MAYOTTE. Construire en blocs de terre comprimée : que disent les règles ?

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À Mayotte, la terre crue compressée n’est pas une nouveauté. Depuis les années 1980, plus de 20 000 logements ont été réalisés avec ce matériau local, totalisant environ 40 millions de blocs. En juillet 2022, les professionnels ont franchi une étape clé avec la validation par la C2P d’un référentiel technique local : les règles professionnelles des blocs de terre comprimée (BTC) à Mayotte. Ce document formalise les bonnes pratiques à respecter pour que les constructions en BTC soient durables, sûres et compatibles avec les spécificités climatiques et sismiques du territoire.

Un matériau local bien connu, désormais encadré

Le bloc de terre comprimée (BTC) est un matériau de construction constitué essentiellement de terre crue stabilisée ou non, comprimée mécaniquement à l’état humide, puis immédiatement démoulée. Il se présente sous forme de blocs parallélépipédiques, souvent fabriqués à la main ou à l’aide de presses motorisées sur site, dans un atelier ou sur chantier.

Ce matériau, à faible impact environnemental, est issu des ressources géosourcées locales. À Mayotte, il a longtemps été utilisé de manière empirique, dans un contexte de forte demande en logements. Si le BTC possède d’indéniables qualités — inertie thermique, régulation de l’humidité, faible émission de carbone, excellent confort climatique — son emploi restait jusqu’ici non encadré.

Avec la publication des règles professionnelles, les professionnels disposent désormais d’un référentiel commun, fruit de plus de 35 ans de retour d’expérience local, adossé à la norme XP P13-901 et aux Eurocodes.

Ce document est reconnu par la C2P, ce qui lui donne une légitimité nationale tout en étant adapté aux réalités mahoraises.

Trois usages principaux : porteur, remplissage ou cloison

Les règles professionnelles BTC Mayotte identifient trois grandes applications, chacune avec ses exigences :

1. Maçonnerie porteuse

Les murs porteurs en BTC assurent à la fois une fonction d’enveloppe du bâtiment (protection contre le vent, la pluie, les variations thermiques) et une fonction structurelle (port de charges). Ils doivent :

  • mesurer au minimum 15 cm d’épaisseur (hors enduit),
  • être systématiquement chaînés horizontalement à chaque étage, et verticalement aux angles, jonctions ou grandes longueurs,
  • être constitués de BTC de catégorie Rc ≥ 4,
  • ne pas dépasser R+3, sauf justification particulière,
  • faire l’objet d’une note de calcul structurelle conforme à l’Eurocode 6 et à l’Eurocode 8.

Ces murs peuvent être apparents ou enduits, mais leur conception doit prendre en compte les contraintes de faible résistance à la traction, d’exposition au vent et aux séismes. L’usage du BTC en murs porteurs reste réservé aux bâtiments courants, comme les maisons individuelles ou petits équipements collectifs.

2. Maçonnerie de remplissage d’ossature

Dans ce système, le BTC est intégré entre les éléments d’une ossature porteuse (bois, métal ou béton), sans fonction structurelle. Ce principe est particulièrement adapté aux bâtiments collectifs ou scolaires. Les murs sont :

  • d’épaisseur minimale de 9,5 cm,
  • encadrés par des poteaux ou raidisseurs verticaux,
  • maintenus en tête à l’ossature, via attaches ou systèmes de gorges,
  • posés entre planchers ou linteaux, avec des longueurs limitées pour éviter les désordres.

L’ossature reprend toutes les charges, et le BTC agit comme élément de remplissage, avec un rôle d’isolation thermique et de cloisonnement. Les hauteurs maximales varient selon le type d’ossature : jusqu’à R+5 avec le béton, R+1 avec le bois ou le métal.

3. Cloisons

Les cloisons en BTC sont des murs non porteurs, intérieurs, utilisés pour séparer des espaces :

  • en version simple paroi (9,5 cm) ou double (deux murs de 9,5 cm séparés par isolant),
  • toujours désolidarisées du gros œuvre en tête,
  • encadrées par des raidisseurs sur toute la hauteur,
  • autorisées jusqu’à R+5 (béton) ou R+1 (ossatures bois/métal).

Elles conviennent aux usages résidentiels comme collectifs, avec de bonnes performances acoustiques si les interfaces sont bien traitées.

Fabriquer des blocs de terre comprimée : une étape déterminante

La qualité d’un mur en BTC repose d’abord sur celle des blocs eux-mêmes. Leur fabrication suit un protocole strict, adapté aux matériaux disponibles localement. Les blocs peuvent être produits à partir de terre naturelle, ou de mélanges optimisés comprenant du sable, de la pouzzolane ou de la grave, avec ou sans stabilisation par liants (ciment, chaux).

Chaque formulation doit faire l’objet d’une étude de sol et d’une série d’essais en laboratoire ou sur site, afin d’ajuster la granulométrie, le taux d’humidité et la teneur en liant.

Le processus de fabrication comprend plusieurs étapes :

  1. criblage de la terre, mélange des composants à sec puis à l’état humide,
  2. compactage à l’aide d’une presse (manuelle ou motorisée),
  3. démoulage immédiat, puis cure à l’abri de la pluie.

Le compactage doit être homogène et contrôlé ; toute variation peut affecter la résistance des blocs. Un séchage lent et progressif est essentiel pour éviter les fissures ou les retraits. L’unité de production doit être équipée de zones de stockage ventilées et surélevées pour préserver la qualité des blocs jusqu’à leur mise en œuvre.

 

Des règles à connaître avant de construire

La construction en BTC à Mayotte est soumise à plusieurs contraintes naturelles spécifiques, intégrées dans le référentiel :

Risques climatiques

Mayotte est classée zone 5 cyclonique selon l’Eurocode 1, avec des vitesses de vent de base à 34 m/s. Les murs en BTC doivent donc être protégés des pressions extrêmes par :

  • des débords de toiture suffisants,
  • un calepinage maîtrisé,
  • des dispositifs d’ancrage des toitures robustes.

Risques sismiques

L’île est aussi en zone sismique 3 (modérée), impliquant des vérifications structurelles selon l’Eurocode 8. La maçonnerie BTC, peu ductile, est considérée comme ayant une faible capacité de dissipation (coefficient q = 1,5). Une note de calcul est obligatoire à partir de la catégorie d’importance II (ERP, logements collectifs…).

Conformité à l’humidité des locaux

L’usage des BTC dépend aussi de l’humidité ambiante :

  • autorisés en locaux secs ou moyennement humides (classification EA et EB),
  • autorisés avec précautions en EB+ (salles de bains privatives),
  • interdits dans les locaux collectifs très humides ou avec nettoyage sous pression (type EC).

Épaisseurs et performances

Selon l’usage, les murs BTC doivent respecter :

  • 9,5 cm minimum en cloison ou remplissage,
  • 15 cm minimum en mur porteur standard,
  • 22 cm si des performances coupe-feu réglementaires sont requises.

Les BTC doivent aussi satisfaire aux essais de résistance aux chocs (jusqu’à 900 joules) pour un usage dans les écoles, ERP, bureaux ou logements.

Des précautions à prendre sur chantier

Avant le démarrage, les blocs doivent être contrôlés : résistance (au moins 2 MPa, voire 4 MPa en mur porteur), densité sèche, humidité et dimensions. Le calepinage est à définir précisément pour anticiper joints, ouvertures et chaînages. Les BTC sont stockés sur palettes, hors d’eau, en espace ventilé. Une mauvaise préparation peut compromettre la stabilité des murs.

Pendant la mise en œuvre, le mortier de pose joue un rôle crucial. Sa résistance à la compression doit être comprise entre la moitié et deux fois celle des blocs utilisés. Il est impératif d’utiliser le même type de liant que celui présent dans les blocs, avec un dosage 1,5 à 2 fois supérieur. Le mortier doit présenter une consistance plastique, avec un bon pouvoir de rétention d’eau. Le diamètre maximal des granulats ne doit pas dépasser 4 mm. L’élévation des murs se limite à 1,20 m par jour, et chaque rang doit être parfaitement aligné et stabilisé. Les murs doivent être protégés en permanence contre la pluie, le soleil et les chocs mécaniques.

Le contrôle qualité s’organise autour de deux axes :

  • la fabrication des blocs
  • et la mise en œuvre sur chantier.

Lors de la production, chaque lot de BTC doit faire l’objet de vérifications sur la qualité des matériaux, le taux d’humidité, la densité sèche et la résistance mécanique. Une fiche produit accompagne chaque lot. Les contrôles sont effectués à raison d’un échantillonnage tous les 25 m³, selon la norme XP P13-901. Sur chantier, les vérifications portent sur la conformité du calepinage, l’épaisseur et la régularité des joints, l’aplomb des murs, la planéité et les tolérances de pose. Un plan d’assurance qualité (PAQ) est fortement recommandé, notamment pour les ERP ou les marchés publics.


RÈGLES PROFESSIONNELLES – Blocs de terre comprimée (BTC) – Mayotte


À Mayotte, construire en BTC n’est plus une pratique isolée : c’est désormais une méthode encadrée, partagée et maîtrisée.

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