GUYANE. Trois filières clés au défi de la structuration durable

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ressources naturelles en Guyane

Riche d’une nature parmi les plus préservées du monde, la Guyane abrite un potentiel économique encore largement sous-exploité. Forêts primaires, sous-sols aurifères et ressources maritimes composent un triptyque stratégique pour l’avenir du territoire. Mais entre dépendance aux importations, fragilité des chaînes de valeur locales et pressions écologiques, les défis sont de taille. Cette étude explore trois piliers majeurs de l’économie guyanaise : bois, or, pêche. Chiffres à l’appui, elle interroge la capacité du territoire à structurer des filières durables.

La filière forêt-bois : croissance locale, contraintes structurelles

La forêt guyanaise couvre près de 8 millions d’hectares, soit 96 % du territoire. Elle forme l’un des plus vastes réservoirs de biodiversité de France et d’Europe. Cette richesse est au cœur d’une filière forêt-bois qui mobilise 674 salariés et plus de 180 entreprises. Le cœur de l’exploitation repose sur le Domaine Forestier Permanent (DFP), avec environ 826 000 hectares actuellement mobilisés.

L’activité se divise entre la première transformation (sciage, rabotage) et la seconde (menuiserie, charpente, agencement). Le chiffre d’affaires moyen des entreprises dépasse 4 M€, avec une valeur ajoutée estimée à 1,1 M€, soit un taux de 26,8 %. La main-d’œuvre représente une part écrasante des coûts : salaires et cotisations absorbent en moyenne 78 % de la VA. Les marges, proches de 30 %, sont toutefois sensibles aux conditions météorologiques, déterminantes dans la planification des coupes et l’ouverture des pistes.

Le marché du BTP absorbe la majorité des débouchés locaux. Mais la filière peine à couvrir les besoins guyanais, entraînant une hausse continue des importations. En 2023, les exportations ont chuté à 1,6 M€ contre 3,5 M€ d’importations. Ce déséquilibre s’explique aussi par des surcoûts logistiques portuaires qui pénalisent la compétitivité internationale du bois guyanais.

La reprise de la production en 2023 (70 550 m3, +91 %) doit beaucoup aux conditions climatiques favorables. La biomasse forestière, désormais valorisée par quatre centrales locales, constitue un nouveau débouché (55 000 m3). Le Programme régional forêt-bois prévoit d’investir 5 M€/an dans de nouvelles pistes pour tripler la production à l’horizon 2030. Si les volumes suivent, la structuration de la chaîne de valeur, elle, reste en chantier.

L’exploitation aurifère : entre tradition artisanale et ambitions industrielles

L’or façonne l’histoire de la Guyane depuis le XIXe siècle. Aujourd’hui encore, il demeure la première ressource minérale exploitée, avec 1,1 tonne produite en 2023 et 57,8 M€ à l’exportation, soit 42 % des exportations de biens de la région. La filière emploie 415 salariés, dont la quasi-totalité dans l’extraction directe.

Deux types de gisements sont identifiés : l’or alluvionnaire, extrait de manière artisanale, et l’or primaire, plus profond et nécessitant des investissements lourds. Les premiers représentent aujourd’hui l’essentiel de la production, mais leur avenir est incertain : tarissement des gisements, pressions écologiques, et encadrement réglementaire renforcé.

Les autorisations d’exploitation (AEX), délivrées mensuellement par une commission pluripartite, permettent à des PME locales ou des indépendants d’opérer sur de petites surfaces. En 2023, 24 AEX ont été délivrées, marquant une reprise depuis la pandémie. Les entreprises de la filière affichent un chiffre d’affaires moyen de 1,9 M€, une valeur ajoutée de 0,6 M€ et un taux de marge modeste de 17 %.

Au-delà de l’or, la Guyane regorge d’autres ressources stratégiques : coltan (850 t, estimé à 17 M€), bauxite, nickel, uranium, terres rares… Le Gouvernement a lancé en 2025 un inventaire national de 55 matériaux critiques, avec 53 M€ d’investissement pour cartographier les gisements, dont ceux du bassin de Régina. Cette perspective industrielle repositionne la Guyane dans la course aux ressources de la transition énergétique.

La filière halieutique : un potentiel sous-utilisé

Avec 121 746 km2 de Zone Économique Exclusive (ZEE), étendue à 191 741 km2 depuis 2015, la Guyane dispose d’une zone maritime aussi vaste que stratégique. Pourtant, la filière pêche reste faiblement développée, avec seulement 35 entreprises, 277 emplois directs, et des volumes modestes comparés aux pays voisins.

En 2023, les prises totales atteignent 3 178 tonnes : 150 t de crevettes (en fort déclin), 1 070 t de vivaneaux et 1 958 t de poissons blancs. Les exportations chutent de 33,5 % (490,7 t), pendant que les importations grimpent à 1 384 t pour 9,6 M€.

Les crevettiers ne représentent plus que cinq navires, contre plusieurs dizaines dans les années 2000. La rentabilité est entamée par la baisse des cours mondiaux, la raréfaction des stocks et la hausse des coûts (carburant, entretien).

La dépendance à la main-d’œuvre étrangère (80 % des marins) complique le développement local de la filière. Pourtant, des signaux positifs émergent : un plan de modernisation prévoit le renouvellement de 25 navires pour 63,8 M€, financé par l’UE ; un CAP pêche a ouvert en 2024 à Macouria. Des programmes collaboratifs de gestion des stocks halieutiques sont aussi en cours avec les pêcheurs locaux.

La diversification de l’activité vers des espèces pélagiques, peu exploitées aujourd’hui mais valorisées chez les voisins surinamais, pourrait constituer une voie de croissance. La filière pêche reste donc un levier potentiel pour la souveraineté alimentaire régionale.

 


ressources naturelles en Guyane

ÉTUDES THÉMATIQUES – Exploitation des ressources naturelles en Guyane


 

Structurer, transformer, valoriser : les leviers d’un nouveau modèle

Des ressources abondantes, une main-d’œuvre mobilisée, des projets en germination : sur le papier, les conditions d’un développement durable en Guyane sont réunies. Mais les trois filières analysées ici illustrent la même tension : entre richesse disponible et difficulté à en capter localement la valeur.

Structurer des filières durables en Guyane ne relèvera pas d’une réforme unique. Il faudra conjuguer des financements stables, des formations adaptées, une gouvernance partagée et une stratégie de transformation locale. Autrement dit, penser ensemble l’économie, le social et l’environnement. C’est cette équation complexe, mais décisive, que le territoire devra résoudre pour faire de ses ressources un moteur d’avenir.

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