En Martinique, l’intégration du végétal dans les projets d’aménagement prend une tournure plus stratégique. Lors du webinaire organisé le 1er juillet 2025 par le Conservatoire botanique national de Martinique (CBN), les intervenants ont rappelé combien le choix des plantes utilisées dans les projets urbains et paysagers influence directement la santé des écosystèmes insulaires.
À travers des exemples concrets, des rappels réglementaires et des outils pratiques, ce rendez-vous a offert aux professionnels des clés pour prescrire, dès la conception, des espèces végétales plus adaptées, plus durables… et locales.
—
Pourquoi privilégier les espèces locales ?
Les espèces dites « indigènes » sont celles qui se sont installées naturellement en Martinique, sans intervention humaine. Elles ont coévolué avec la faune locale et forment des cortèges écologiques spécifiques, essentiels à l’équilibre des milieux.
Contrairement aux espèces exotiques importées, souvent sélectionnées pour des critères esthétiques ou productifs, les plantes locales sont adaptées au climat, aux sols et aux saisons de l’île.
À ce titre, elles nécessitent moins d’eau, d’entretien et de produits phytosanitaires. Elles jouent également un rôle dans la restauration des services écosystémiques : épuration de l’eau, maintien des sols, protection contre les aléas climatiques (comme les mangroves face aux tempêtes), ou encore refuge pour les pollinisateurs.
Enfin, elles participent à une identité paysagère martiniquaise forte, en s’opposant à une végétation standardisée d’inspiration tropicale générique.
Quels sont les risques liés aux plantes exotiques envahissantes ?
Environ 40 % des plantes présentes en Martinique sont exotiques. Parmi elles, près de 4 % sont envahissantes.
Ces espèces se développent rapidement, supplantent les espèces locales et bouleversent les équilibres écologiques. Leur prolifération est aujourd’hui considérée comme l’une des cinq principales causes de perte de biodiversité à l’échelle mondiale selon l’UICN et l’IPBES.
Le webinaire a permis d’illustrer concrètement ces impacts :
- Langue de belle-mère, bambous, noisetier de Cayenne : ils forment des massifs monospécifiques, empêchant les autres espèces de s’implanter.
- Tulipier du Gabon : reconnu pour son nectar et son pollen toxique, il affecte directement les populations de pollinisateurs.
- Spatoglotis plicata : une orchidée ornementale qui entre en compétition avec une espèce locale rare, l’Epidendrum secundum.
Plus insidieusement, certaines plantes exotiques provoquent de l’érosion, empêchent la régénération naturelle par allélopathie (émission d’enzymes dans le sol) ou se disséminent à partir de simples déchets de taille mal gérés.
Lire aussi : MARTINIQUE. Aménagements durables : quelles plantes locales intégrer aux projets BTP ?
Ce que dit la réglementation
Deux principaux arrêtés encadrent aujourd’hui l’utilisation du végétal en Martinique.
L’arrêté du 9 août 2019 (dit « niveau 2 »)
Il interdit formellement la détention, l’introduction, la vente et l’usage d’un grand nombre d’espèces considérées comme potentiellement envahissantes dans les milieux naturels. Ce texte s’appuie notamment sur l’expérience d’autres territoires tropicaux insulaires comme La Réunion.
L’arrêté du 8 février 2018 (dit « niveau 1 »)
Moins connu, il encadre l’introduction de plantes dans les milieux naturels. Il établit une liste positive d’espèces utilisables, obligeant tout acteur à éviter la dissémination d’espèces non autorisées, même depuis un jardin privé. En cas de perte de contrôle (dispersion involontaire), la responsabilité de l’aménageur ou du propriétaire peut être engagée.
À ces deux textes s’ajoute l’arrêté sur les espèces végétales protégées, qui interdit la cueillette, la vente ou l’achat de 38 espèces indigènes spécifiques, sur les 1600 recensées sur le territoire.
Des outils pour agir : guides et ressources disponibles
Pour faciliter l’action des professionnels, plusieurs outils sont déjà disponibles, chacun répondant à un usage spécifique.
Le guide de la DEAL Martinique (2019) recense 25 espèces végétales exotiques envahissantes prioritaires, avec pour chacune des fiches détaillant les impacts, les techniques de lutte, et les recommandations de gestion des déchets. Il s’adresse surtout aux gestionnaires de sites, techniciens, ou agents de terrain confrontés aux invasions végétales dans les milieux naturels ou périurbains.
Le guide de la 3P2FM, conçu au format de poche, est pensé pour les acteurs prescripteurs, comme les paysagistes, bureaux d’études ou services espaces verts. Il permet une identification rapide des espèces réglementées grâce à une présentation visuelle claire, accompagnée de QR codes menant vers des bases botaniques (Exbrayat, Flore illustrée). Il vulgarise également les arrêtés ministériels (niveaux 1 et 2), souvent perçus comme complexes.
Les livrets de l’OFB ciblent quant à eux les établissements commerciaux (pépiniéristes, jardineries), les collectivités et les particuliers. Ils explicitent les interdictions en vigueur, les obligations de déclaration ou de destruction en cas de détention d’espèces interdites, ainsi que les bonnes pratiques de contrôle et de collecte.
Du côté des plantes locales, le guide de valorisation des plantes indigènes du CBN propose des espèces adaptées à différents contextes d’aménagement : exposition (soleil, mi-ombre), humidité, type de sol. Il intègre également des conseils de conception et de choix selon le climat local, mis à jour avec les données de Météo France et la base PortCop. Ce guide peut être utilisé par les maîtres d’œuvre, services techniques communaux ou paysagistes.
En dernier lieu, le guide des itinéraires techniques (ITP) compile 39 fiches de culture pour des espèces locales, allant de la collecte des semences à la plantation. C’est un outil clé pour les pépiniéristes, les agriculteurs ou toute structure souhaitant produire localement du végétal adapté. Un nouveau projet, Pierbois Flambeau, porté par la FAF et la 3P2FM, est en cours pour enrichir ce corpus de 30 espèces supplémentaires.
Et si le label “Végétal Local” n’existe pas encore officiellement en Martinique, son référentiel technique peut d’ores et déjà être intégré dans les CCTP des appels d’offres. Il suffit de prescrire :
- des plants issus de semences locales, récoltées en milieux sauvages,
- un prélèvement sur au moins 15 individus différents (pour garantir la diversité génétique),
- une traçabilité du site de collecte,
- un encadrement du rythme et du volume de prélèvement.
Ce référentiel permet donc, même en amont de la labellisation officielle, de structurer une filière de production végétale locale fiable et durable.
Une végétalisation raisonnée selon les types d’espaces
Le webinaire a proposé une lecture spatiale des prescriptions végétales, pour mieux adapter les plantes aux contextes d’aménagement. L’approche différenciée distingue :
- Milieux urbanisés ou agricoles : tolérance encadrée d’espèces exotiques non envahissantes, notamment pour des usages culturels ou alimentaires (ex. : hibiscus, avocatier).
- Trames vertes ou corridors écologiques : espèces locales à privilégier pour restaurer les continuités écologiques, limiter les risques de dissémination et réduire les entretiens.
- Milieux naturels protégés ou à forte valeur écologique : utilisation exclusive d’espèces strictement inféodées au milieu d’origine, dans une logique de restauration écologique.
Cette gradation permet de concilier réalité du terrain, usages culturels et exigences écologiques.
REPLAY DU WEBINAIRE : « Aménagement et végétalisation en Martinique : Quelles plantes prescrire pour l’aménagement du territoire en Martinique ? »
Les outils présentés lors du webinaire sont en libre accès :
- GUIDE DE SENSIBILISATION EEE FLORE DE LA DEAL – présenté par Ariane JAMIN – téléchargement : https://www.martinique.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/deal_guidevegetal_web-md.pdf | existe aussi pour la faune : https://www.martinique.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/eeea_exe_ok-web-pages.pdf
- GUIDE N2 RECONNAISSANCE DES EEEV INTERDITES DE L’A3P2FM, financement DEAL – présenté par Jeanne DE REVIERS – téléchargement : https://www.martinique.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/l430_eee_deal_page_par_page_web.pdf
- GUIDES DES OBLIGATION LIES AU N2 EEE FAUNE ET FLORE DE L’OFB – présenté par Hugo FLORANCE – téléchargement : pour les collectivités : https://www.ofb.gouv.fr/documentation/martinique-especes-exotiques-envahissantes-nouvelles-obligations-des-particuliers | pour les établissements : https://www.ofb.gouv.fr/documentation/martinique-especes-exotiques-envahissantes-nouvelles-obligations-des-etablissements
- GUIDE DE VALORISATION DES PLANTES INDIGENES EN AMENAGEMENT DE LA DEAL – présenté par Jeanne DE REVIERS – téléchargement : https://www.martinique.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/2025_guide_plantes_locales_dans_les_amenagements.pdf
- GUIDE DES ITINÉRAIRES TECHNIQUE DE PRODUCTION DU CBNMQ – présenté par Justine MBANGUE EKKO – téléchargement : https://cbn-martinique.org/wp-content/uploads/2024/08/Itineraires-techniques-de-production-de-plantes-indigenes.pdf
- SITE AAA DE L’A3P2FM, financement DAAF – présenté par Valentin AIME – téléchargement : https://aaamartinique.org/
- Centre de ressource VEGETAL LOCAL : https://www.vegetal-local.fr/ressources ou vous retrouverez notamment le référentiel technique présenté dans le power-point.
- GUIDE DES PLANTES D’INTÉRÊT APICOLE réalisé par FREDON Martinique : https://fredon.fr/martinique/sites/default/files/Guides%20et%20fiches%20techniques/Plantes%20d’interet%20apicole.pdf