Le Webconférence du 28 janvier, organisée par l’AQC et le CAUE Guadeloupe a présenté 12 enseignements issus du programme OMBREE sur l’architecture vernaculaire. Ce programme, axé sur la performance énergétique et la résilience des bâtiments ultramarins, repose sur des retours d’expérience de terrain collectés via le dispositif Rex BP.
Florence Hatchi et Joël Aubin, intervenants principaux, ont détaillé les bonnes et mauvaises pratiques observées, ainsi que les solutions adaptées aux risques climatiques et aux exigences locales.
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Programme OMBREE : un cadre pour des solutions adaptées
Le programme OMBREE vise à renforcer la résilience et l’efficacité énergétique des bâtiments en Outre-mer. Il s’appuie sur des partenaires locaux, dont le CAUE Guadeloupe, et sur la méthode Rex BP, qui collecte des retours de terrain.
Ce dispositif permet de capitaliser les observations sur les pratiques constructives pour en dégager des enseignements concrets.
Parmi les outils disponibles, la plateforme Pergola offre un accès à des ressources techniques et des fiches de suivi adaptées aux spécificités de chaque territoire.
Les 12 enseignements à retenir pour une architecture performante
1. Coordination des acteurs lors des projets de réhabilitation
Un manque de coordination entre les différents intervenants peut entraîner la destruction d’éléments patrimoniaux importants, comme cela a été observé sur plusieurs chantiers. Par exemple, des structures remarquables, mal prises en compte dans la stratégie de conservation, ont été remplacées pour des raisons économiques.
Solutions correctives :
- Planifier dès la programmation les éléments à préserver.
- Impliquer les experts du patrimoine (architectes des bâtiments de France, par exemple) dès le début du projet.
- Mettre en place une stratégie de protection adaptée tout au long du chantier.
2. Adaptation d’un bâtiment vernaculaire aux besoins de rafraîchissement
L’adaptation d’un bâtiment vernaculaire peut être compromise lorsque son usage change. Par exemple, des espaces ventilés naturellement deviennent surchauffés si des cloisons empêchent la circulation de l’air. Cette mauvaise gestion entraîne une surconsommation énergétique due au recours excessif à la climatisation.
Solutions correctives :
- Conserver les espaces facilitant la ventilation naturelle.
- Installer des brasseurs d’air pour renforcer le rafraîchissement sans dépendre uniquement de la climatisation.
- Privilégier des ouvrants adaptés aux solutions de confort thermique choisies.
3. Confortement en adéquation avec les risques majeurs
Certaines structures réhabilitées ne prennent pas suffisamment en compte les risques naturels comme les cyclones, les séismes ou les inondations. Par exemple, des poteaux structurels mal dimensionnés ont montré des signes de déformation lors des inspections. Ce manque d’adaptation compromet la durabilité et la sécurité des bâtiments.
Solutions correctives :
- Réaliser des études de dimensionnement adaptées aux risques identifiés sur le site (cyclones, séismes, etc.).
- Appliquer les prescriptions du Plan de Prévention des Risques Naturels (PPRN).
- Contrôler l’exécution des travaux, notamment ceux liés à la structure.
4. Conciliation avec les enjeux du changement climatique
Les bâtiments sont de plus en plus vulnérables aux aléas climatiques, notamment aux inondations causées par des précipitations intenses. Cette situation entraîne une dégradation accélérée des rez-de-chaussée, rendant ces espaces difficiles à exploiter.
Solutions correctives :
- Entretenir régulièrement les infrastructures de drainage (caniveaux, buses).
- Surélever les bâtiments sensibles dans les zones à risque.
- Réserver les espaces exposés aux risques (rez-de-chaussée) pour des usages sans enjeu majeur, comme le stockage ou les parkings.
5. Préservation des chemins d’eau originels
L’imperméabilisation des sols et la suppression des ouvrages de gestion des eaux pluviales perturbent les écoulements naturels. Ces modifications augmentent les risques d’infiltrations en fondation, d’érosion et d’inondations.
Solutions correctives :
- Conserver et entretenir les ouvrages permettant la collecte et l’évacuation des eaux pluviales.
- Favoriser l’infiltration naturelle en préservant les espaces végétalisés.
- Dimensionner correctement les ouvrages de drainage en fonction des risques locaux.
6. Végétalisation des parcelles
La minéralisation excessive autour des bâtiments, comme dans certaines cours d’école, accentue les effets d’îlots de chaleur. Cette absence de végétation provoque un inconfort thermique et limite l’infiltration des eaux pluviales, aggravant les risques d’érosion.
Solutions correctives :
- Déminéraliser les abords des bâtiments et les végétaliser durablement.
- Mettre en place des talus et des zones arborées adaptées aux besoins locaux.
- Prévoir des espaces multifonctionnels (ombrage, réservoirs de biodiversité) pour améliorer le confort thermique et la gestion de l’eau.
7. Maintien des protections solaires adaptées aux façades
La suppression ou le remplacement des dispositifs de protection solaire lors de rénovations est une erreur fréquente. Ces éléments, essentiels en climat tropical, réduisent pourtant les gains thermiques en limitant le rayonnement direct sur les façades. L’absence de protections entraîne une hausse de la température intérieure, augmentant ainsi la consommation énergétique liée au rafraîchissement.
Solutions correctives :
- Profiter des travaux de rénovation pour installer ou rétablir des protections solaires adaptées.
- Ajouter des débords de toiture, des brise-soleil ou des coursives pour ombrager les façades exposées.
- Maintenir ou restaurer les dispositifs existants lorsque leur état structurel le permet.
8. Conservation des espaces de transition : galeries, terrasses
Les espaces de transition, tels que les galeries et les terrasses couvertes, jouent un rôle clé dans le confort thermique des bâtiments vernaculaires. Ils offrent un espace tampon entre l’extérieur et l’intérieur, limitant l’exposition directe au soleil et facilitant la ventilation. Leur mauvaise conception ou leur suppression lors de travaux réduit ces avantages, entraînant inconfort et perte d’espaces exploitables.
Solutions correctives :
- Définir clairement les espaces de transition en fonction des usages (accès, vérandas, terrasses).
- Organiser les activités quotidiennes pour favoriser l’occupation alternée entre les espaces extérieurs et intérieurs.
- Optimiser la ventilation naturelle grâce à des ouvertures adaptées.
9. Utilisation de matériaux à faible impact environnemental
En Outre-mer, la construction repose encore majoritairement sur des matériaux importés et peu adaptés aux contraintes climatiques locales. Cela engendre des problèmes de performance thermique, d’empreinte carbone élevée et de durabilité réduite des ouvrages. Par exemple, les structures intégralement en béton, sans prise en compte de la ventilation, peuvent devenir inconfortables et énergivores.
Solutions correctives :
- Privilégier les matériaux locaux ou à faible impact environnemental (biosourcés et géosourcés).
- Favoriser des solutions mixtes, telles que l’association du béton pour la structure et du bois pour les parties supérieures.
- Intégrer les contraintes climatiques et les risques naturels dans le choix des matériaux.
10. Intégration réfléchie des compresseurs de climatiseurs
Les unités extérieures des climatiseurs sont souvent mal installées, sans emplacement défini ni protection adéquate. Cette mauvaise implantation peut altérer l’esthétique du bâtiment, réduire la performance des systèmes de rafraîchissement et provoquer une usure prématurée due à l’exposition directe aux intempéries.
Solutions correctives :
- Concevoir dès le départ un emplacement dédié pour les compresseurs, avec des protections adaptées contre le soleil et les intempéries.
- Revoir l’installation en garantissant une bonne circulation de l’air autour des équipements.
- Prévoir un accès aisé pour l’entretien et la maintenance.
11. Favoriser les accès aux vues et à la lumière naturelle
Dans certains bâtiments, notamment les bureaux, l’absence d’ouvertures vers l’extérieur limite les apports en lumière naturelle et la ventilation. Ces espaces clos, mal éclairés et insuffisamment ventilés, engendrent un inconfort visuel et mental, ainsi qu’une forte consommation d’énergie liée à l’éclairage artificiel et à la climatisation.
Solutions correctives :
- Créer de nouvelles ouvertures permettant l’accès à la lumière et à une ventilation naturelle.
- Installer des puits de lumière dans les espaces où les ouvertures vers l’extérieur ne sont pas possibles.
- Optimiser l’organisation des espaces intérieurs pour favoriser les circulations d’air et les apports lumineux.
12. Préservation de la végétation remarquable existante
La végétation remarquable autour des bâtiments est souvent négligée ou détruite lors de travaux de construction ou de rénovation. Cette perte d’éléments naturels réduit le confort thermique, détériore le cadre de vie et diminue la biodiversité locale. Par exemple, l’abattage non nécessaire d’arbres adultes prive les espaces de leur capacité d’ombrage naturel.
Solutions correctives :
- Réimplanter des espèces locales adaptées aux conditions du site, tout en tenant compte des contraintes identifiées.
- Assurer la protection des arbres et des éléments végétaux dès le début des travaux.
- Élaborer un plan de gestion des espaces verts pour garantir leur entretien à long terme.
Focus sur l’architecture vernaculaire : principes et évolution
L’architecture vernaculaire, en Guadeloupe comme dans d’autres territoires d’Outre-mer, repose sur l’utilisation de matériaux et de techniques locaux.
Historiquement, les constructions, telles que les cases créoles, étaient conçues pour offrir un confort optimal en réponse aux contraintes climatiques. Ces bâtiments utilisaient des matériaux biosourcés et géosourcés comme le bois, les feuilles de palmier et la terre.
Les dispositifs naturels, tels que les ouvertures traversantes, les protections solaires et les espaces de transition (galeries, terrasses), favorisaient la ventilation et l’ombre, réduisant le recours à des équipements énergivores.
Cependant, avec l’évolution des besoins contemporains et les risques croissants liés au changement climatique, cette architecture a dû s’adapter pour répondre aux nouvelles normes de sécurité et de confort tout en préservant son essence.
L’approche actuelle consiste à réinterpréter ces principes en intégrant des solutions modernes adaptées, telles que des matériaux mixtes bois-béton, des protections solaires performantes et des dispositifs d’économie d’énergie.
Défis et perspectives pour les bâtiments en Outre-mer
Les territoires ultramarins sont confrontés à des risques climatiques accrus, à la nécessité de limiter l’empreinte carbone et à la dépendance aux matériaux importés. Pour répondre à ces enjeux, les professionnels doivent intégrer des solutions adaptées aux spécificités locales. La collaboration entre les acteurs de la construction, soutenue par des initiatives comme les assises de la construction durable, est essentielle pour diffuser les bonnes pratiques et améliorer les référentiels techniques.
Le replay de cette webconférence est disponible sur la chaîne YouTube du programme OMBREE.
L’architecture vernaculaire en Guadeloupe offre des solutions pertinentes face aux défis climatiques actuels.
Les enseignements du programme OMBREE montrent qu’une adaptation réfléchie des pratiques locales, associée à une meilleure coordination des acteurs, est la clé pour bâtir des constructions performantes et résilientes en Outre-mer.