Rénover efficacement le parc de logements : les 17 leviers proposés par l’ADEME

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Dans un contexte de crise énergétique persistante et d’urgence climatique, la rénovation énergétique performante s’impose comme une priorité nationale. Mais comment faire évoluer le secteur pour qu’il atteigne l’objectif ambitieux d’un parc résidentiel conforme au niveau BBC rénovation ou équivalent d’ici 2050 ?

L’ADEME, en collaboration avec l’Institut négaWatt, GreenFlex et Île-de-France Énergies, a formulé une feuille de route stratégique pour répondre à cette question. Ce rapport, fruit d’une expertise pluridisciplinaire nourrie par les retours de terrain, détaille 17 propositions prioritaires. Objectif : déclencher une dynamique de rénovation à grande échelle, efficace et soutenable, à l’horizon 2027.

Maisons, copropriétés, logements sociaux : des solutions ciblées

La première originalité du rapport réside dans sa différenciation claire des approches à adopter selon le type de logement. Chacun des trois grands segments du parc – maisons individuelles, copropriétés, logements sociaux – fait l’objet de propositions spécifiques, adaptées aux freins techniques, financiers et organisationnels qui lui sont propres.

Maisons individuelles : structurer, accompagner, simplifier

La rénovation des maisons individuelles représente un défi considérable : 16,5 millions de logements concernés, dont une grande part est énergivore. Le rapport préconise d’accompagner systématiquement tout acquéreur de passoire thermique (DPE F ou G) vers une rénovation globale dès la mutation. Cela permettrait de déclencher des travaux dès l’achat, moment clé pour intervenir efficacement.

Autre priorité : structurer le programme “Mon Accompagnateur Rénov” pour en faire un dispositif opérationnel, capable de prioriser les rénovations performantes et de les financer à terme sans recourir uniquement aux fonds publics. Cette structuration doit s’accompagner d’une simplification du système de financement, aujourd’hui jugé trop complexe et peu lisible par les ménages, ce qui freine leur passage à l’acte.

Le rapport insiste également sur la structuration de la filière professionnelle en favorisant l’émergence de groupements d’artisans, d’entreprises générales et de maîtres d’œuvre formés à la rénovation performante. Enfin, il appelle à faire évoluer les outils techniques de diagnostic et de suivi pour mieux piloter les rénovations globales ou par étapes.

Comme le rappelle Vincent Legrand, directeur de l’Institut négaWatt, dans le rapport “l’atteinte de la performance se joue prioritairement dans la bonne gestion des interfaces entre postes de travaux.” Ce constat souligne l’importance d’une approche globale et coordonnée des chantiers.

Copropriétés : fonds dédiés et exigences de performance

Pour le parc collectif en copropriété – environ 13 millions de logements –, les leviers d’action diffèrent. Le rapport propose de créer un fonds de rénovation énergétique, alimenté automatiquement lors de l’acquisition d’un bien. Objectif : sécuriser un budget dédié aux travaux, mutualisé à l’échelle de l’immeuble.

Les aides publiques seraient conditionnées au fait de viser la performance maximale atteignable pour chaque bâtiment. L’idée n’est plus de subventionner des gestes isolés, mais d’encourager des rénovations ambitieuses et cohérentes, avec un pilotage global du projet.

Logement social : industrialisation et assouplissement des règles

Le parc social, qui représente environ 17 % des résidences principales, est déjà engagé dans des démarches de rénovation, mais à un rythme encore insuffisant. L’ADEME appelle ici à une normalisation des coûts et de l’évaluation économique des opérations, pour harmoniser les pratiques entre bailleurs.

Plusieurs freins doivent être levés : limitation des capacités d’investissement, conditions d’éligibilité aux aides trop rigides, manque de visibilité sur les dispositifs de soutien. Le rapport recommande aussi de bonifier les aides pour les bailleurs qui recourent à des solutions industrialisées, capables de massifier les rénovations globales tout en garantissant des performances élevées.


Des dispositifs transversaux pour structurer l’écosystème

Au-delà des spécificités par segment, cinq propositions transversales visent à transformer structurellement le marché de la rénovation énergétique.

La première est le renforcement des Sociétés de Tiers-Financement (STF). Ces structures publiques ou para-publiques permettent aux ménages de financer leurs travaux sans avance de trésorerie, en remboursant via les économies d’énergie générées. Le rapport appelle à renforcer leur capacité d’action.

Il propose également d’encourager la création de Sociétés de Tiers-Investissement (STI). À la différence des STF, les STI prennent en charge les travaux eux-mêmes, contre rémunération adossée aux performances obtenues. Un modèle encore émergent, mais prometteur pour certains segments du marché.

Autre chantier central : la feuille de route pour la montée en compétences des professionnels. Il ne s’agit plus seulement d’inciter à la formation, mais de rendre la filière du bâtiment plus attractive (notamment pour les jeunes et personnes en reconversion), et de financer des parcours qualifiants massifs.

La soutien à l’industrialisation des rénovations figure aussi parmi les priorités, en particulier via des approches comme EnergieSprong, qui standardisent les interventions.

Enfin, le rapport met en avant la garantie de performance réelle comme outil clé pour sécuriser les investissements publics et privés : seuls les travaux dont l’efficacité est mesurée et vérifiée pourraient bénéficier de bonifications ou d’aides spécifiques.


Quels impacts concrets pour les acteurs du terrain ?

Le rapport se distingue par sa volonté d’inscrire chaque levier dans une dynamique opérationnelle, avec des conséquences directes sur les pratiques du secteur.

Pour les artisans et entreprises du bâtiment, les propositions impliquent un repositionnement stratégique. La demande en rénovations globales va nécessiter une meilleure coordination entre corps de métiers, une montée en compétence sur les interfaces techniques (ponts thermiques, ventilation, etc.) et une logique de groupement.

Pour les collectivités locales et bailleurs, il s’agira de revoir leurs modes de programmation, en intégrant des indicateurs de performance dans leurs appels d’offres et en expérimentant des modèles financiers innovants (STF, STI).

Enfin, pour les ménages, le rapport propose une simplification de l’accès aux aides, une réduction du reste à charge, et un accompagnement renforcé tout au long du parcours de travaux. La performance devient un critère central, non plus seulement environnemental, mais aussi économique et sanitaire.


Un défi de massification encadré : 25 milliards €/an, 700 000 rénovations

Les objectifs sont chiffrés. Selon le scénario de la Stratégie Nationale Bas Carbone, la France devra atteindre 700 000 rénovations complètes équivalentes par an d’ici 2030-2050, contre seulement 40 000 environ aujourd’hui. Le rapport chiffre les besoins de financement à 25 milliards d’euros par an, en combinant investissements publics et privés.

La complexité technique des rénovations performantes nécessite en outre de limiter les rénovations en 4 étapes ou plus : au-delà de trois phases, les risques d’échec ou de surcoûts deviennent trop élevés. D’où la priorité à accorder aux rénovations globales, en une ou deux étapes si possible.


Un tournant attendu aussi dans les Outre-mer

La dynamique nationale en faveur de la rénovation performante ne saurait ignorer les réalités propres aux territoires ultramarins. Le rapport consacre un chapitre entier aux défis et leviers spécifiques aux Outre-mer, avec un focus particulier sur La Réunion et la Guadeloupe, où deux ateliers de travail ont permis de croiser les points de vue d’institutionnels, de techniciens et d’acteurs de terrain. L’enjeu est double : accélérer la transition énergétique tout en répondant à des besoins sociaux urgents.

Des conditions climatiques et socio-économiques uniques

Les départements et régions d’Outre-mer présentent des conditions radicalement différentes de celles de la métropole : humidité constante, pics de chaleur accentués, exposition aux cyclones, sols sismiques, bâti hétérogène, matériaux inadaptés, coûts de construction élevés, et une forte dépendance énergétique aux énergies fossiles. À cela s’ajoute une précarité énergétique structurelle, aggravée par le sous-dimensionnement des dispositifs d’aide et la vétusté du parc. Par exemple, à La Réunion, la part des ménages modestes occupant un logement mal isolé sans ventilation performante reste très élevée, notamment dans l’habitat ancien diffus ou dans les quartiers populaires en zone littorale.

Une structuration de l’offre encore en chantier

Le rapport pointe une insuffisance de l’offre professionnelle locale pour répondre aux exigences d’une rénovation performante. Le tissu économique des Outre-mer est composé majoritairement de TPE peu structurées, souvent éloignées des standards techniques requis pour des rénovations BBC. Des organismes comme la CAPEB Réunion, SPL Horizon Réunion ou le CAUE Guadeloupe ont participé aux travaux du rapport en soulignant le besoin urgent de formation, d’accompagnement et de montée en compétence. Les dispositifs d’accompagnement existants sont jugés trop centralisés, parfois inadaptés aux réalités locales, tant en termes de climat que de coût de la vie.

Des pistes d’action différenciées par territoire

Concrètement, le rapport recommande de définir une stratégie locale pour chaque territoire ultramarin, en s’appuyant sur les forces existantes, comme les agences régionales de l’énergie (ex. AREC Réunion) ou les SPL. Cette stratégie devrait s’appuyer sur trois piliers :

  • Gouvernance territorialisée, en associant les collectivités, l’État, les bailleurs sociaux, les énergéticiens (EDF, CRE) et les représentants du secteur du bâtiment.

  • Accompagnement des ménages ciblé et financé : avec des guichets d’information de proximité, un accompagnement renforcé sur le plan technique, et des aides spécifiquement calibrées sur les niveaux de revenus locaux.

  • Structuration de la filière locale : via des groupements d’entreprises, des centres de formation spécialisés, et la valorisation des ressources locales adaptées aux climats tropicaux (bois local, solutions de ventilation naturelle, enduits bio-sourcés, etc.).

L’Outre-mer, un laboratoire d’innovation ?

Enfin, le rapport invite à considérer les Outre-mer comme des territoires pilotes, capables d’innover en matière de rénovation performante adaptée aux contraintes climatiques extrêmes. Cela suppose un appui financier renforcé, mais aussi la reconnaissance de l’expertise locale et la flexibilité réglementaire pour tester de nouveaux modèles, comme les dispositifs d’évaluation de performance adaptés aux bâtiments sans chauffage ou les mécanismes de financement adossés à la facture d’électricité.


Ressource à consulter : Financer la rénovation énergétique performante des logements


Le rapport de l’ADEME trace une feuille de route ambitieuse, mais méthodique, pour faire de la rénovation performante une réalité à l’échelle nationale. En s’attaquant simultanément aux freins techniques, économiques, humains et financiers, il propose une approche systémique capable de transformer durablement le secteur. À condition que l’ensemble des acteurs – publics comme privés – s’engage résolument dans sa mise en œuvre.

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