« La réponse à la crise du BTP est une urgence absolue »
Élu en novembre 2024 et officiellement en fonction depuis janvier 2025, Serge Capgras est le nouveau président du Cobaty Martinique, un réseau de professionnels engagés pour le développement du secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP). L’homme n’en est pas à ses premières armes dans ce secteur ! Avec 38 ans d’expérience en tant que directeur d’un bureau d’études, il a participé à des projets emblématiques tels que le stade Pierre Aliker, la mairie du Lamentin, l’extension de l’aéroport Aimé Césaire ou encore des collèges et lycées. Aujourd’hui, en tant que président de cet organisme, il alerte sur la crise profonde qui frappe le BTP en Martinique, mettant en péril des centaines d’entreprises.
Quel est l’état actuel du BTP en Martinique ?
Le secteur traverse une crise structurelle et durable. Nous avons observé une chute importante de l’activité, notamment avec la baisse de la consommation de ciment, un indicateur clé du dynamisme du BTP. Aujourd’hui, nous sommes revenus aux niveaux de 1988 !
Autre problème majeur : la disparition progressive des entreprises. Il devient quasiment impossible de trouver des artisans spécialisés, notamment dans la plomberie et le carrelage. Cette tendance s’explique par des charges trop lourdes, un manque de rentabilité et des délais de paiement trop longs.
S’ajoute à cela la crise du financement des logements sociaux. Lorsqu’un bailleur social lance un appel d’offres, les budgets alloués sont souvent trop bas pour que les entreprises puissent répondre aux consultations. Résultat : Difficultés à pourvoir tous les corps de métiers et les chantiers restent à l’arrêt, et la situation se détériore.
Pourquoi les petites entreprises sont-elles particulièrement en difficulté ?
Les PME et artisans subissent de plein fouet un problème de trésorerie majeur. Beaucoup d’entre eux n’ont pas la capacité financière d’acheter leurs matériaux en avance pour un chantier.
Face à cela, ils se retrouvent contraints de céder leurs créances à des tiers : autrement dit le client qui leur a attribué le marché achète directement les matériaux à leur place. Cela les prive d’une gestion indépendante et les place dans une position de dépendance totale vis-à-vis des fournisseurs et des donneurs d’ordre.
Le risque est énorme : ces entreprises deviennent fragiles, perdent en autonomie et finissent par disparaître.
Comment relancer l’activité et éviter la faillite des entreprises du BTP ?
Il est urgent de revoir le financement du logement social. Aujourd’hui, l’État fixe un budget via la Ligne Budgétaire Unique (LBU), avec un objectif souvent irréaliste. Par exemple, avec 30 millions d’euros, on prévoit le financement de 2000 logements.
Ma proposition est simple : au lieu de fixer des quotas inatteignables, il faut réduire le nombre de logements construits tout en augmentant les budgets alloués par unité. Si l’on prévoit 1000 logements au lieu de 2000, avec un budget plus adapté, les entreprises pourront travailler correctement, être rémunérées à un juste prix et éviter la faillite, prospérer, maintenir et créer des emplois.
Cela profiterait à toute la filière du BTP ainsi qu’à l’économie du territoire de manière générale : entreprises, artisans, fournisseurs et salariés.
Une proposition de loi sur l’encadrement des loyers en Outre-Mer a été déposée par la sénatrice Catherine Belim. Peut-elle améliorer la situation ?
L’encadrement des loyers peut être une bonne chose pour les locataires, mais je ne vois pas en quoi cela aiderait directement le BTP. La crise du secteur n’est pas liée aux loyers, mais au manque de financements et à l’absence d’entreprises disponibles pour construire.
La loi évoque aussi l’adaptabilité des normes aux réalités locales, ce qui est essentiel. Au Cobaty, nous militons avec d’autres depuis longtemps pour l’utilisation de matériaux adaptés à notre climat et aux ressources disponibles dans notre bassin géographique. Par exemple, pourquoi ne pas favoriser les matériaux venant du Brésil ou de la Caraïbe, plutôt que d’importer exclusivement depuis l’Hexagone ?
Cela dit, ces mesures sont des évolutions positives, mais elles ne régleront pas l’urgence actuelle du BTP en Martinique.
Que faut-il faire immédiatement pour éviter un effondrement du secteur ?
L’urgence absolue est de stabiliser les entreprises du BTP. Pour cela, il faut :
- Revoir le modèle de financement des projets en adaptant les budgets aux coûts réels de construction.
- Raccourcir les délais de paiement, car beaucoup d’entreprises coulent simplement faute de trésorerie.
- Encourager l’accès des PME aux marchés publics, en évitant de les placer sous la dépendance des grands groupes ou des fournisseurs.
- Valoriser et relancer la formation dans des métiers qui disparaissent en Martinique, notamment dans le second œuvre.
Si rien n’est fait rapidement, nous risquons de voir le BTP s’effondrer totalement, avec des conséquences désastreuses pour toute l’économie.
Pour Serge Capgras, la crise du BTP en Martinique est bien plus qu’un problème sectoriel : elle touche l’ensemble de l’économie locale. Entre la disparition des entreprises, le manque de financements et la précarité des artisans, le diagnostic est alarmant. Des solutions existent, mais elles nécessitent une réforme urgente du financement du logement social et un soutien réel aux acteurs du BTP. Le temps presse.
Propos recueillis par Philippe Pied