La Fondation Jean-Jaurès a publié en avril 2025 le premier rapport de son Observatoire des outre-mer, dirigé par Jeanne Belanyi. Derrière l’approche globale — économique, sociale et environnementale — ce travail révèle des réalités qui concernent directement le BTP : flambée des prix, tensions sur le logement, infrastructures fragiles face aux aléas climatiques. Des constats qui posent la question de l’avenir des projets de construction et d’aménagement dans ces territoires.
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Vie chère : l’approvisionnement des chantiers sous pression
La vie chère n’est pas une nouveauté en outre-mer, mais elle s’intensifie. Selon l’Insee, en 2022 les prix alimentaires étaient supérieurs de 30 % à Mayotte, de 28 % à La Réunion, de 40 % en Martinique et de 42 % en Guadeloupe par rapport à l’Hexagone.
Ces écarts ne concernent pas que les ménages : ils pèsent aussi sur les entreprises du BTP, contraintes d’importer la majorité de leurs matériaux.
Le rapport rappelle un exemple parlant : « les normes CE pour les produits et articles de construction contraignent l’acheteur ultramarin à se fournir en matériaux européens et à assumer des coûts de transport élevés alors que d’autres matériaux pourraient s’y substituer ».
Cette dépendance logistique renchérit les coûts des chantiers et freine l’adaptation aux besoins locaux.
Logement : loyers record et urgence de construire
Le logement constitue un autre poste de dépense insoutenable. À La Réunion, certains loyers atteignent 21,40 euros du mètre carré, poussant des ménages à consacrer jusqu’à 80 % de leur budget au paiement du loyer. La situation rivalise, voire dépasse, celle de grandes villes comme Bordeaux ou Lyon, mais sans les mêmes services publics ou infrastructures de transport.
Face à cette pression, l’encadrement des loyers a fait son chemin. Après l’intégration de 38 communes ultramarines dans les zones tendues (décret d’août 2023), une proposition de loi autorisant les collectivités locales à expérimenter ce dispositif a été votée à l’unanimité au Sénat en mars 2025.
Si elle est confirmée à l’Assemblée nationale, elle pourrait offrir une respiration, mais elle souligne surtout l’urgence de relancer la construction de logements abordables.
L’octroi de mer : taxe contestée mais pilier budgétaire
L’octroi de mer, souvent accusé d’aggraver la vie chère, est aussi un outil majeur de financement local. Il représente environ 1,6 milliard d’euros par an et, à Mayotte, plus de 70 % des recettes fiscales des collectivités.
Sans lui, difficile d’imaginer maintenir les services publics, soutenir les associations ou financer la commande publique, dont une partie alimente directement l’activité du BTP.
La suppression pure et simple de cette taxe, évoquée à plusieurs reprises, inquiète les chercheurs. Des modélisations montrent qu’elle entraînerait certes une légère baisse des prix, mais au prix d’une hausse du chômage et d’une récession locale.
Les auteurs du rapport préviennent : « vouloir imposer une rapide réforme globale sans diagnostic préalable reviendrait à jouer à l’apprenti sorcier sur le devenir des outre-mer ».
Justice environnementale : infrastructures sous tension
Les inégalités environnementales frappent aussi le secteur des infrastructures. En Guadeloupe et en Martinique, les coupures d’eau sont régulières ; à La Réunion, la moitié de la population ne peut pas boire l’eau du robinet ; en Guyane, près d’un enfant sur cinq est contaminé par des métaux lourds, avec un taux de saturnisme soixante fois plus élevé que dans l’Hexagone.
Ces défaillances appellent à des investissements urgents dans les réseaux d’eau et d’assainissement.
La gestion des déchets connaît le même retard. Un rapport sénatorial de 2022 appelait à des « plans Marshall » pour la Guyane et Mayotte.
Quant aux sargasses, leur échouage massif est devenu une pollution chronique : des cas d’intoxication aiguë ont été confirmés en Martinique et en Guadeloupe, forçant parfois des habitants à quitter leur domicile plusieurs mois par an. Là encore, la réponse passe par des infrastructures adaptées : collecte préventive en mer, traitement et valorisation locale.
Infrastructures stratégiques et enjeu géopolitique
Au-delà de la dimension sociale, l’outre-mer reste stratégique. Ces territoires représentent 97 % de la zone économique exclusive française et 80 % de sa biodiversité. Ils constituent la clé de la présence française dans l’Indo-Pacifique. Cet atout géopolitique impose de renforcer les infrastructures portuaires, énergétiques et de protection littorale pour maintenir l’ancrage français et répondre aux défis climatiques.
Le rapport de l’Observatoire des outre-mer dresse un tableau contrasté : pauvreté persistante, prix exorbitants, défaillances environnementales, mais aussi potentiel immense pour expérimenter de nouvelles politiques de logement, d’approvisionnement et de résilience. Pour le BTP, le message est clair : il ne s’agit pas seulement de construire plus, mais de construire mieux, en intégrant la réalité économique et sociale des territoires. Les auteurs résument bien l’enjeu : « l’égalité effective entre tous les citoyens apparaît Outre-Mer comme une promesse toujours différée ».