79 % des Guadeloupéens se disent inquiets face au changement climatique, et pourtant… seuls quelques-uns assistent aux ateliers organisés pour en parler. Ce paradoxe résume bien les enseignements d’une vaste étude conduite par Synergîles en 2024-2025.
L’objectif ? Comprendre ce que pensent réellement les habitants de l’archipel des effets du climat sur leur vie quotidienne. Derrière les chiffres, c’est un paysage contrasté qui se dessine, entre conscience croissante, inquiétude diffuse, et résilience ancrée dans les habitudes.
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Une inquiétude croissante, mais encore inégalement partagée
L’étude révèle que le changement climatique n’est plus un concept flou pour la majorité des Guadeloupéens. Ils sont 71 % à en donner une définition conforme à la réalité scientifique, c’est-à-dire une évolution à long terme des régimes climatiques. Près de 90 % affirment avoir déjà constaté ses effets dans leur quotidien : canicules, sécheresses, inondations… autant de signaux d’alerte perçus clairement.
Mais derrière ce consensus, des nuances émergent. 79 % des répondants se disent inquiets ou très inquiets, un chiffre important, mais qui cache des disparités.
Les personnes âgées se montrent plus sensibles et préoccupées que les jeunes. Le niveau d’étude joue également un rôle : plus il est élevé, plus la conscience des enjeux climatiques est fine.
De même, les femmes apparaissent plus impliquées et concernées que les hommes, ce que confirment également des études nationales citées dans le rapport (CESE, Observatoire Climat et Opinions).
L’étude pointe aussi l’influence du vécu : avoir traversé un cyclone ou une inondation renforce fortement la perception des risques. En revanche, la distance psychologique – cette impression que « ça n’arrive qu’ailleurs ou plus tard » – reste présente chez certains. L’éco-anxiété commence également à émerger, notamment chez les plus jeunes, même si elle est encore peu verbalisée. Et 4 % des répondants déclarent ne pas croire du tout au changement climatique.
Des risques bien identifiés sur le territoire
Si la prise de conscience est réelle, elle s’ancre aussi dans une expérience directe des aléas climatiques. En Guadeloupe, les habitants identifient deux risques majeurs comme directement liés au changement climatique :
- Le risque côtier, pour 87 % des personnes interrogées
- Le risque d’inondation, pour 77 %
Ces perceptions sont encore plus marquées chez les personnes vivant à proximité du littoral : 73 % de celles habitant à moins de 100 mètres de la mer se sentent exposées. Et parmi elles, plus de la moitié envisagent de déménager pour se mettre à l’abri, un chiffre qui grimpe à 77 % en zone classée à risque.
Certaines communes sont particulièrement concernées. À Petit-Bourg, première commune française à avoir entamé une relocalisation de population pour cause de risques de glissement et d’effondrement de falaises, la réalité du changement climatique ne fait aucun doute.
L’étude cartographique incluse dans le rapport montre aussi que des territoires entiers (Grands Fonds, Basse-Terre, Sud de Grande-Terre…) cumulent érosion littorale, sécheresse des mares, intensification des cyclones et menaces sur les milieux humides.
L’agriculture, les ressources en eau et le tourisme sont aussi cités comme secteurs vulnérables. Le stress hydrique, l’imprévisibilité des précipitations et l’impact des tempêtes sur les infrastructures touristiques deviennent des préoccupations concrètes.
Collectivités locales : entre mobilisation et limites structurelles
Les collectivités territoriales interrogées dans le cadre de l’étude (communes, EPCI, Région, Département, ADEME) constatent une progression de la prise de conscience… mais une mobilisation citoyenne encore fragile.
Hors période de crise, il est difficile d’attirer du public lors des réunions d’information ou ateliers participatifs. Même les campagnes de communication bien organisées rencontrent une forme de lassitude ou de résignation.
La réalité sociale joue aussi un rôle. Les personnes âgées, précaires, isolées ou en rupture de soins sont identifiées comme les plus vulnérables.
Certaines communes témoignent d’un fatalisme profond chez des habitants installés depuis des générations sur des terrains désormais menacés, avec une faible acceptation des changements à venir (relocalisation, travaux, restrictions…).
Les collectivités évoquent aussi des freins structurels :
- Des politiques nationales peu adaptées aux spécificités locales
- Des procédures lourdes et longues
- Un manque de coordination entre les acteurs
- La difficulté à maintenir des actions dans le temps, faute de moyens ou de relais institutionnels solides
Un point commun ressort cependant : toutes demandent plus de moyens pédagogiques, des formations adaptées aux élus et une diffusion simplifiée des études existantes, pour mieux expliquer, convaincre, et engager les populations.
Quelles pistes d’action pour renforcer la culture du risque ?
Sur la base des résultats collectés, le rapport formule plusieurs recommandations stratégiques. La première est de bâtir une vision territoriale partagée, qui rassemble à la fois les institutions, les citoyens et les acteurs économiques autour de la prévention des risques climatiques.
Le renforcement de la formation des élus est jugé prioritaire. Il s’agit de leur fournir les outils pour mieux dialoguer avec leurs administrés, argumenter leurs décisions, et co-construire des politiques publiques adaptées.
L’étude insiste aussi sur la nécessité d’adapter la communication en fonction des publics : âge, niveau d’étude, zone de résidence, expérience passée. Il ne s’agit plus seulement d’informer, mais de sensibiliser de manière ciblée, en tenant compte des codes sociaux et des leviers émotionnels.
Autre recommandation : ne pas opposer éco-gestes quotidiens et gestion des risques majeurs. Les deux dimensions sont complémentaires. Une même personne peut trier ses déchets, tout en restant dans le déni face à un risque d’inondation. Il faut donc articuler les discours et les actions.
Enfin, les auteurs appellent à multiplier les relais d’information au plus proche des habitants, en s’appuyant sur les associations, les référents de quartiers, les radios locales et les mairies.
Consulter ici le rapport d’étude sur l’analyse des perceptions et représentations du changement climatique en Guadeloupe