L’économie circulaire du bâtiment franchit une nouvelle étape. Avec le lancement d’une consultation nationale pour concevoir un guide juridique sur le réemploi, l’Agence Qualité Construction (AQC) veut donner des fondations solides à une pratique encore en construction. Ce guide, élaboré dans le cadre du programme AMBRE – Agir et Mobiliser pour Bâtir et rénover avec le Réemploi, vise à rendre le droit du réemploi plus lisible et plus sûr pour l’ensemble des professionnels. Derrière cette initiative se joue une transformation de fond : celle d’une filière qui cherche à passer de la bonne intention à la mise en œuvre encadrée.
—
Un cadre légal dense, mais encore difficile à appliquer
Depuis la loi AGEC de 2020, le réemploi figure parmi les priorités nationales. La mise en œuvre de la REP PMCB en mai 2023 a introduit des objectifs chiffrés ambitieux — 90 % de valorisation et 5 % de réemploi des déchets de chantier —, tandis que la RE2020 a renforcé l’exigence carbone des bâtiments.
Mais sur le terrain, la dynamique reste timide : selon l’ADEME, à peine 1 % des matériaux sont réemployés aujourd’hui. Un écart qui illustre le décalage entre la norme et la pratique.
L’assurabilité constitue l’un des principaux freins. Le réemploi est encore considéré comme une technique non courante, donc exclue des garanties de base des polices décennales ou dommages-ouvrage.
Chaque projet suppose des études spécifiques, des extensions de garantie, voire des renégociations contractuelles. Résultat : un risque perçu comme trop élevé par les maîtres d’ouvrage et les assureurs, et une rentabilité incertaine pour les entreprises.
AMBRE, une mobilisation collective de la filière
Face à ces obstacles, la filière s’organise. Le programme AMBRE, piloté conjointement par la CAPEB, la FFB, l’Union sociale pour l’habitat, l’AIMCC, France Assureurs, le CSTB et l’AQC, incarne une démarche inédite de coopération interprofessionnelle.
Objectif : fédérer les acteurs autour d’une vision partagée du réemploi, fiabiliser les pratiques et massifier leur adoption.
Le programme s’appuie sur un comité de pilotage et un comité de suivi (COMSUI) réunissant l’ensemble des parties prenantes. L’ambition est claire : créer des outils de référence – techniques, économiques et désormais juridiques – capables d’instaurer un climat de confiance entre les acteurs du secteur.
Cette confiance, souligne l’AQC, est la clé pour transformer le réemploi en pratique courante et non plus expérimentale.
Un guide pour traduire le droit en langage opérationnel
La consultation lancée par l’AQC porte sur la conception d’un guide juridique destiné à rendre le réemploi compréhensible et accessible à ceux qui le pratiquent : maîtres d’ouvrage, architectes, entreprises, bureaux de contrôle ou assureurs. Le document n’a pas vocation à s’adresser aux juristes, mais à proposer un langage clair et pédagogique.
Concrètement, le futur guide s’articulera autour de fiches synthétiques et de cas pratiques détaillant les responsabilités, les assurances applicables et les obligations réglementaires.
Chaque fiche correspondra à un acteur de la chaîne du réemploi et décrira son rôle, ses risques, ses interactions avec les autres, ainsi que les références légales à connaître. L’ensemble sera ensuite consolidé dans un guide complet, mis en page pour une diffusion numérique et régulièrement actualisé selon les évolutions législatives.
Un maillon manquant entre pratique et assurabilité
L’initiative d’AMBRE s’inscrit dans la continuité de plusieurs avancées techniques récentes. En 2024, la filière acier a publié le premier référentiel de réemploi validé par la Commission Prévention Produits de l’AQC, permettant à certains éléments structuraux d’être reconnus comme “techniques courantes”.
Dans la foulée, le projet SPIROU du CSTB a produit dix notes méthodologiques pour sécuriser le diagnostic et la qualification des matériaux de réemploi.
Ces pas successifs montrent que la filière cherche à combler le vide entre l’expérimentation et la norme. Le guide juridique ambitionne de prolonger cette dynamique en apportant un cadre lisible aux responsabilités : qui répond de quoi ?
Jusqu’où va la couverture d’assurance ? Comment justifier la performance d’un matériau reconditionné ? Autant de questions qui freinent encore les projets de réemploi et que le futur guide devra clarifier.
Une démarche anticipatrice face à l’évolution européenne
Ce travail intervient alors que se profile le nouveau Règlement européen sur les Produits de Construction (RPC), appelé à refondre les exigences en matière de durabilité, de traçabilité et de performance environnementale.
Le guide juridique d’AMBRE vise aussi à préparer la filière française à ce virage européen en harmonisant les pratiques et en anticipant les obligations à venir. En ce sens, il s’agit d’un outil stratégique autant que technique : un moyen de consolider la position des acteurs français dans un cadre européen de plus en plus normé.
Et pour les Outre-mer ?
Dans les territoires ultramarins, où la dépendance aux matériaux importés et les coûts logistiques sont plus lourds, la structuration d’un cadre juridique du réemploi pourrait avoir un impact majeur.
À La Réunion, en Martinique ou à Mayotte, des initiatives locales émergent autour de la déconstruction sélective ou du reconditionnement. Mais elles manquent encore de sécurité juridique. Un guide commun pourrait faciliter leur reconnaissance, soutenir la création d’ateliers de réemploi et favoriser la relocalisation de certaines ressources.
La mission de conception du guide débutera en novembre 2025 pour s’achever en février 2026. D’ici là, les prestataires ont jusqu’au 31 octobre pour déposer leur offre. Au-delà du calendrier, cette consultation marque un tournant : la filière du bâtiment s’organise enfin pour lever les incertitudes juridiques qui freinent le réemploi. Si elle aboutit, le guide AMBRE deviendra un outil commun de référence, reliant le droit, la technique et la pratique. Le réemploi n’est plus seulement une démarche vertueuse : il s’impose désormais comme un enjeu collectif de fiabilité et de structuration durable.