Vers une mobilité durable : un plan financier de 100 milliards d’euros en discussion

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Mobilités durables

Alors que la France vise la neutralité carbone à l’horizon 2050, le financement de la transition énergétique des mobilités devient un enjeu majeur. Le Groupement des autorités responsables de transport (GART), la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) et leurs clubs Mobilité durable & territoires et Logistique durable & territoires viennent de publier un livre blanc stratégique. Objectif : peser dans les débats des municipales de 2026 et de la prochaine loi de finances. Plus qu’une compilation de mesures, le document révèle l’ampleur du défi : bâtir un modèle économique durable pour les mobilités, dans un pays où les besoins d’investissement dépassent largement les ressources disponibles.

Un mur de financement pour les AOM

Les autorités organisatrices de la mobilité (AOM), chargées d’assurer les transports du quotidien, font face à un mur financier. Selon une estimation du Sénat, plus de 100 milliards d’euros seront nécessaires d’ici 2030, dont environ 60 milliards hors Île-de-France.

Or, leurs ressources actuelles sont loin de couvrir une telle somme. L’exemple du Grand Paris Express est révélateur : si les investissements initiaux ont été financés, il a manqué un milliard d’euros pour assurer l’exploitation des nouvelles lignes.

La situation met en lumière une contradiction : la France est le pays d’Europe où la pression fiscale est la plus forte, avec près de 60 milliards d’euros de taxes et impôts prélevés chaque année sur la mobilité, mais les AOM peinent à assurer leur équilibre économique.

Résultat : sans financement pérenne, impossible de développer une offre de transport de qualité et adaptée aux enjeux climatiques.

Les territoires ultramarins, eux, affrontent des défis encore plus marqués. Leur dépendance énergétique aux énergies fossiles, combinée à des coûts logistiques élevés, rend la transition vers des mobilités bas carbone particulièrement complexe.

Dans des régions comme la Guadeloupe, la Réunion ou Mayotte, le transport collectif repose souvent sur des réseaux routiers peu intermodaux, avec des flottes vieillissantes et une forte dépendance au diesel.

La question du financement y est d’autant plus cruciale que les recettes du Versement Mobilité y sont limitées par la structure économique locale, dominée par les petites entreprises. Sans mécanisme de péréquation renforcé, les Outre-mer risquent de rester en marge des ambitions nationales.

Dix propositions pour réinventer le financement

Pour surmonter cette impasse, les auteurs avancent dix propositions structurées autour de plusieurs axes. Côté fiscalité, le retour d’une TVA à 5,5 % sur les transports du quotidien permettrait de dégager près de 10 milliards d’euros par an pour les AOM, sans hausse de tarifs pour les usagers.

L’évolution du Versement Mobilité, principale ressource des AOM, est également préconisée : abaisser le seuil d’assujettissement, relever les plafonds hors Île-de-France, ou créer un “bonus offre supplémentaire” conditionné à la mise en œuvre de projets ambitieux.

Les auteurs plaident aussi pour une fiscalité carbone mieux fléchée. Aujourd’hui gelée à 44,60 €/tCO₂, la composante carbone pourrait reprendre sa trajectoire vers 100 €/t d’ici 2030, à condition qu’une partie de ses recettes soit réinvestie dans les transports publics.

De même, les futurs revenus issus du marché carbone européen ETS2, qui concernera dès 2027 le transport routier et le bâtiment, devraient être orientés vers la mobilité durable.

Énergies et infrastructures : trouver un équilibre

Au-delà de la fiscalité, le document insiste sur le rôle des énergies et des infrastructures.

Les Schémas directeurs d’infrastructures de recharge pour véhicules électriques (SDIRVE), élaborés par les collectivités, devraient devenir opposables afin d’éviter les doublons et d’imposer aux opérateurs privés de s’inscrire dans une logique territoriale cohérente.

Une proposition de fonds de péréquation est avancée pour que les opérateurs présents dans les zones rentables financent également le déploiement dans les territoires ruraux.

Les débats européens sur le biogaz, exclu des critères “zéro émission”, inquiètent particulièrement. Île-de-France Mobilités a déjà investi 2,7 milliards d’euros dans des flottes roulant au BioGNV.

Pour les signataires, il est indispensable que l’Union européenne adopte une approche fondée sur l’analyse du cycle de vie, intégrant le biogaz et les biocarburants aux côtés de l’électrique et de l’hydrogène.

Logistique et urbanisme au cœur des propositions

La question de la logistique urbaine et des flux du quotidien occupe également une place centrale. Le livre blanc propose de mettre en place une éco-contribution sur les livraisons express de moins de 24 heures, afin de financer une logistique plus vertueuse, incluant la cyclologistique ou les motorisations alternatives.

Les externalités négatives liées aux transports représentent des gisements financiers sous-exploités. Le bruit coûte chaque année 147,1 milliards d’euros à la société française, dont près de 66 % imputables aux transports.

La pollution de l’air s’élève, elle, à 16 milliards d’euros, selon Santé publique France. Si seulement 5 % de ces coûts étaient réaffectés au financement des mobilités durables, cela représenterait environ 8 milliards d’euros annuels : l’équivalent du budget d’investissement d’une grande métropole.

Un fléchage partiel de ces montants pourrait transformer ces nuisances en leviers de transition, tout en améliorant directement la santé publique.

En parallèle, les auteurs plaident pour décloisonner urbanisme et mobilité. L’idée : financer les infrastructures de transport en partie grâce aux plus-values immobilières générées par les projets urbains. Une logique qui vise à articuler davantage aménagement du territoire et transition énergétique.

Usages et innovations sociales

Le livre blanc ne se limite pas à des mesures fiscales et techniques. Il met aussi en avant des dispositifs sociaux et innovants. Le leasing social professionnel, garanti par l’État, permettrait aux petites et moyennes entreprises de verdir leurs flottes dans les zones à faibles émissions.

Des initiatives de rétrofit, comme celles menées sur les cars scolaires en Centre-Val de Loire, montrent qu’il est possible de prolonger la durée de vie des véhicules tout en réduisant les émissions.

Le covoiturage domicile-travail, déjà déployé par près de 150 AOM, est présenté comme une solution particulièrement efficace : le coût pour la collectivité est d’environ 0,15 € par kilomètre-passager, bien inférieur à celui des infrastructures lourdes.

Des projets pilotes d’autopartage de véhicules électriques légers ou de navettes rurales électriques illustrent aussi la diversité des innovations en cours.

Contradictions et zones de tension

Si ces propositions tracent des pistes ambitieuses, elles mettent aussi en lumière plusieurs contradictions. L’instabilité réglementaire fragilise les investissements : la suppression des ZFE par amendement, la remise en cause du biogaz par Bruxelles ou encore les évolutions fréquentes des certificats d’économies d’énergie brouillent la visibilité des acteurs.

Autre point de tension : la fracture territoriale. Les opérateurs privés privilégient les zones urbaines rentables, laissant les territoires ruraux dépendants de financements publics plus coûteux.

Enfin, certaines mesures posent la question de l’acceptabilité sociale. L’éco-contribution sur les livraisons rapides, si elle est cohérente sur le plan environnemental, pourrait être perçue comme une taxe supplémentaire par les consommateurs.

Une vision politique assumée

Au-delà des aspects techniques, le livre blanc assume une portée politique. Il appelle à un partage équitable des efforts entre l’État, les entreprises et les usagers.

Qui doit réellement payer la transition ? La question reste ouverte, mais le document fixe une ambition claire : bâtir une stratégie de financement capable de soutenir le choc d’investissement que réclame la transition énergétique des mobilités.


Mobilités durables

Consulter le livre blanc « Financement de la transition énergétique des mobilités » ici.


Le livre blanc du GART, de la FNCCR et de leurs clubs partenaires dresse une feuille de route précise. Ses dix propositions constituent une boîte à outils qui combine fiscalité, régulation, innovation et solidarité territoriale. Mais leur mise en œuvre dépendra des arbitrages politiques à venir et de la capacité de l’État à partager équitablement les efforts financiers. Entre équité sociale, soutenabilité économique et exigence climatique, la transition énergétique des mobilités s’annonce comme l’un des débats centraux des prochaines années.

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