Parois végétalisées et confort thermique sous climat humide : ce que révèle une thèse réunionnaise

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Comment végétaliser les bâtiments dans les DOM tout en améliorant leur performance énergétique ? En 2015, une thèse soutenue à l’Université de La Réunion a posé les bases d’une réponse scientifique rigoureuse à cette question. Expérimentée localement, modélisée numériquement, la toiture végétalisée y apparaît comme une solution technique crédible face aux enjeux du confort d’été, de la gestion de l’eau et de l’adaptation climatique. Dix ans plus tard, ce travail de recherche reste une référence pour concevoir un bâtiment passif et résilient sous climat tropical humide.

Une recherche locale aux enjeux toujours actuels

Le travail d’Aurélien Jean s’inscrit dans une période de transition énergétique, marquée à La Réunion par un double impératif : maîtriser la demande électrique croissante et limiter la dépendance aux énergies fossiles. En 2011, la production d’électricité sur l’île reposait encore à près de 70 % sur des combustibles fossiles importés, alors que l’objectif affiché par les autorités régionales était d’atteindre 100 % d’énergies renouvelables d’ici 2030.

Dans ce contexte, la performance énergétique du bâti constitue un levier stratégique. Or, la spécificité du climat tropical humide – ensoleillement intense, humidité élevée, vents faibles – rend partiellement obsolètes les solutions développées en métropole. L’isolation par l’intérieur ou les vitrages à faible émissivité, efficaces en hiver froid, s’avèrent peu pertinents pour limiter la surchauffe dans les zones littorales réunionnaises.

C’est à cette problématique qu’Aurélien Jean consacre sa recherche doctorale, au sein du laboratoire PIMENT (Physique, Ingénierie, Mathématique pour l’Énergie, l’Environnement et le Bâtiment). L’objectif : évaluer les bénéfices potentiels des parois végétalisées, peu répandues localement mais utilisées dans d’autres contextes urbains denses, et proposer un outil de modélisation fiable pour accompagner leur diffusion.

Des parois végétalisées, oui, mais testées en conditions tropicales

Le travail repose sur l’étude des PCVH (parois complexes végétalisées horizontales), c’est-à-dire des toitures végétalisées intégrant au moins trois couches fonctionnelles : une structure porteuse, un substrat végétal actif et une couverture végétale vivante.

Plusieurs typologies sont passées en revue dans la thèse, mais l’analyse se concentre sur les systèmes extensifs, plus adaptés au contexte insulaire : plus légers (30 à 150 kg/m² en saturation hydrique), nécessitant peu d’entretien, et compatibles avec les portées standards du bâtiment courant. Ces systèmes s’opposent aux toitures végétalisées intensives, lourdes et plus coûteuses à mettre en œuvre.

L’auteur met en place un dispositif expérimental in situ, installé sur le toit d’un bâtiment du campus universitaire du Tampon. Le site est instrumenté avec une chaîne de mesure complète : capteurs de flux de chaleur, thermocouples en différents points de la paroi, capteurs d’humidité relative, pluviomètres, radiomètres et hygromètres.

Ce suivi permet d’obtenir des séries temporelles précises sur les températures de surface, les transferts thermiques et le comportement hydrique de la paroi.

Les séquences météorologiques analysées sont représentatives de différents régimes saisonniers : période sèche, saison des pluies, épisodes cycloniques. Cette diversité permet de tester la robustesse du système végétalisé face aux variations extrêmes, typiques du climat réunionnais.

Résultats mesurés : des gains thermiques et hydriques significatifs

Performances thermiques

L’un des résultats les plus significatifs concerne la température de surface. En période sèche, sur des journées à fort ensoleillement, la toiture nue peut atteindre 65 °C en milieu de journée. La toiture végétalisée, elle, reste en moyenne entre 45 et 50 °C, soit une réduction thermique instantanée de 15 à 20 °C.

Cette baisse de température se traduit par une diminution directe des flux de chaleur transmis vers l’intérieur du bâtiment. Les mesures montrent que les flux thermiques entrants sont réduits jusqu’à 60 % par rapport à une toiture classique, sans ajout de dispositif actif (climatisation ou ventilation forcée). Cette performance permet de répondre aux exigences de confort thermique en période chaude, notamment dans les zones urbaines denses où les effets d’îlots de chaleur sont marqués.

Comportement hydrique et inertie

Les PCV testées démontrent une capacité de rétention des eaux pluviales allant de 25 à 50 mm, selon le type de substrat utilisé. Cette capacité à stocker l’eau en surface puis à l’évacuer lentement par évaporation ou infiltration permet de réduire les pics de ruissellement, en particulier lors d’événements pluvieux intenses, fréquents en saison cyclonique.

Le substrat joue également un rôle d’amortisseur hygrothermique : en journée, il limite la montée en température grâce à son humidité ; la nuit, il restitue lentement cette chaleur, limitant les variations extrêmes. Ce phénomène, appelé déphasage thermique, participe à l’amélioration de l’inertie du bâtiment, en réduisant les besoins de régulation mécanique.

Confort ressenti

L’auteur croise ces données physiques avec les seuils de confort thermique adaptatif établis par la norme ASHRAE 55. Il montre que les PCV permettent, dans certaines configurations, de maintenir une température intérieure perçue dans la zone de confort, sans recours à la climatisation. Ce gain s’avère particulièrement intéressant pour les logements sociaux, les écoles ou les bâtiments publics situés dans les « bas » de l’île.

Une modélisation locale pour mieux concevoir : le code PcvBât

En parallèle de la phase expérimentale, la thèse développe un modèle numérique original : PcvBât. Ce simulateur a été conçu pour modéliser le comportement d’une paroi végétalisée soumise aux contraintes climatiques spécifiques de La Réunion.

Le modèle prend en compte :

  • les transferts thermiques conductifs, convectifs et radiatifs,
  • les transferts de vapeur d’eau (diffusion, condensation),
  • l’évapotranspiration de la couche végétale,
  • les propriétés thermo-hydriques variables du substrat (porosité, capacité thermique, rétention).

Il est couplé au logiciel Isolab, développé au sein du laboratoire PIMENT, pour modéliser l’ensemble du bâtiment. La validation croisée entre les données expérimentales et les résultats du modèle montre un écart moyen inférieur à 5 %, ce qui garantit une bonne fiabilité pour une utilisation en phase de conception.

PcvBât pourrait ainsi être intégré aux outils de simulation thermique utilisés par les architectes, bureaux d’études et maîtres d’ouvrage dans les DOM. Il constitue à ce jour l’un des rares outils calibrés spécifiquement pour les contextes tropicaux humides ultramarins.

Une solution adaptée, sous-exploitée dans les Outre-mer ?

Malgré les résultats probants obtenus dans cette recherche, la diffusion des PCV dans les territoires ultramarins reste très marginale. À La Réunion comme en Martinique ou en Guyane, les toitures végétalisées sont encore perçues comme un luxe ou une expérimentation.

Plusieurs obstacles freinent leur adoption :

  • un cadre technique existant mais encore peu diffusé : le DTU 43.1, les règles professionnelles et le cahier CSTB 2008 encadrent déjà les toitures végétalisées sous climat tropical. Deux arrêtés parus en décembre 2023 précisent les exigences techniques et imposent des taux de végétalisation ou d’ENR dès 2024. Malgré ce cadre consolidé, ces prescriptions restent encore peu connues et rarement mises en œuvre sur le terrain.
  • manque de prescription opérationnelle dans les PLU : en droit, la végétalisation est possible et même encouragée (loi Climat & Résilience, 2022), mais les documents locaux l’intègrent encore trop peu de manière systématique.
  • absence de filière locale structurée : substrats adaptés, savoir-faire en étanchéité et entretien post-installation restent à organiser dans les DOM.
  • retour sur investissement insuffisamment valorisé : bien que des aides pouvant couvrir jusqu’à 30 % du coût soient disponibles (MaPrimeRénov’, aides régionales, primes énergie), elles sont encore trop peu mobilisées sur les projets locaux.

Pourtant, les bénéfices identifiés par la thèse sont en phase avec les priorités actuelles des politiques publiques : résilience des bâtiments, adaptation au changement climatique, sobriété énergétique, lutte contre les îlots de chaleur, biodiversité urbaine. À ce titre, les PCV mériteraient une place plus visible dans les stratégies d’aménagement durable des territoires ultramarins.


Le document de thèse complet est disponible ici, ou sur la plateforme PERGOLA : 

Contribution à l’Étude des Parois Complexes Végétalisées (PCV) – Évaluation de la Performance Énergétique Globale en Climat Tropical Humide


Dix ans après sa soutenance, la thèse d’Aurélien Jean conserve une pertinence technique et scientifique rare. Elle démontre que les parois végétalisées ne sont pas qu’un choix esthétique ou symbolique, mais une solution performante, mesurée, modélisable, adaptée aux contraintes réelles du climat réunionnais.

Alors que la RE2020 entame son adaptation aux Outre-mer, que les épisodes de surchauffe s’intensifient en zone littorale, et que les collectivités déploient des stratégies de végétalisation urbaine, cette recherche fournit un socle concret. Elle démontre que, sous climat tropical humide, une toiture végétalisée bien conçue peut réduire les apports de chaleur de 60 %, retarder les pics thermiques intérieurs, retenir jusqu’à 50 mm de précipitations et limiter le recours à la climatisation dans les bâtiments publics ou résidentiels. Ces résultats validés localement forment une base exploitable pour les bailleurs sociaux, les communes ou les aménageurs souhaitant intégrer la végétalisation comme levier de performance, de confort et de résilience.


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