La Martinique pourrait devenir un acteur clé des énergies renouvelables en mer, avec un potentiel technique de 11,8 GW pour l’éolien, dont 63 % pourrait être exploité en éolien flottant. Mais ce potentiel reste largement théorique sans une stratégie claire pour le concrétiser. Le rapport du Cerema, commandité par l’ADEME, explore les conditions de réussite de l’éolien en mer dans ce territoire, en identifiant les gisements exploitables, les infrastructures nécessaires et les enjeux environnementaux à prendre en compte.
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Un gisement d’énergie à portée de main
La Martinique possède un potentiel énergétique unique en mer : 11,8 GW pour l’éolien, dont 63 % pourrait être exploité en éolien flottant. Ces chiffres ne sont pas de simples estimations, mais le résultat d’une analyse rigoureuse menée par le Cerema. Ce potentiel se décline selon la profondeur des zones maritimes :
- Jusqu’à 100 mètres : 765 MW. Ces zones sont idéales pour l’éolien posé, où les éoliennes sont fixées sur le fond marin, garantissant une installation stable et un raccordement facilité.
- Entre 100 et 500 mètres : 1 GW. Cette profondeur marque la transition vers l’éolien flottant. Les éoliennes sont ancrées mais restent libres de suivre les mouvements des vagues.
- Au-delà de 500 mètres : 1,7 GW. Les technologies flottantes deviennent incontournables, captant des vents plus réguliers et puissants, mais nécessitant des ancrages sophistiqués.
Mais pour passer de la théorie à la pratique, des choix stratégiques s’imposent. Identifier les technologies adaptées, sécuriser les zones d’implantation, et garantir un raccordement optimal sont les défis à relever.
Où placer ces éoliennes ? Les zones privilégiées
Tout se joue au Nord-Est de l’île, une vaste zone de 700 km² où les conditions sont idéales pour l’éolien en mer. Le rapport identifie des zones précises :
- MT1 : 88 km², entre 440 et 880 MW de potentiel. Cette zone se caractérise par une profondeur modérée et une proximité relative avec la côte, simplifiant les opérations de raccordement.
- MT4 : 164 km², avec une puissance estimée entre 820 et 1 640 MW. Une zone plus éloignée, mais bénéficiant de vents plus puissants et constants, idéale pour l’éolien flottant.
Ces zones n’ont pas été choisies au hasard. Elles répondent à trois critères essentiels : la vitesse des vents (supérieure à 7 m/s), une bathymétrie adaptée (profondeur contrôlée) et une distance raisonnable de la côte pour faciliter le raccordement.
Un climat qui joue en faveur de l’éolien
La Martinique bénéficie d’un atout naturel : les alizés. Ces vents réguliers soufflent toute l’année, offrant une vitesse moyenne de plus de 7 m/s. Ce paramètre est crucial pour garantir une production stable et continue d’électricité. Ces vents constants permettent aux éoliennes de maintenir une production régulière, un avantage économique majeur pour les exploitants.
Entre potentiel et obstacles : Les défis à surmonter
La Martinique présente une géographie marine unique, mais complexe. La bathymétrie, c’est-à-dire la profondeur des fonds marins, joue un rôle déterminant dans le choix des technologies éoliennes.
Pour l’éolien posé, les installations se limitent aux zones où la profondeur est inférieure à 40 mètres. Les fondations y sont fixées directement sur le fond marin, garantissant une stabilité optimale.
Mais au-delà de 40 mètres, c’est l’éolien flottant qui s’impose. Ce type de technologie repose sur des structures ancrées mais flottantes, capables de s’adapter aux mouvements de la mer. Entre 40 et 1 000 mètres de profondeur, les éoliennes flottantes deviennent la seule option. Mais ce choix impose de relever plusieurs défis :
- Nature des fonds marins : 77 % des fonds de la Martinique sont meubles (sable corallien), avec des récifs coralliens sur les côtes. Une complexité géologique qui nécessite des solutions d’ancrage adaptées.
- Stabilité des structures : Les éoliennes flottantes doivent être ancrées solidement pour résister aux tempêtes tropicales et aux cyclones.
- Technologies d’ancrage : Chaînes métalliques, câbles synthétiques, ou ancrages par aspiration, chaque solution a ses avantages et ses limites.
Brancher l’éolien : Le défi du raccordement électrique
Produire de l’énergie, c’est bien. La transporter, c’est essentiel. Les parcs éoliens en mer nécessitent des câbles sous-marins pour acheminer l’électricité produite jusqu’au réseau terrestre. Mais cette étape cache une série de contraintes techniques :
- Capacité de raccordement : Limite technique de 63 kV pour une distance maximale de 60 km, ce qui impose de positionner les parcs à une distance raisonnable des côtes.
- Sécurité des câbles : Les câbles doivent être protégés des risques de coupure ou de détérioration, notamment par les ancres de navires ou les activités de pêche.
- Poste électrique en mer : Pour les parcs de grande capacité (supérieurs à 100 MW), un poste électrique en mer est nécessaire pour collecter et acheminer l’énergie vers la terre.
Concilier énergie et environnement
La Martinique abrite une biodiversité marine remarquable, mais aussi plusieurs espaces protégés. Ces zones se divisent en deux catégories : les habitats sensibles et les zones légalement protégées.
- Les habitats sensibles : Les récifs coralliens, les mangroves et les herbiers marins. Ces écosystèmes jouent un rôle crucial dans la reproduction des espèces et la protection des côtes contre l’érosion. Toute installation d’éoliennes doit minimiser leur impact, en les évitant ou en adoptant des technologies de faible impact.
- Les zones protégées : Le Sanctuaire Agoa, dédié à la protection des mammifères marins, et le Parc naturel marin de la Martinique, couvrant l’ensemble des eaux territoriales. Ces espaces bénéficient d’un statut de protection réglementaire et toute activité y est encadrée.
Enfin, la coexistence entre les parcs éoliens et les autres usages de la mer reste cruciale. Les pêcheurs, les navigateurs et les autorités de défense doivent être consultés dès la phase de planification.
Une concertation continue entre autorités locales, acteurs économiques, associations de protection de la nature et usagers de la mer reste la clé pour un développement harmonieux des énergies marines.
Des infrastructures portuaires à renforcer
Le Grand Port Maritime de la Martinique : Un pilier stratégique
Le développement de l’éolien en mer repose sur des infrastructures portuaires adaptées. Le Grand Port Maritime de la Martinique (GPMLM) se positionne comme une infrastructure clé pour soutenir cette filière, mais sa capacité actuelle doit évoluer pour répondre aux besoins spécifiques de l’éolien en mer.
Pour accueillir les éoliennes flottantes et leurs composants (flotteurs, mâts, pales, câbles), le port doit disposer de zones de stockage suffisamment vastes. Une superficie de 20 à 60 Ha est requise pour l’assemblage, la maintenance et le stockage des équipements. Ces espaces doivent être configurés pour accueillir des composants volumineux, comme les pales d’éoliennes de 60 à 100 mètres.
Les quais doivent être dimensionnés pour recevoir les navires de transport spécialisés. Une longueur minimale de 160 à 200 m est nécessaire, avec une capacité de charge de 10 t/m². Ces quais doivent permettre le déchargement des pièces lourdes et leur transfert en zone de montage.
Une capacité de manutention et de montage à optimiser
Le Grand Port Maritime ne doit pas se limiter à une simple capacité d’accueil. Il doit aussi renforcer ses capacités de manutention. Des équipements de levage adaptés aux grandes structures sont indispensables.
Cela inclut des grues de grande capacité, capables de soulever des charges jusqu’à 600 tonnes, et des plateformes de pré-assemblage permettant de préparer les turbines et les flotteurs avant leur transfert en mer.
Ces infrastructures doivent garantir un flux de travail fluide. Les zones de montage doivent être équipées pour l’assemblage sécurisé des turbines, avec des équipements spécialisés pour fixer les pales, ajuster les nacelles et sécuriser les câbles de raccordement.
La logistique portuaire doit être optimisée pour minimiser les délais. Une organisation claire entre les quais, les zones de stockage, les aires de montage et les navires de transport est essentielle pour garantir une productivité maximale.
Un moteur pour l’économie locale
Le développement des infrastructures portuaires pour l’éolien en mer représente une opportunité économique majeure pour la Martinique.
Les travaux d’aménagement, la maintenance des équipements et l’assemblage des éoliennes peuvent générer des emplois directs et indirects, mobilisant des ouvriers portuaires, des techniciens de maintenance et des ingénieurs en logistique.
Les entreprises locales, spécialisées dans la manutention, la logistique maritime ou les services techniques, bénéficieront également de ce nouveau marché.
Mais cette dynamique économique repose sur une planification rigoureuse. Les acteurs doivent coordonner leurs actions pour adapter le port aux besoins spécifiques de l’éolien en mer. Une gestion concertée garantira ainsi une exploitation durable et sécurisée.
Comment faire de l’éolien en mer une réussite ?
Le développement de l’éolien en mer en Martinique repose sur une base solide de connaissances techniques. Les études doivent être précises et adaptées aux spécificités locales.
La caractérisation des vents, par exemple, nécessite des relevés météorologiques continus à l’aide de lidar flottants ou d’anémomètres installés sur des mâts offshore. Ces mesures permettront de confirmer la régularité et l’intensité des alizés, un paramètre crucial pour garantir une production énergétique stable.
L’analyse bathymétrique doit être tout aussi rigoureuse. Elle doit identifier les zones les plus favorables aux éoliennes flottantes, tout en évitant les habitats sensibles.
Les technologies d’ancrage doivent également être testées, avec une évaluation de leur résistance aux courants, aux vagues et aux tempêtes. Les solutions comme les ancrages à succion, les chaînes lestées ou les câbles synthétiques doivent être comparées pour choisir les plus adaptés.
Impliquer les acteurs locaux
Le succès de l’éolien en mer repose sur l’acceptation locale. Une concertation active permet d’éviter les conflits d’usage et de garantir une cohabitation harmonieuse.
Les pêcheurs peuvent contribuer à l’identification des zones à préserver, tandis que les associations environnementales doivent évaluer les impacts potentiels sur les écosystèmes marins. Les autorités locales, quant à elles, jouent un rôle crucial dans l’encadrement des projets, en s’assurant du respect des réglementations et en facilitant les démarches administratives.
Moderniser les infrastructures portuaires
Le Grand Port Maritime de la Martinique doit poursuivre sa modernisation. Au-delà des quais et des zones de stockage, il doit disposer de plateformes de pré-assemblage pour les éoliennes flottantes, de grues de grande capacité adaptées aux mâts et pales de grande taille, et de zones de montage sécurisées.
La formation des équipes est tout aussi cruciale. Les techniciens, les ouvriers et les ingénieurs doivent bénéficier de formations spécifiques sur la maintenance des éoliennes offshore, les opérations de montage et les normes de sécurité maritime.
Appliquer les recommandations du Cerema
Le rapport du Cerema fournit une feuille de route claire pour réussir le développement de l’éolien en mer en Martinique. Ses recommandations s’organisent autour de quatre axes principaux :
- Mener des études techniques approfondies, notamment sur les zones de forte pente (500 à 1 000 mètres) pour l’éolien flottant, et renforcer les analyses sur les infrastructures portuaires.
- Institutionnaliser la concertation avec les acteurs locaux, notamment les pêcheurs, les associations environnementales et les collectivités, pour anticiper les conflits d’usage.
- Moderniser les infrastructures portuaires, avec une attention particulière pour le Grand Port Maritime de la Martinique, qui doit renforcer ses capacités de stockage, de pré-assemblage et de manutention.
- Collaborer avec EDF-SEI pour optimiser le raccordement électrique, en sécurisant les liaisons sous-marines et terrestres.
Ces recommandations doivent être intégrées dans une stratégie claire et pragmatique, assurant un développement durable et harmonieux de l’éolien en mer en Martinique.
Consulter ici le rapport d’étude de la CEREMA : ENERGIES RENOUVELABLES EN MER, LE POTENTIEL DE DEVELOPPEMENT DE LA MARTINIQUE – Juillet 2024
L’océan offre à la Martinique une promesse énergétique, mais entre potentiel et réalité, tout dépendra de la volonté des acteurs locaux. Planification, concertation et investissements seront les clés pour transformer ce vent en énergie.