En Guadeloupe, le bâtiment trace une trajectoire faite de paradoxes. À mi-parcours de 2025, le secteur du BTP donne l’image d’un redémarrage freiné, comme si la reprise cherchait encore son souffle. La note de conjoncture publiée en juin par la FRBTP Guadeloupe dresse un tableau nuancé, fait d’élans prometteurs et de signaux d’alerte.
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Logement : l’activité en progression, mais les permis chutent
Le secteur résidentiel affiche une dynamique encourageante. Sur 12 mois glissants jusqu’à fin avril 2025, 1 900 logements ont été mis en chantier. Cette progression de 12 % est largement tirée par les logements collectifs, en forte hausse, et les logements individuels groupés. Les premiers ont presque doublé, tandis que les seconds bondissent de plus de 30 %, prolongeant la tendance positive amorcée fin 2024.
En revanche, les logements individuels purs continuent de s’effriter. Ils ne représentent que 900 chantiers sur la période, soit une baisse significative. Cette désaffection pour l’habitat individuel isolé s’accompagne d’une chute des autorisations de construire. À peine 2 100 logements ont été autorisés, un repli généralisé qui touche tous les segments, avec un effondrement marqué pour le collectif.
Comme le souligne la note de conjoncture, « la tendance baissière amorcée le trimestre précédent se confirme, avec une forte diminution des autorisations de construire ». Cette inversion entre chantiers en cours et perspectives futures pourrait peser sur le niveau d’activité dans les mois à venir.

CERC GUADELOUPE – NOTE DE CONJONCTURE N°15 / JUIN 2025
Locaux : les mises en chantier s’effondrent, les autorisations redémarrent
La construction de locaux professionnels et non résidentiels illustre un autre décalage. Alors que le nombre de projets autorisés repart à la hausse, les chantiers engagés s’effondrent. En effet, seulement 31 millions de mètres carrés ont été mis en chantier. Cela représente une chute de près de la moitié en un an.
Aucun segment n’est épargné : les commerces, les bureaux, les entrepôts et même les bâtiments publics affichent tous des replis importants.
En revanche, les autorisations retrouvent des couleurs. Avec 124 millions de mètres carrés validés, la croissance atteint 11 %. Les entrepôts autorisés grimpent de 80 %, les locaux industriels doublent, et les bureaux progressent nettement. Cette reprise sur papier pourrait alimenter l’activité à moyen terme, si les freins à la concrétisation des projets sont levés.
Ciment : un indicateur avancé en repli discret
Les ventes de ciment confirment cette prudence. Sur un an, les volumes distribués atteignent 163 000 tonnes, en léger recul par rapport à l’année précédente. La baisse est modérée mais régulière, tant sur le ciment en sac que sur le vrac. Sur les trois derniers mois, la contraction se poursuit, dépassant les 2 %.
La note de conjoncture insiste sur la portée de ces chiffres : « Les ventes de ciment étant un indicateur révélateur du secteur du BTP, une attention sera portée sur ce point ». Ce fléchissement traduit souvent une baisse des approvisionnements pour les chantiers à venir.
Emploi : baisse générale, mais quelques poches de résistance
Le marché du travail dans la construction guadeloupéenne reste tendu. À la fin de l’année 2024, l’emploi salarié dans le secteur privé comptait 7 021 postes, en repli de 4,4 % sur un an. Cette diminution s’inscrit dans la continuité du ralentissement global du secteur observé l’année précédente.
Le recours à l’intérim suit une trajectoire similaire, avec un total de 834 équivalents temps plein dans le BTP fin octobre. Ce chiffre traduit une baisse modérée d’environ 1 %, mais cache de fortes disparités.
Les effectifs dans les travaux publics reculent de 6 %, ce qui reflète la chute des commandes et des mises en chantier dans ce segment. À l’inverse, le bâtiment résiste mieux, avec une légère hausse du nombre d’intérimaires, ce qui pourrait être le reflet des chantiers collectifs en hausse.
Fait notable, l’industrie des matériaux tire son épingle du jeu. Le recours à l’intérim y a bondi de plus de 30 %. C’est un signe encourageant qui montre que certains maillons de la chaîne de valeur du BTP retrouvent du dynamisme, malgré la fragilité globale du marché.
Commande publique : peu d’appels d’offres, encore moins de marchés attribués
Le niveau de la commande publique reste préoccupant pour les entreprises du BTP. Sur la période allant de mai 2024 à mai 2025, 374 appels d’offres ont été publiés en Guadeloupe, marquant une baisse de près de 19 % par rapport à la période précédente.
Si ce volume est déjà bas, la situation devient plus critique encore lorsqu’on regarde le nombre de marchés effectivement attribués : seulement 28.
Cela représente un taux d’attribution de 7,5 %, bien en deçà des besoins du tissu économique local. Ce faible taux interroge sur les freins rencontrés dans les phases de sélection et de contractualisation, qu’il s’agisse de délais administratifs, de contraintes budgétaires ou d’une frilosité à engager des projets.
Ce blocage affecte particulièrement les petites et moyennes entreprises du secteur, qui dépendent fortement de ces commandes publiques pour maintenir leur activité. L’absence de visibilité à court terme pourrait également peser sur les décisions d’embauche ou d’investissement.
Entreprises : recul des créations, fatigue structurelle du secteur
La vitalité entrepreneuriale montre des signes d’essoufflement. Au premier trimestre 2025, 175 nouvelles entreprises ont été créées dans le secteur du BTP, soit une baisse de plus de 15 % par rapport à la même période de l’an passé. Parmi elles, seules 83 ont été créées hors micro-entreprises. Il s’agit d’un indicateur souvent associé à des structures plus pérennes.
Sur une base annuelle glissante, 648 créations sont enregistrées, ce qui représente un recul de 12 %. La note de conjoncture nuance cependant cette tendance : après un net ralentissement au premier semestre 2024, un rebond avait été constaté au troisième trimestre. Néanmoins, « la moyenne mobile, permettant de lisser l’indicateur dans le temps, démontre cependant une tendance à la décroissance ».
Ce fléchissement pourrait traduire une perte de confiance dans les perspectives du secteur, ou encore des difficultés d’accès au financement et aux marchés pour les jeunes structures.










