La précarité énergétique n’est plus un phénomène marginal. Elle s’ancre, évolue, et révèle une réalité sociale de plus en plus complexe. Selon le tableau de bord 2025 de l’Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE), 10,1 % de la population, soit 3,1 millions de ménages, restent exposés à des dépenses d’énergie qui dépassent 8 % de leurs revenus. Derrière ce pourcentage stable en apparence, les situations se diversifient : froid hivernal, chaleur estivale, mobilité contrainte, impayés qui s’accumulent. En quelques années, le paysage de la précarité énergétique s’est élargi, redessiné, presque transformé.
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Une précarité qui persiste et se transforme
Sur le papier, le taux d’effort énergétique paraît reculer d’un dixième de point. Dans les faits, la situation reste tendue.
Le document précise que “sans les mesures de protection, le taux aurait atteint 17,9 % en 2023”, rappelant à quel point les aides publiques amortissent encore un choc bien plus large.
Les ménages aux revenus modestes continuent d’allouer une part importante de leur budget à l’énergie, sans parvenir à réduire leurs besoins structurels.
Un élément clé émerge : la précarité énergétique ne se limite plus au seul chauffage des logements anciens. Elle s’étend à d’autres dimensions du quotidien, notamment la chaleur estivale et la mobilité, créant une pression continue tout au long de l’année.
Entre froid et chaleur, l’inconfort gagne du terrain
L’hiver n’a pas épargné les ménages les plus fragiles. 35 % des Français déclarent avoir eu froid dans leur logement durant au moins 24 heures, un chiffre en hausse.
Plus frappant encore, 37 % d’entre eux attribuent ce froid à des raisons financières. Chez les bénéficiaires du chèque énergie, la situation se dégrade : 59 % disent avoir eu froid, et 64 % souffrent également de fortes chaleurs en été.
Cette bascule est l’un des signaux les plus marquants du document : 49 % des Français ont souffert d’un excès de chaleur dans leur logement au cours de l’été 2024-2025. Le document évoque même des “logements bouilloires”, incapables de protéger leurs occupants des vagues de chaleur qui se généralisent.
Ces situations révèlent des bâtiments mal isolés, des ventilations insuffisantes ou des matériaux inadaptés, notamment dans les constructions anciennes.
Les ménages modestes sont doublement piégés : ils chauffent moins faute de moyens, mais subissent davantage la chaleur car leur logement ne parvient pas à se rafraîchir. Cette tension climatique constante marque une évolution profonde du sujet.
Logement et mobilité : la double facture énergétique
À la facture de chauffage et d’électricité s’ajoute une contrainte plus silencieuse : la mobilité.
Pour 3,1 millions de Français, la dépendance à la voiture devient une source directe de précarité. Les distances quotidiennes, l’absence d’alternative dans les zones rurales ou périurbaines, et les véhicules vieillissants créent une vulnérabilité nouvelle.
Les dépenses en carburant pèsent lourd, parfois plus que la facture énergétique du logement elle-même.
La baisse ponctuelle des prix de l’énergie en 2023 n’a qu’un impact limité pour ces ménages : les déplacements restent incontournables, et leur coût ne cesse d’augmenter pour les personnes aux revenus les plus bas.
Une explosion des impayés, révélatrice d’une tension sociale
Le tableau de bord est sans ambiguïté : 1,2 million d’interventions pour impayés ont été recensées en 2024, une hausse spectaculaire de 24 %.
Les réductions de puissance progressent plus vite que les coupures, signe que les fournisseurs tentent de limiter la rupture totale tout en signalant la dette.
Le Secours Catholique tire lui aussi la sonnette d’alarme : 49,4 % des personnes qu’il accompagne ont des impayés d’énergie, avec un montant médian de 500 €.
Le profil des ménages concernés est clair : revenus très faibles, forte prévalence des locataires sociaux, situations familiales fragiles. Le document note que “62,6 % des ménages logés de manière stable” suivis par l’association ont au moins un impayé.
Ces indicateurs montrent une dynamique préoccupante : les hausses de prix passées et l’inflation générale continuent de produire des retards de paiement en cascade, malgré une stabilisation relative des tarifs.
Des dispositifs publics puissants, mais encore insuffisants
Les aides jouent un rôle déterminant. Le chèque énergie, distribué à 4,7 millions de ménages, protège les plus modestes d’une partie du choc tarifaire.
Les FSL ont soutenu 163 031 clients en 2024, un retour à leur niveau pré-Covid. Les programmes CEE (SLIME, TIMS, Toits d’Abord) montent en puissance et accompagnent des milliers de ménages dans des diagnostics, des chantiers ou des projets de mobilité.
La rénovation énergétique marque une inflexion notable : 81 000 ménages ont mené une rénovation performante en 2024, et les rénovations par geste chutent au profit des parcours plus complets.
Le rapport de l’ONPE rappelle que “70 % du budget MaPrimeRénov’ en 2024” a été consacré aux rénovations lourdes, contre 30 % l’année précédente.
Ces leviers atténuent les difficultés, mais les besoins restent supérieurs au rythme des interventions, surtout dans un contexte où le logement et le climat évoluent plus vite que les politiques publiques.
L’Europe comme miroir : la France dans la moyenne, mais sous tension
Comparée à la moyenne européenne, la France se situe dans une zone intermédiaire. En 2024, 11,8 % des Français déclarent ne pas pouvoir chauffer correctement leur logement, contre 9,2 % dans l’UE-27. Le pays affiche également des arriérés de factures légèrement supérieurs à la moyenne.
Plus préoccupant : la tendance spécifique au poids des dépenses de logement dans le revenu. Quand la majorité des pays européens voient ce ratio baisser pour les ménages les plus modestes, la France l’observe au contraire augmenter. Une spécificité qui signale une fragilité structurelle croissante.

Consulter LE TABLEAU DE BORD DE LA PRÉCARITÉ ÉNERGÉTIQUE – Novembre 2025 ici









