En tête des sinistres dans les logements collectifs neufs, les douches sans ressaut confirment en 2025 leur statut de point noir de la construction. Bien qu’encadrée par des référentiels techniques récents, leur mise en œuvre continue d’engendrer des pathologies fréquentes et coûteuses. C’est l’un des enseignements majeurs du dernier rapport de l’Observatoire de la Qualité de la Construction publié par l’AQC.
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Une progression alarmante des sinistres en logements collectifs
Entre 2022 et 2024, les équipements sanitaires concentrent 10,5 % des désordres recensés dans les logements collectifs, selon les données issues du dispositif Sycodés. Ce poste arrive en tête du Flop 10 de l’AQC, devant les menuiseries extérieures (8,5 %) et les revêtements muraux ou les toitures-terrasses. Autrement dit, près d’un sinistre sur dix concerne aujourd’hui les équipements sanitaires, avec une tendance clairement orientée à la hausse.
Parmi les éléments concernés, les douches sans ressaut s’imposent comme la principale source de sinistre. « La mise en œuvre de douches sans ressaut ou à faible ressaut, qui ont augmenté pour des questions d’accessibilité, est une source fréquente de fuites et d’infiltrations », observe Johan Dutheil, référent technique Construction chez Groupama Assurances Mutuelles. Le phénomène n’est pas nouveau, mais s’amplifie nettement : la part des sinistres liés à ces équipements a plus que triplé par rapport à la période 1995-2004, ce qui témoigne d’un décalage croissant entre les intentions réglementaires et la réalité des chantiers.
Ce que disent vraiment les retours terrain
Les désordres mis en évidence dans le rapport de l’AQC relèvent avant tout de défauts de mise en œuvre. Parmi les plus fréquents figure le non-respect des prescriptions du NF DTU sur la pose des receveurs. Dans de nombreux cas, les conditions de calage ne sont pas respectées, en particulier avec les receveurs en acrylique, qui se déforment avec le temps. Résultat : les joints se fissurent, laissant l’eau s’infiltrer au droit des bacs.
S’ajoute à cela une confusion persistante entre le joint de finition et le joint d’étanchéité, souvent aggravée lorsque l’encastrement minimal de 5 mm prévu par les règles de l’art est négligé. « Comme pour les maisons individuelles, la raison en incombe principalement à une mauvaise application du DTU traitant de la mise en œuvre des receveurs, avec des conditions de calage non respectées et une confusion entre le joint mastic de finition et celui d’étanchéité », précise Johan Dutheil, cité dans le rapport de l’AQC. Dans certains cas, une absence de pente, une mauvaise planimétrie ou encore l’utilisation de colles inadaptées viennent renforcer la vulnérabilité de l’ouvrage.
Des points singuliers négligés
Outre les erreurs d’ensemble, le rapport attire l’attention sur la mauvaise gestion des zones critiques : les jonctions mur/sol, les raccords autour du siphon ou encore la liaison entre receveur et carrelage. Ces points singuliers, pourtant bien identifiés dans les textes normatifs, sont régulièrement mal exécutés, en particulier lorsqu’aucune coordination inter-lots n’a été prévue en amont. Faute d’un plan d’exécution précis ou d’une fiche de synthèse entre entreprises, chaque intervenant réalise sa partie sans intégration globale.
Par ailleurs, une étanchéité partielle ou incomplète des supports verticaux et du fond de cuve aggrave les désordres, notamment dans les salles d’eau flottantes sur isolant acoustique. Le cumul de ces fragilités techniques explique la fréquence élevée des sinistres dès les premières années de mise en service.
Le rôle crucial de l’entretien
Si les défaillances de pose expliquent l’essentiel des pathologies, l’entretien insuffisant des installations joue également un rôle non négligeable. L’AQC souligne que les copropriétés et syndics interviennent souvent trop tardivement sur des joints détériorés ou des périphéries de receveurs dégradées. Cette négligence accélère les infiltrations.
« Le mauvais entretien des équipements, comme les joints non refaits, joue un rôle aggravant », souligne également Johan Dutheil dans le rapport de l’AQC. Même en présence d’un ouvrage conforme au départ, l’absence de suivi peut compromettre l’intégrité de l’étanchéité, surtout dans les logements collectifs où la maintenance repose sur plusieurs acteurs.
Un écart persistant entre normes et pratiques de chantier
Ce constat est d’autant plus marquant que le cadre réglementaire a récemment été renforcé. Depuis janvier 2025, le guide CSTB V3 encadre de façon précise la mise en œuvre des douches zéro ressaut dans les constructions neuves. Trois solutions techniques y sont validées — la douche maçonnée, le receveur à revêtir et le receveur fini — avec des prescriptions détaillées selon les configurations, les supports et les objectifs acoustiques ou d’accessibilité, comme expliqué dans cet article sur le guide CSTB V3.
Pourtant, les chiffres du rapport montrent que l’existence d’un référentiel ne suffit pas. Les erreurs persistent sur le terrain, preuve que la maîtrise de la pose reste insuffisante. Les difficultés tiennent autant à des choix inadaptés dès la phase projet (mauvais produit ou configuration irréalisable) qu’à une exécution non coordonnée entre corps d’état. À cela s’ajoute l’adaptation aux contraintes propres à chaque chantier : type de plancher, nature du revêtement, configuration acoustique… Trop souvent, ces éléments ne sont pas pris en compte collectivement.
Vers une montée en compétence collective ?
Les experts s’accordent : les désordres actuels ne sont pas le fruit d’un vide réglementaire, mais bien d’une défaillance dans l’organisation du chantier et la rigueur d’exécution. Plusieurs axes d’amélioration peuvent être envisagés pour enrayer cette sinistralité.
Mieux anticiper dès la conception
La majorité des pathologies sont évitables si les bons choix sont faits en amont. Cela suppose de préciser dans les pièces écrites :
- le type exact de receveur (fini, à revêtir, maçonné),
- la nature du plancher (dalle pleine, entrevous, dalle mince),
- les épaisseurs des couches de pose,
- et la présence ou non d’une SCAM.
En logement collectif, l’isolation acoustique impose généralement une SCAM continue. Cette configuration impacte le choix du receveur et nécessite un découplage acoustique précis du siphon. À défaut, les non-conformités acoustiques s’ajoutent aux risques d’infiltration.
Mieux former à la mise en œuvre des systèmes fermés
L’AQC insiste sur les erreurs liées à l’usage partiel de systèmes fermés (receveur + colle + bande + carrelage), alors que ces dispositifs doivent fonctionner comme un ensemble homogène. Certains produits nécessitent une pose validée par AT ou ATEx. Une bande d’étanchéité inadaptée suffit à invalider le système. Il est donc crucial de former les équipes à ces exigences spécifiques, et à l’application rigoureuse des DTU 52.2, 43.5 ou 43.6.
Mieux coordonner les lots techniques
La coordination entre carreleur, plombier et étancheur est souvent absente ou mal cadrée. La confusion entre joint de finition et joint d’étanchéité en est une conséquence directe. Le rapport recommande de formaliser dès l’étude d’exécution des plans cotés et coupes types, qui précisent les limites d’intervention de chaque lot.
Créer des outils de contrôle simples
Des fiches de traçabilité et des checklists de fin de pose, bien qu’encore peu généralisées, permettent de fiabiliser l’exécution. Même si l’AQC ne les cite pas formellement, elles sont de plus en plus intégrées par les entreprises qui cherchent à réduire les reprises post-livraison.
Renforcer la rigueur en phase de prescription
Enfin, la prévention des désordres repose aussi sur les maîtres d’ouvrage et maîtres d’œuvre. Certains sinistres trouvent leur origine dans des solutions non évaluées techniquement, des pièces écrites trop imprécises ou des systèmes incomplets. Valider des solutions compatibles dès le CCTP, avec une exigence sur les systèmes complets et certifiés, peut permettre d’éliminer les configurations à risque avant même l’appel d’offres.
Consulter ici le dernier Rapport d’Observatoire de la Qualite de la Construction – édition 2025 de l’AQC
La douche sans ressaut, devenue incontournable pour l’accessibilité des logements neufs, concentre aujourd’hui la première source de sinistralité dans les logements collectifs. Si les référentiels existent et les solutions techniques sont éprouvées, c’est dans la rigueur d’exécution, la coordination chantier et l’anticipation technique que se joue désormais la performance. Le rapport de l’AQC rappelle, chiffres à l’appui, que les petits défauts de calage ou d’étanchéité coûtent cher… très cher.