Transition énergétique dans les OUTRE-MER : une avance en trompe-l’œil ?

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    transition énergétique Outre-mer

    Alors que la France s’approche de l’échéance fixée par la loi de transition énergétique de 2015, les territoires ultramarins font l’objet d’une attention croissante. Insulaires, non interconnectés au réseau continental, exposés à des vulnérabilités géographiques et économiques marquées, ils sont souvent perçus comme des laboratoires avancés de la transition énergétique. Mais cette vision flatteuse résiste-t-elle à l’analyse ? Un point d’étape s’impose, d’autant que la conférence publique organisée par Le Point le 30 janvier 2025, a remis en lumière les écarts profonds entre ambitions affichées et réalités de terrain. 

    Un cadre législatif volontariste, mais confronté à la réalité insulaire

    La loi de transition énergétique pour la croissance verte (LTECV), adoptée en 2015, a posé un cap clair : atteindre l’autonomie énergétique dans les départements d’Outre-mer d’ici 2030. Cet objectif s’accompagne de plusieurs volets : réduction de la part des énergies fossiles, déploiement massif des énergies renouvelables (ENR), amélioration de l’efficacité énergétique, et intégration territoriale via des Programmations Pluriannuelles de l’Énergie (PPE) spécifiques à chaque collectivité. La Corse vise, quant à elle, 2050 pour cette autonomie.

    Dans les faits, ce cadre ambitionne de combiner équité territoriale et transition environnementale. Mais les défis spécifiques aux Outre-mer rendent le chemin plus escarpé qu’annoncé.

    Ces territoires ne bénéficient pas de l’interconnexion électrique continentale et doivent garantir localement leur production, leur distribution et leur stockage. À cela s’ajoutent des contraintes structurelles : dispersion géographique, topographies volcaniques, pression foncière, exposition climatique. Dans un tel contexte, la LTECV n’est pas seulement une trajectoire politique : elle est aussi un test de résilience territoriale.

     

    Des trajectoires très contrastées selon les territoires

    Parmi les territoires ultramarins, la Guyane est aujourd’hui le plus avancé en matière de production électrique décarbonée. Grâce au barrage de Petit-Saut et à une exploitation croissante du potentiel hydroélectrique, elle couvre près de 70 % de ses besoins électriques par des ENR.

    *Ce résultat masque toutefois une fragilité structurelle : les 30 % restants sont difficiles à remplacer à court terme, notamment en raison du besoin de production constante (machines tournantes) et d’un réseau peu maillé sur un axe est-ouest peu desservi. Des centrales thermiques à biomasse sont envisagées pour franchir ce dernier palier.

    À l’autre extrémité du spectre, Mayotte reste fortement dépendante aux hydrocarbures, avec près de 100 % de sa production issue du thermique. Le manque de foncier disponible — déjà aigu pour le logement — freine toute implantation d’infrastructures solaires ou éoliennes. La Collectivité envisage désormais des solutions intermédiaires comme les biocarburants de type HVO, dérivés d’huiles usagées ou de graisses animales, pour réduire l’intensité carbone sans modifier l’architecture énergétique.

    La Polynésie française, elle aussi, accuse un net retard, avec moins de 10 % de production électrique d’origine renouvelable. Son archipel éclaté et ses contraintes foncières (îles volcaniques, peu de surfaces planes) rendent l’implantation d’installations renouvelables difficile. Les perspectives reposent ici sur l’évolution du coût et de la maturité de technologies comme le thermique marin ou le photovoltaïque flottant.

    À La Réunion, en revanche, la dynamique est bien engagée. Avec près de 30 % d’ENR dans le mix électrique, l’île se positionne comme un territoire pilote, grâce à des appels d’offres réguliers, un tissu industriel structuré et une culture technologique plus avancée. Toutefois, 70 % de la production reste fossile, en particulier via l’importation de biomasse solide. Ce levier transitoire est critiqué pour son impact carbone indirect (importations depuis le Canada), mais reste pour l’instant incontournable.

    La Guadeloupe, malgré sa taille plus réduite, affiche des performances comparables et une dynamique similaire. Son territoire n’est pas fermé à l’éolien ni au photovoltaïque, et plusieurs appels d’offres récents ont permis de renforcer les capacités solaires. Des centrales ont été implantées sur d’anciennes décharges, réduisant la pression foncière et limitant l’impact sur la biodiversité. Le territoire, qui approchait les 25 % d’ENR en 2022, se donne les moyens d’une montée progressive sans rupture brutale.

    La Martinique, enfin, adopte une posture attentiste. Moins avancée que La Réunion ou la Guadeloupe, elle mise sur des solutions de long terme comme l’hydrogène vert ou l’éolien offshore. Ces technologies, coûteuses et encore peu adaptées à l’environnement cyclonique local, peinent à se concrétiser. Cette stratégie prospective se fait au détriment d’une transition énergétique immédiate, pourtant nécessaire pour répondre aux objectifs de 2030.

    En Nouvelle-Calédonie, le tableau est paradoxal. Le territoire dispose d’un foncier abondant et d’un potentiel élevé — TotalEnergies y exploite déjà près de 90 MW de capacités renouvelables — mais la situation politique instable a gelé plusieurs projets structurants. Le plus emblématique : une centrale photovoltaïque de 180 MW couplée à des batteries, actuellement en stand-by. Les besoins élevés de l’industrie minière, très émettrice, freinent également la transition.

    La transition énergétique des Outre-mer n’est donc ni homogène, ni linéaire. Chaque territoire compose avec ses contraintes, ses ambitions, et ses marges de manœuvre. Le cap est commun, mais les itinéraires sont profondément distincts.

     

    Trois freins structurels majeurs à la transition

    Premier verrou : le foncier.

    Dans des territoires insulaires densément peuplés, souvent montagneux et marqués par des conflits d’usage (logement, agriculture, biodiversité), identifier des surfaces disponibles pour des installations solaires ou éoliennes relève du défi. À cela s’ajoute une complexité juridique et coutumière propre à certains territoires, comme la Polynésie française ou Mayotte, où la sécurisation foncière des projets est lente et incertaine.

    Deuxième frein : l’acceptabilité sociale et environnementale.

    L’implantation de parcs photovoltaïques ou éoliens suscite régulièrement des oppositions locales, en particulier lorsque les projets affectent des espaces naturels ou agricoles. Les retours d’expérience en Guadeloupe et en Martinique montrent que sans concertation préalable et études d’impact rigoureuses, le risque de blocage est réel. Les enjeux de biodiversité, en particulier dans des zones classées ou proches de la mer, ajoutent une couche de complexité que les industriels doivent anticiper.

    Troisième facteur limitant : le coût et la maturité des technologies.

    Si le photovoltaïque au sol ou en toiture est désormais compétitif, les solutions adaptées aux contraintes locales — comme le thermique marin, le solaire flottant, ou l’hydrogène — restent chères, expérimentales ou peu adaptées aux risques climatiques (cyclones, humidité, corrosion). De plus, le stockage massif de l’électricité (batteries de grande capacité) reste une technologie coûteuse, indispensable mais encore peu déployée dans ces zones non interconnectées.

     

    Quels leviers pour accélérer ?

    Malgré ces freins, plusieurs leviers concrets permettent de faire avancer la transition. Le premier d’entre eux consiste à mieux exploiter le bâti existant : hangars, bâtiments publics, équipements agricoles ou commerciaux.

    Le potentiel de production solaire en toiture est significatif, même s’il ne suffit pas à couvrir l’ensemble des besoins. La sécurisation réglementaire de ces surfaces, notamment via des partenariats public-privé, pourrait favoriser une montée en puissance rapide.

    Deuxième piste : la requalification de friches et de zones dégradées. L’exemple récent d’une centrale photovoltaïque implantée sur une ancienne décharge inertée à Saint-François, en Guadeloupe, montre que des projets intelligents, à faible impact écologique, sont possibles. Ces opérations permettent de contourner les conflits d’usage tout en redonnant une fonction utile à des terrains délaissés.

    La biomasse, sous forme solide (bois, déchets végétaux) ou liquide (HVO, huiles recyclées), représente également une solution transitoire pour réduire la dépendance aux énergies fossiles.

    Bien que cette option soulève des interrogations sur la durabilité des filières d’approvisionnement, elle constitue un compromis pertinent dans des zones où les renouvelables variables peinent à couvrir les besoins de base.

    Enfin, plusieurs territoires expérimentent des projets pilotes innovants : solaire flottant en milieu lagunaire, batteries de grande capacité, mini-réseaux autonomes pour les zones isolées. Ces initiatives, soutenues dans le cadre du plan France 2030 ou par les éco-organismes de filière, pourraient amorcer une montée en puissance technique si les retours d’expérience sont positifs.


     

     


     

    Les Outre-mer avancent, chacun à leur rythme, dans la transition énergétique. Si l’objectif de 100 % d’autonomie renouvelable en 2030 semble hors de portée pour certains, les dynamiques engagées sont réelles et différenciées. Là où le foncier et la gouvernance le permettent, les projets se multiplient. Ailleurs, l’attente repose sur l’arrivée de technologies plus matures ou plus abordables. Plus qu’une course uniforme, la transition énergétique ultramarine est une trajectoire mosaïque — faite d’adaptations, de compromis et de solutions locales à inventer.

     

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