L’Agence française de développement (AFD) Guadeloupe a récemment publié la première édition de l’Observatoire des Communes de Guadeloupe. Ce document technique, mais accessible dresse un état des lieux clair de la situation financière des 32 communes de l’archipel, sur la base des données consolidées de l’année 2023. L’objectif ? Offrir un support lisible aux élus, aux techniciens, mais aussi aux citoyens curieux de comprendre comment se gèrent les collectivités locales.
Le format du rapport mise sur la pédagogie : chaque indicateur est expliqué, comparé, mis en perspective avec les autres DROM et la métropole. Et les tendances sont parlantes. Revenus, dépenses, épargne, dette, fiscalité, investissement… tout y passe, avec une ambition claire : plus de transparence pour mieux orienter les politiques publiques.
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Des recettes solides portées par la fiscalité locale
En 2023, les communes de Guadeloupe ont enregistré en moyenne 1 851 € de recettes réelles de fonctionnement par habitant. C’est le niveau le plus élevé parmi les DROM et nettement au-dessus de la moyenne nationale (1 404 €/hab). Ce chiffre s’explique principalement par l’importance de la fiscalité locale, qui représente 75 % des recettes de fonctionnement.
L’octroi de mer, ressource ancienne et spécifique à l’Outre-mer, y joue un rôle central. Avec la taxe sur les carburants, il constitue près de la moitié des recettes fiscales communales. Cela permet à la Guadeloupe de présenter un profil plus équilibré que Mayotte ou la Guyane, où la dépendance à cette taxe est plus marquée.
Néanmoins, comme le souligne un rapport de la Cour des comptes, ce levier fiscal a ses limites : il n’allège pas le coût de la vie et ne réduit pas la dépendance aux importations.
Il faut également noter que les recettes des communes sont soutenues par les concours financiers de l’État, au travers de la Dotation globale de fonctionnement (DGF), qui atteint 245 €/habitant en 2023. Cette dotation est en hausse de 2,8 % par an depuis 2019, traduisant une volonté de renforcer les moyens des collectivités ultramarines.
Des dépenses de fonctionnement toujours très élevées
C’est là que le bât blesse. Les communes guadeloupéennes ont dépensé en moyenne 1 631 €/hab. en fonctionnement, un niveau bien plus élevé qu’à La Réunion (1 433 €) ou en France hexagonale. Près de 70 % de cette somme sert à payer les frais de personnel, soit 1 114 €/hab., un record parmi les DROM.
Ces dépenses sont structurellement rigides. La masse salariale, difficile à ajuster à court terme, pèse sur la capacité des communes à dégager de l’épargne pour investir. Le taux de rigidité des dépenses de fonctionnement atteint 70 %, bien au-dessus des autres territoires ultramarins. Cette rigidité limite la marge de manœuvre pour absorber des chocs économiques ou pour initier de nouvelles politiques publiques locales.
L’autre poste significatif concerne les achats et charges externes (274 €/hab.), qui sont en légère hausse malgré une inflation générale de 11 % entre fin 2020 et fin 2023. Cela traduit un effort de modération, mais les contrats de prestations indexés sur les prix continuent de peser.
Une épargne nette en nette amélioration
Et pourtant, il y a du mieux. En 2023, l’épargne nette moyenne des communes atteint 148 €/hab., contre 80 € l’année précédente. Autrement dit, les communes parviennent à dégager davantage de ressources une fois leurs dépenses courantes et les remboursements de dette couverts.
60 % des communes disposent d’une épargne positive, suffisante pour autofinancer une partie de leurs investissements. Cette tendance encourageante est toutefois à nuancer : 19 % affichent encore une épargne nulle ou négative, souvent en raison de déficits cumulés non résorbés.
Cette amélioration est le fruit d’une gestion plus rigoureuse dans certaines communes, mais aussi de facteurs exogènes comme l’augmentation des dotations ou la reprise des recettes post-Covid. La stabilisation de cette tendance reste donc conditionnée à des efforts continus.
Un endettement modéré et sous contrôle
L’encours de dette des communes s’établit à 754 €/hab., en baisse de 4,3 % sur un an. La capacité moyenne de désendettement est très saine : 3,4 années d’épargne suffiraient en moyenne à rembourser la totalité des emprunts. Plus de la moitié des communes sont dans cette situation favorable.
Mais pour environ 15 %, la situation reste tendue. Leur niveau d’endettement combiné à une faible épargne ne leur permet pas d’envisager de nouveaux emprunts. Des arbitrages budgétaires seront inévitables. Certaines communes devront revoir leur stratégie d’investissement, ou mobiliser davantage de recettes propres.
L’investissement repart, porté par les subventions
Les communes de Guadeloupe ont dépensé en moyenne 294 €/hab. en équipement en 2023. C’est une hausse notable après une période de creux liée à la crise sanitaire. Et surtout, cet investissement est principalement financé par des subventions et des participations : elles représentent 62 % des recettes d’investissement, contre seulement 10 % pour les emprunts.
En clair, les communes bénéficient d’un fort cofinancement. Mais leur dépendance à ces aides externes interroge leur capacité à programmer sur le long terme sans fragiliser leur autonomie budgétaire. Les marges d’autofinancement restent limitées, et les variations des flux de subventions peuvent fragiliser des projets structurants.
Il est à noter que les dépenses d’équipement sont encore inférieures à celles observées en Martinique ou à La Réunion. Sur la période 2019-2023, la moyenne guadeloupéenne s’élève à 245 €/hab., soit un niveau médian parmi les DROM.
Les intercommunalités : une pièce encore à positionner
En Guadeloupe, six intercommunalités à fiscalité propre gèrent une partie des compétences communales : déchets, développement économique, aménagement… Elles captent 24 % des recettes de fonctionnement du territoire mais ne réalisent que 20 % des investissements.
Ce décalage révèle un sous-investissement chronique des groupements, qui pourtant devraient devenir des leviers de projets structurants. En comparaison, les intercommunalités de La Réunion ou de Martinique sont plus actives. L’observatoire en appelle donc à une redéfinition du partage des ressources et des responsabilités.
Le renforcement du rôle des EPCI passera par une meilleure ingénierie territoriale, un portage plus stratégique de projets intercommunaux et un dialogue renforcé entre communes et groupements.
L’OBSERVATOIRE DES COMMUNES DE GUADELOUPE – Édition 2024
Une dynamique à conforter, avec vigilance
Le constat est encourageant : les communes de Guadeloupe reconstituent progressivement leurs marges de manœuvre, grâce à une épargne en hausse, une dette maîtrisée, et un retour de l’investissement. Mais cette embellie reste fragile.
Les charges de fonctionnement demeurent très élevées, et certaines communes sont encore dans des situations précaires. Quant aux intercommunalités, elles devront monter en puissance pour jouer pleinement leur rôle dans la construction des territoires.
L’édition 2025 de l’Observatoire, permettra de vérifier si cette tendance se poursuit et si les efforts de redressement engagés se traduisent durablement dans les chiffres.
À l’heure où les défis climatiques, sociaux et économiques se renforcent, la soutenabilité budgétaire locale devient un enjeu majeur pour tout le territoire guadeloupéen.