Et si le logement de demain ne se construisait plus sur du vide, mais à partir de ce qui existe déjà ? Alors que la France s’est engagée à atteindre le zéro artificialisation nette (ZAN) d’ici 2050, la pression sur le foncier se heurte de plein fouet à la crise du logement. Peut-on encore construire sans consommer de nouveaux sols ?
Dans un rapport publié en juin 2025, l’Institut Français pour la Performance du Bâtiment (IFPEB) explore cette voie, en chiffrant pour la première fois l’ampleur du potentiel dormant du parc existant. Zones commerciales, bureaux vacants, logements inoccupés : une réserve de foncier déjà bâti capable d’absorber 60 % du besoin national en logements à horizon 2050, sans un mètre carré de béton supplémentaire sur un sol naturel. Décryptage d’un basculement en cours.
—
Une ambition climatique sous tension
En 2021, la France a inscrit dans sa loi Climat et Résilience un objectif inédit à l’échelle européenne : atteindre le zéro artificialisation nette (ZAN) en 2050. L’ambition est claire : stopper l’étalement urbain, préserver les terres agricoles et forestières, et régénérer les sols déjà bâtis. Pour y parvenir, la trajectoire s’appuie sur deux étapes.
D’ici 2031, il s’agit de réduire de moitié la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers (ENAF), par rapport à la décennie précédente. À partir de 2031, l’objectif s’étend à la désartificialisation : la balance entre les surfaces nouvellement artificialisées et celles rendues à la nature devra être nulle à l’échelle locale.
Mais l’écart entre les ambitions politiques et la réalité du terrain est déjà perceptible. En 2021 et 2022, la France a consommé plus de 17 000 hectares d’ENAF “en trop” par rapport à l’objectif cible. Cela compromet directement l’enveloppe nationale de 120 000 hectares “consommables” sur la décennie. D’autant que cette enveloppe est déjà entamée par des projets d’envergure nationale ou des garanties d’un hectare minimum accordées à plus de 35 000 communes.
Dans le même temps, la crise du logement s’intensifie. Production en berne, pénurie de logements accessibles, besoins croissants liés à la décohabitation, au vieillissement démographique, à la mobilité des actifs… La trajectoire ZAN semble incompatible avec la mécanique classique du “logement neuf pour tous”.
Faut-il pour autant renoncer à cet objectif climatique ? Ou peut-on imaginer un modèle de production de logements post-artificialisation, reposant non plus sur l’expansion, mais sur la transformation ?
Réactiver plutôt que consommer : une alternative concrète
C’est à cette équation complexe que le rapport de l’Institut Français pour la Performance du Bâtiment (IFPEB) et de CODATA Services, publié le 18 juin 2025, tente d’apporter des réponses. En s’appuyant sur des données fines, le document explore les marges de manœuvre disponibles au sein même du parc existant, sans consommer de nouveaux sols.
Les résultats sont éloquents : près de 2 millions de logements pourraient être créés dans les zones tendues d’ici 2050 en mobilisant trois grands gisements :
- Bureaux vacants : environ 314 000 logements seraient mobilisables à court terme. Une loi récente permet déjà d’accélérer les transformations (permis multidestinations, dérogations au PLU, fiscalité incitative).
- Logements vacants : un potentiel estimé à 337 500 logements dans les zones urbaines tendues, encore peu exploité du fait de freins techniques (vétusté, insalubrité), fonciers (multipropriété) ou économiques.
- Zones commerciales : le gisement le plus vaste, avec 1,4 million de logements potentiels en zone tendue, et jusqu’à 4,5 millions à l’échelle nationale en potentiel technique.
Autrement dit, 60 % du besoin national en logements principaux à horizon 2050 pourrait être satisfait sans artificialiser un mètre carré supplémentaire, à condition d’activer les bons leviers et de dépasser les freins existants.
Le défi d’un modèle immobilier à réinventer
Pour réussir cette bascule, une transformation systémique est indispensable. Le modèle actuel – axé sur la construction neuve, la captation de la rente foncière et les dispositifs fiscaux de soutien – montre ses limites. Dans une logique ZAN, ce sont désormais les actifs existants qui deviennent les vecteurs de création de valeur : friches, bureaux vides, logements inoccupés, parkings sous-utilisés.
L’IFPEB identifie trois leviers de transformation complémentaires :
- Réinvestir : intensifier les usages (partage, mutualisation), optimiser les surfaces.
- Régénérer : transformer les usages (logements en bureaux, commerces en logements), surélever, étendre.
- Recycler : construire sur des sols déjà artificialisés en changeant les modèles d’aménagement.
Ces leviers nécessitent un changement de posture des acteurs. Le promoteur devient opérateur urbain, capable d’orchestrer des projets mixtes, sur des fonciers morcelés. L’aménageur devient facilitateur territorial, attentif aux équilibres entre densification et acceptabilité.
Les foncières de transformation, publiques ou mixtes, émergent comme les maillons structurants : elles peuvent porter les coûts d’études, acquérir les fonciers progressivement, et sécuriser les opérations sur des cycles longs (5 à 10 ans).
Zones commerciales : une opportunité sous-exploitée
Le cas des zones commerciales est emblématique. Présentes dans toutes les agglomérations, ces emprises artificialisées à faible densité sont déjà connectées aux infrastructures (voirie, transport, stationnement). Leur mutation pourrait générer jusqu’à 40 % des logements nécessaires à horizon 2050.
Mais plusieurs obstacles demeurent :
- Verrous réglementaires : PLU inadaptés, procédures CDAC lourdes, servitudes contradictoires.
- Freins économiques : faible valeur des bilans dans certaines zones (seulement 15 % des zones commerciales dépassent les 4 000 €/m² nécessaires à la rentabilité).
- Conflits d’usage : tension entre production de logements et solarisation des parkings (loi APER).
Pour activer ce potentiel, le rapport propose plusieurs solutions :
- Calcul des surfaces de pleine terre à l’échelle du projet, non de la parcelle.
- Assouplissement ciblé des CDAC pour les projets mixtes.
- Incitations à la densification plutôt que taxation punitive.
- Partenariats avec des grands propriétaires commerciaux pour fluidifier les négociations.
Un levier climatique essentiel
L’objectif ZAN ne se résume pas à une préservation esthétique des paysages ou à un refus idéologique de la ville. Il s’agit d’un levier décisif dans la stratégie climatique nationale. En France, l’artificialisation des sols contribue à la perte de 33 % du puits de carbone naturel des forêts et terres agricoles.
Pour atteindre la neutralité carbone en 2050, la Stratégie Nationale Bas Carbone prévoit de doubler ce puits, de 40 à 80 MtCO₂e. Réussir le ZAN, c’est donc préserver la capacité des sols à stocker du carbone, filtrer l’eau, abriter la biodiversité, produire de l’alimentation.
De plus, la régénération des bâtiments existants représente une opportunité majeure de réduction des consommations d’énergie. Entre 1990 et 2020, le parc résidentiel a augmenté de 37 %, sans que la consommation globale d’énergie ne diminue.
Dans le tertiaire, la hausse est encore plus marquée (+51 %). Réhabiliter un immeuble obsolète, le convertir, l’isoler, le sortir du gaz ou du fioul, permet non seulement de créer du logement mais aussi d’abaisser l’empreinte carbone du bâti.
Territorialiser pour réussir
Le rapport insiste enfin sur un point fondamental : la réussite du ZAN ne se décrète pas depuis Paris. Les besoins en logement, les dynamiques foncières, les freins à la transformation ne sont pas homogènes. Il est donc crucial de territorialiser l’action, et de confier aux régions un rôle stratégique dans la planification du logement et l’identification des potentiels.
Cela passe par :
- La construction d’un open data national sur les vacants et le foncier mobilisable.
- Des outils de notation du potentiel de transformation par type d’actif.
- Un financement massif des études préalables, aujourd’hui trop risquées pour des opérateurs isolés.
- Un accompagnement des collectivités pour adapter leurs documents d’urbanisme, sans renoncer à l’ambition climatique.

Consulter ici le Rapport final – Sobriété immobilière & foncière – Quel potentiel de création de logements par la transformation du bâti existant ?









