La Cour des comptes a publié en septembre 2025 son premier rapport annuel sur la transition écologique. Ce document, prévu par la loi Climat et Résilience de 2021, dresse un bilan à la fois encourageant sur certains points et sévère sur d’autres. Si la France a réduit ses émissions de gaz à effet de serre de plus de 30 % entre 1990 et 2023, le rapport rappelle que « les efforts ne sont désormais plus suffisants pour remplir les engagements climatiques de la France ».
—
Des progrès réels mais un retard inquiétant
Entre 1990 et 2023, les émissions de gaz à effet de serre sur le territoire national ont baissé d’un tiers. Pourtant, cette avancée reste insuffisante pour atteindre les objectifs de la Stratégie nationale bas carbone (SNBC).
Pour tenir la trajectoire 2030, les réductions devront désormais aller deux fois plus vite que le rythme constaté en 2024. Le Haut conseil pour le climat souligne d’ailleurs que les secteurs des transports, des déchets et de l’usage des sols restent hors trajectoire.
Le rapport met aussi en lumière l’aggravation des autres volets de la transition : biodiversité en déclin, état des ressources en eau en dégradation, volume de déchets en hausse (+13 % de déchets ménagers et assimilés par habitant entre 2010 et 2022).
La Cour alerte : « La dégradation continue et avérée de notre environnement appelle une action urgente pour en limiter les impacts. »
Le coût de l’inaction, bien supérieur à celui de la transition
Le rapport insiste sur un constat désormais largement partagé : mieux vaut investir massivement maintenant que subir demain. Selon les estimations, un scénario de statu quo pourrait coûter jusqu’à 11,4 points de PIB à la France d’ici 2050.
À l’inverse, la transition écologique est présentée comme un investissement rentable, même si elle nécessite des efforts considérables.
Les assureurs en donnent déjà la mesure : les coûts liés aux catastrophes naturelles explosent. La sécheresse, qui avait représenté 13,8 milliards d’euros de dommages cumulés entre 1989 et 2019, pourrait atteindre 43 milliards d’ici 2050, dont 17 milliards directement liés au changement climatique.
Au-delà des chiffres globaux, les impacts sectoriels sont lourds : infrastructures fragilisées par la chaleur, réseaux d’eau soumis à des restrictions, agriculture confrontée à des pertes récurrentes et santé publique menacée par des canicules six fois plus fréquentes qu’en 1980.
110 milliards d’euros supplémentaires chaque année d’ici 2030
Le cœur du rapport se concentre sur le financement. La Cour chiffre à 110 milliards d’euros par an, d’ici 2030, les investissements supplémentaires nécessaires par rapport à 2021 pour réussir la transition. Or, 80 % de ces efforts reposent déjà sur les acteurs privés.
Cela pose une double difficulté : d’une part, s’assurer que les investissements privés seront suffisamment rentables pour être déclenchés, d’autre part, veiller à ce que les ménages puissent absorber le reste à charge sans creuser les inégalités sociales.
C’est tout l’enjeu de la Stratégie pluriannuelle des financements de la transition écologique (Spafte), dont la première édition a été publiée en 2024. La Cour appelle à en faire un véritable rendez-vous annuel du printemps, présenté au Parlement avant le projet de loi de finances, afin de mieux articuler trajectoires physiques (réduction carbone, biodiversité, eau) et trajectoires financières.
Gouvernance : un SGPE fragilisé et des collectivités en première ligne
Depuis 2022, le Secrétariat général à la planification écologique (SGPE), rattaché au Premier ministre, est chargé de piloter la cohérence des politiques climatiques et environnementales.
Mais sa position s’est affaiblie. La Cour note que la multiplication des priorités gouvernementales, notamment budgétaires et internationales, a réduit son influence. Elle recommande de « conforter l’action du SGPE dans sa mission de préparation des arbitrages interministériels ».
Les collectivités territoriales, de leur côté, sont appelées à jouer un rôle pivot. Conférences des parties régionales, plans pluriannuels d’investissement (PPI), schémas régionaux d’aménagement (SRADDET) et plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET) doivent incarner la transition au plus près du terrain.
Mais l’articulation entre les dynamiques locales et la planification nationale reste encore fragile. Cette question est d’autant plus cruciale pour les territoires ultramarins, particulièrement exposés aux risques climatiques et aux coûts liés à l’habitat vulnérable.
Sobriété et cohérence des choix publics
Au-delà des financements, la Cour insiste sur deux leviers souvent négligés : la sobriété des usages et la réduction des dépenses publiques dommageables. Or, certains signaux politiques brouillent la cohérence : abandon du relèvement de la fiscalité sur le gazole non routier (GNR), allègements sur les énergies fossiles, retards dans certaines obligations réglementaires.
Pour être efficace, la planification devra arbitrer entre réglementation, subventions et fiscalité, en choisissant les outils les plus efficaces et les moins coûteux.
Six recommandations pour recadrer l’action
Le rapport se conclut par six recommandations structurantes :
- Intégrer des objectifs de réduction de l’empreinte carbone, y compris les émissions importées, dans la SNBC.
- Consolider la feuille de route numérique et données avec la DINUM.
- Renforcer le SGPE et son rôle interministériel.
- Présenter la Spafte chaque année avant le PLF.
- Développer une doctrine claire d’utilisation des leviers publics et privés.
- Évaluer la capacité de financement des ménages pour assurer une transition juste.
L’enseignement principal de ce rapport est limpide : la transition écologique n’est pas seulement une affaire de climat, c’est une équation de gouvernance, de finances et de justice sociale. La France a posé les bases, mais les choix qui restent à faire exigeront des arbitrages difficiles, sans lesquels les trajectoires 2030 et 2050 resteront hors de portée.