GUYANE. Concevoir la ville pour échapper à la surchauffe urbaine

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surchauffe urbaine Guyane

Dans un territoire où chaleur et humidité sont omniprésentes, la surchauffe urbaine n’est plus un risque théorique, mais une réalité mesurable. Le guide de l’urbanisme bioclimatique publié en 2025 par l’association AQUAA fournit des repères clairs pour repenser les formes urbaines face aux épisodes de chaleur extrême.

Aux frontières de l’inconfort : la surchauffe au quotidien

Les effets cumulés du changement climatique et de l’urbanisation rapide exposent la Guyane à un phénomène encore trop peu anticipé : la surchauffe urbaine. Dans un territoire à climat équatorial, les villes comme Cayenne ou Saint-Laurent-du-Maroni sont confrontées à une intensification des épisodes de chaleur, de jour comme de nuit. Ce phénomène se traduit par la formation d’îles de chaleur urbaines (ICU), observables par imagerie satellite, et par une augmentation du stress thermique chez les citadins.

Le guide d’AQUAA documente (consultable en bas de cet article) des hausses significatives : +22 nuits chaudes par mois (à plus de 24 °C), jusqu’à +12 jours chauds (à plus de 32 °C), et une température ressentie mesurée jusqu’à 44 °C dans l’écoquartier Georges Othily à Rémire-Montjoly. Ces conditions extrêmes amplifient les risques pour la santé, en particulier pour les populations vulnérables. L’urbanisation peu végétalisée, la densification non contrôlée et les revêtements à forte inertie thermique exacerbent ce ressenti.

L’analyse spatiale du guide identifie les zones les plus exposées : le nord et le sud-ouest de Cayenne en journée, le centre-ville de Saint-Laurent la nuit.

En parallèle, les zones boisées ou naturelles révèlent une résistance thermique bien supérieure. Ce contraste pose la question de la forme urbaine comme levier d’action prioritaire.

 

Déconstruire la température : les vrais paramètres du ressenti thermique

Le ressenti de chaleur en ville ne se limite pas à la température de l’air. Il est le résultat complexe d’interactions entre plusieurs facteurs : rayonnement solaire, vitesse du vent, humidité relative, type de surface, activité physique, habillement…

En climat tropical humide, comme en Guyane, l’humidité élevée (jusqu’à 95 %) empêche l’évaporation efficace de la sueur, principal mécanisme de régulation thermique du corps humain.

Le guide s’appuie sur l’indice WBGT (Wet Bulb Globe Temperature), reconnu par la norme ISO 7243, pour mesurer le stress thermique. Il combine la température de l’air, l’humidité, la vitesse du vent et le rayonnement solaire.

Les relevés réalisés dans 13 espaces du quartier Othily, pendant 5 mois, ont montré des niveaux extrêmement élevés : entre 26 et 36 °C WBGT, soit des plages considérées comme DANGEREUSES pour une activité physique légère en extérieur.

Le guide mobilise également le diagramme de Givoni, adapté à la réalité tropicale par le projet COCO (Confort optimisé pour réduire la climatisation en Outre-mer). Celui-ci élargit les zones de confort possibles grâce à la ventilation naturelle, soulignant le rôle déterminant des flux d’air dans le design urbain. L’approche repose donc sur la mesure fine des paramètres environnementaux pour adapter les solutions urbaines à la réalité physique des corps et des lieux.

 

Rafraîchir la ville par le projet : solutions concrètes et systémiques

Ombre, air et eau sont les piliers d’un urbanisme de la fraîcheur. Le guide présente une série d’actions concrètes, adaptées aux conditions locales, à intégrer dans les projets urbains dès la phase de planification.

– En premier lieu, la végétalisation extensive des espaces publics : arbres d’ombrage, trames vertes, toitures et murs végétalisés. Ces dispositifs jouent un double rôle : créer de l’ombre et activer l’évapotranspiration, permettant de faire baisser la température de l’air ambiant.

Les mesures menées dans l’écoquartier Georges Othily confirment ces effets. Les zones les plus fraîches coïncident avec les espaces végétalisés et ombragés. Une simple couverture arborée permet de réduire la température de surface de plusieurs degrés, tandis que les revêtements bitumineux stockent la chaleur jusqu’à la restituer durant la nuit.

Le choix des matériaux revêt également une importance stratégique. Privilégier des surfaces claires (albedo élevé), réfléchissant le rayonnement solaire, limite le stockage de chaleur. De même, l’utilisation de matériaux à faible inertie thermique réduit l’effet de restitution nocturne de la chaleur, responsable de nuits insupportables. Le guide suggère par ailleurs de favoriser la perméabilité des sols et de généraliser les noues végétalisées pour mieux gérer les eaux pluviales tout en régénérant l’humidité ambiante.

– L’autre levier majeur réside dans la forme urbaine. Les rues doivent être suffisamment larges et bien orientées pour capter les alizés. Selon le guide, une vitesse moyenne du vent de 2 à 3 m/s permet de réduire la température ressentie de -4 à -6 °C.

Les études en soufflerie et simulations CFD présentées dans le guide montrent comment certaines configurations favorisent ou au contraire bloquent la circulation naturelle de l’air. Cette approche oblige à repenser la densité, les volumes bâtis et les interstices dans une logique de performance climatique.

Ces solutions trouvent-ils aujourd’hui un écho dans d’autres territoires ultramarins ?

Un modèle pour les Outre-mer tropicaux ?

La démarche engagée par AQUAA en Guyane ouvre des perspectives concrètes pour les autres territoires ultramarins soumis à des climats tropicaux humides. Si les données locales restent indispensables, la méthodologie déployée (relevés in situ, grille d’analyse WBGT, ajustement des modèles de confort) peut être transposée à La Réunion, en Martinique ou à Mayotte.

L’intérêt réside dans la capacité à articuler des dimensions multiples : climat, morphologie, santé publique, matériaux, sociabilité. Le guide met en lumière l’urgence d’une planification urbaine anticipatrice et climato-compatible, à rebours des modèles importés inadaptés aux latitudes équatoriales. Il rappelle également qu’en climat tropical, la ville doit être conçue comme un système thermiquement réversible, où chaque détail compte.


RESSOURCE À CONSULTER

surchauffe urbaine Guyane

Urbanisme Bioclimatique en Guyane – RAFRAÎCHIR UNE VILLE ÉQUATORIALE / Édition 2025


 

Dans un monde où les canicules deviennent la norme, la Guyane préfigure des réponses concrètes à la surchauffe urbaine. Le guide d’AQUAA en propose les fondations : un urbanisme ancré dans le climat, attentif aux corps et guidé par les flux naturels.

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