Matériaux biosourcés : une solution locale pour un enjeu global

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matériaux biosourcés

En 2023, les matériaux biosourcés représentaient 11 % des isolants utilisés dans le bâtiment, soit 28 millions de m² posés en France. Une progression rapide, +95 % depuis 2016, mais encore bien loin des ambitions portées par la transition écologique. Alors que la réglementation prévoit leur intégration obligatoire dans 25 % des projets publics dès 2030, le Cerema publie un guide pour accompagner les maîtres d’ouvrage. Mais généraliser ces matériaux ne se décrète pas : cela se prépare, s’anticipe, et s’organise.

Le secteur public, locomotive attendue de la construction bas carbone

Depuis l’entrée en vigueur de la RE2020, la décarbonation du secteur du bâtiment s’est imposée comme une priorité réglementaire. Les seuils d’émission de gaz à effet de serre deviennent progressivement plus stricts jusqu’en 2031, contraignant les acteurs à réinterroger leurs modes constructifs.

Dans ce contexte, les matériaux biosourcés — paille, chanvre, bois, laine de mouton, fibres recyclées — apparaissent comme des alliés naturels : ils absorbent le CO₂ durant leur croissance et le stockent une fois intégrés dans le bâti.

Mais la nouveauté de cette publication du Cerema, c’est d’insister sur le rôle spécifique du maître d’ouvrage public. L’article L228-4-1 du Code de l’environnement prévoit qu’à compter du 1er janvier 2030, 25 % des rénovations et constructions de la commande publique devront intégrer des matériaux biosourcés.

Une obligation qui confère au secteur public une mission de démonstration et d’entraînement. Il ne s’agit plus de quelques expérimentations exemplaires, mais bien d’un changement d’échelle.

Des solutions techniques crédibles, désormais bien documentées

L’un des messages forts du guide est limpide : la maturité technique est là. Les matériaux biosourcés disposent aujourd’hui de normes, d’avis techniques, de méthodes de pose éprouvées et d’une filière de plus en plus professionnalisée.

Sur le terrain, les références se multiplient : isolants thermiques et acoustiques, structures bois, briques de chanvre ou de terre crue, enduits mixtes.

Leur efficacité est désormais mesurée et documentée. Un mur en paille de 40 cm d’épaisseur présente une empreinte carbone négative de –14 kg CO₂/m², quand un mur en parpaing standard dépasse les +100 kg CO₂/m².

En parallèle, leur faible émission de composés organiques volatils améliore significativement la qualité de l’air intérieur, un critère de plus en plus valorisé dans les bâtiments publics recevant du public (écoles, crèches, hôpitaux).

Leur compatibilité avec les matériaux traditionnels — notamment le béton — ouvre aussi la voie à des projets hybrides, adaptés aux contraintes techniques locales. La mixité des solutions devient la norme plutôt que l’exception.

Mettre en œuvre du biosourcé : un changement d’approche, pas un simple choix de matériaux

Mais construire ou rénover en biosourcé ne s’improvise pas. Le Cerema insiste : l’anticipation est la clé, et elle commence dès la phase de programmation.

Clarifier les ambitions environnementales, s’entourer d’un AMO spécialisé, engager un dialogue avec les filières locales pour connaître les matériaux disponibles, structurer le budget et les performances attendues : autant d’étapes essentielles pour que le projet tienne ses promesses.

Les exemples de réalisations en France témoignent de cette diversité d’approches. À Orvault (Loire-Atlantique), une commune a mobilisé un chantier d’insertion pour produire des briques de terre crue, associées à une isolation en laine. À Clermont-Ferrand, un lycée de 16 000 m² combine ossature bois et remplissage en paille.

Dans les Hauts-de-France, le bailleur Maisons & Cités a opté pour le béton de chanvre dans la rénovation thermique de son parc minier. À Angers, une ZAC de 305 logements fait appel à une triple combinaison : paille, chanvre, terre crue.

Dans ces projets, le recours à un prototype s’est souvent révélé décisif pour sécuriser la mise en œuvre. La cité administrative de Laval (Mayenne), par exemple, a utilisé un caisson d’isolation testé sur deux bureaux pour fiabiliser le procédé. Résultat : baisse des incertitudes, des surcoûts, et du temps de chantier.

Des retombées territoriales concrètes et stratégiques

Au-delà de l’empreinte carbone, l’intérêt des matériaux biosourcés est aussi économique et social. Produits localement, transformés sur place, mis en œuvre par des artisans formés, ils structurent des chaînes de valeur de proximité.

En 2023, le secteur de la construction bois employait plus de 132 000 personnes en France, avec 10 000 à 12 000 embauches supplémentaires prévues d’ici fin 2025.

Le document du Cerema met aussi en avant l’enjeu de la formation. Le programme “Ambassadeurs des matériaux biosourcés”, financé par le ministère de la Transition écologique et porté par les DREAL, permet de sensibiliser les maîtres d’ouvrage publics.

Des réseaux régionaux — Batylab, CD2E, Envirobat Occitanie — animent le secteur et contribuent à diffuser les compétences. Pour les Outre-mer, où la question de l’importation des matériaux est centrale, ces dynamiques offrent une opportunité forte de relocalisation industrielle.

Et dans les Outre-mer ?

Les matériaux biosourcés peinent à s’imposer dans les territoires ultramarins, malgré des ressources agricoles disponibles (bagasse, fibre de coco…) et une forte dépendance aux importations. Humidité, normes sismiques et logistique complexifient leur mise en œuvre.

Mais la structuration de filières locales offrirait un triple levier : réduction carbone, emploi qualifié, relocalisation industrielle. Encore faut-il que la commande publique ultramarine s’en empare avec un accompagnement adapté.

Une transformation freinée par des blocages structurels persistants

Si les outils sont en place, la massification reste fragile. L’offre de matériaux biosourcés demeure très inégale selon les régions. Dans certains territoires, l’absence de filière structurée empêche tout passage à l’échelle.

Côté maîtrise d’œuvre, tous les acteurs ne sont pas encore familiers de ces procédés. Et malgré les avancées, l’assurance des ouvrages en biosourcé reste parfois un point de blocage, notamment en logement collectif.

Les marchés publics doivent aussi évoluer. L’insertion de clauses environnementales dans les CCTP exige une ingénierie rédactionnelle que peu de collectivités maîtrisent encore. La publication de guides, comme celui de la “Clause verte” ou de Reseco, contribue à combler ce vide, mais leur diffusion reste limitée.

Enfin, les retours d’expérience sont trop peu capitalisés. Partager les enseignements des projets, mesurer la satisfaction des usagers, et candidater à des concours permettrait pourtant de nourrir une dynamique collective.


Matériaux biosourcés

Consulter le guide du Cerema ici.


Le guide du Cerema rappelle une évidence : les matériaux biosourcés sont prêts. Ce ne sont plus des solutions d’avenir, mais bien des réponses actuelles aux enjeux carbone, sanitaires et économiques. Pourtant, leur intégration dans les projets publics reste un exercice exigeant, qui suppose une montée en compétence généralisée, une structuration de filières, et une volonté politique affirmée.

La réussite ne repose pas sur un matériau miracle, mais sur une stratégie globale de projet. À cinq ans de l’échéance réglementaire de 2030, les collectivités disposent désormais de méthodes, d’outils et de retours d’expérience. Reste à transformer cette base solide en mouvement massif.

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