises, les contrôleurs, les assureurs. Mais cette première restitution l’a montré : le socle est là.

Solide, comme il se doit.

Philippe Pied

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