Les retards de paiement, véritable talon d’Achille de l’économie française, repartent à la hausse. Après une décennie d’efforts et une embellie observée entre 2020 et 2022, la tendance s’inverse en 2023 et se confirme en 2024. Le rapport annuel de l’Observatoire des délais de paiement (ODP) souligne que la France repasse au-dessus de la moyenne européenne, fragilisant les trésoreries des PME et TPE, déjà sous pression.
Le secteur du BTP et les territoires ultramarins figurent parmi les plus touchés, tandis que le Sénat et le gouvernement préparent des mesures législatives pour enrayer cette spirale.
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Des retards qui repartent à la hausse en 2024
Après plusieurs années de baisse continue à la suite de la crise sanitaire, les délais de paiement repartent à la hausse en France. Selon le rapport annuel 2024 de l’Observatoire des délais de paiement (ODP), le retard moyen atteint 13,6 jours au quatrième trimestre 2024, contre 12,6 jours un an plus tôt. La France repasse ainsi au-dessus de la moyenne européenne (13,4 jours).
Cette dégradation intervient dans un contexte économique tendu, marqué par des trésoreries fragilisées, une inflation persistante et un ralentissement d’activité dans plusieurs secteurs. Les chiffres rappellent à quel point les retards de paiement constituent un risque systémique pour les entreprises : ils entraînent un effet domino qui fragilise toute la chaîne économique.
En 2024, seulement 46 % des entreprises françaises paient sans retard, contre 49 % en 2023. Les microentreprises restent les plus vertueuses (plus de 80 % respectent le plafond légal de 60 jours), tandis que les grandes entreprises demeurent les moins bonnes élèves : une sur deux seulement paie à temps, avec des retards qui atteignent en moyenne 18 jours pour les organisations de plus de 1 000 salariés.
Selon les estimations de la Banque de France, la persistance des retards prive les PME de 15 milliards d’euros de trésorerie en 2024. Ces pertes se répercutent directement sur leur capacité à investir, recruter ou simplement maintenir leur activité.
Le BTP face à des déséquilibres structurels
Le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP) illustre parfaitement les tensions générées par les délais de paiement.
Bâtiment : un écart persistant entre clients et fournisseurs
Dans le bâtiment, les améliorations observées en 2022 se sont prolongées en 2023, mais les déséquilibres demeurent. Les créances clients se situent à 71 jours de production, leur plus faible niveau depuis 2016. Les délais fournisseurs, y compris les sous-traitants, atteignent 60 jours de production.
Cet écart de 11 jours entre délais clients et délais fournisseurs reste défavorable aux trésoreries, même s’il s’est réduit depuis 2020. Les entreprises doivent en effet financer la différence entre ce qu’elles encaissent et ce qu’elles versent, une contrainte particulièrement lourde pour les artisans et les TPE.
Le recul de l’activité accentue ces difficultés : la CAPEB a enregistré une baisse de –3,9 % de l’activité des entreprises artisanales du bâtiment en 2024. En parallèle, 27 % des entreprises artisanales déclaraient une dégradation de leur trésorerie au quatrième trimestre 2024, et 22 % exprimaient des besoins urgents de liquidités. Les causes évoquées sont multiples : baisse d’activité (55 %), allongement des délais de paiement (45 %) et impayés (30 %).
Travaux publics : amélioration relative, mais trésorerie en tension
Dans les travaux publics, les délais de paiement clients (qui intègrent les délais cachés des donneurs d’ordre) reculent à 80,7 jours en 2023, contre 85,1 jours en 2022. Les délais fournisseurs suivent la même tendance et passent à 73,6 jours, contre 76,7 jours l’année précédente.
Malgré cette amélioration, la trésorerie nette du secteur continue de se détériorer, tombant à 43,7 jours de production en 2023 (contre 48 jours en 2022). Les retards de paiement trouvent souvent leur origine dans le non-respect de la réglementation par les maîtres d’ouvrage et maîtres d’œuvre. Des pratiques contractuelles abusives, telles que le refus injustifié de factures ou l’obligation de dépôt avant une date fixe, aggravent les tensions.
La plateforme Chorus Pro, censée fluidifier les transactions, reste mal utilisée par certains acteurs, générant des blocages. Des améliorations techniques sont prévues en 2025, notamment pour limiter les rejets de paiements. Mais sur le terrain, l’absence de paiement des intérêts moratoires et la multiplication de pénalités contractuelles continuent d’asphyxier les PME et TPE du secteur.
Des délais critiques dans les Outre-mer
Si la situation est préoccupante à l’échelle nationale, elle devient critique dans les territoires ultramarins, où les délais de paiement demeurent très supérieurs à ceux observés en métropole.
Entreprises ultramarines : des écarts persistants
En 2023, les délais clients atteignaient 42 jours de chiffre d’affaires et les délais fournisseurs 48 jours d’achats. Ces niveaux restent supérieurs de 11 à 12 jours à la moyenne nationale. Les entreprises ultramarines respectent globalement le seuil légal de 60 jours, à l’exception notable de Mayotte, où les délais fournisseurs atteignent 61 jours.
Selon l’ODP, 27 % des entreprises ultramarines subissent encore des retards de paiement, avec un impact estimé à 713 millions d’euros de trésorerie nette en moins.
Collectivités locales : un délai encore trop long
En 2024, les délais de paiement des collectivités ultramarines s’améliorent, passant de 42,4 jours en 2023 à 39,2 jours en 2024. Une baisse de 3,2 jours en un an, mais qui reste bien au-delà de la métropole (19,3 jours) et du seuil réglementaire de 30 jours.
Cette situation s’explique par des difficultés structurelles : trésoreries fragiles, inscriptions budgétaires insuffisantes, masse salariale élevée, insularité et risques naturels. Des efforts ont été amorcés (contrats COROM, services facturiers, mobilisation des DRFIP), mais ils ne suffisent pas encore à redresser durablement la situation.
Secteur hospitalier : une crise aiguë
La situation est particulièrement grave dans les hôpitaux publics ultramarins. Le délai moyen de paiement y atteint 121,5 jours en 2024, contre 111,4 jours en 2023, soit plus du double du plafond réglementaire fixé à 50 jours. Ces retards chroniques mettent en péril la relation entre établissements et fournisseurs locaux, déjà fragilisés.
La FEDOM alerte régulièrement sur ce problème, qualifiant la situation de « catastrophique ». L’organisation propose d’étendre à l’hôpital public l’obligation de publication des délais de paiement, déjà appliquée aux collectivités locales depuis 2024, afin de renforcer la transparence.
Consulter ici le Rapport de l’Observatoire des délais de paiement 2024
Vers un durcissement législatif
La dégradation des délais de paiement a conduit le gouvernement et le Parlement à réagir. Au Sénat, une proposition de loi est en préparation, sous l’égide de la délégation aux entreprises présidée par le sénateur Olivier Rietmann (LR). L’objectif : donner un cadre plus contraignant et sanctionner plus sévèrement les mauvais payeurs.
La ministre déléguée Véronique Louwagie a rappelé que les PME étaient « les premières à payer et les dernières à être payées », dénonçant une situation « injuste » et « préjudiciable à l’économie ». Elle propose un rehaussement du plafond des sanctions jusqu’à 1 % du chiffre d’affaires mondial des entreprises contrevenantes, en plus de contrôles renforcés par la DGCCRF.
François Bayrou a confirmé que la lutte contre les retards de paiement ferait partie des grandes orientations du budget 2026. Selon Coface, un quart des défaillances d’entreprises est directement lié à des impayés, ce qui justifie cette priorité politique.
La FEDOM, pour sa part, va plus loin et propose de faire du dépassement excessif du délai global de paiement (DGP) un motif d’ouverture de contrôle budgétaire par les chambres régionales des comptes, à la demande du préfet. Une réforme législative jugée nécessaire pour mettre fin à ce qu’elle qualifie de « cavalerie budgétaire » dans certaines collectivités locales.
Source : Public Senat
Les délais de paiement restent l’un des maillons faibles de l’économie française, avec un impact massif sur la trésorerie des PME et des TPE. Le BTP et les Outre-mer en subissent particulièrement les conséquences, entre déséquilibres structurels et retards chroniques. Les prochains mois diront si le renforcement annoncé des sanctions et l’initiative sénatoriale permettront enfin de rompre cette spirale.