OUTRE-MER. logement social sous tension, normes contestées et territoires inégaux

0
logement social Outre-mer

Le 18 février 2025, Le Point a organisé à la Maison de l’Océan à Paris une table ronde autour d’un enjeu crucial : le logement dans les territoires ultramarins. Modérée par le journaliste Nicolas Bastuck, la discussion a réuni Hervé Tonnaire, directeur des Outre-mer à la Caisse des Dépôts, et Audrey Belim, sénatrice de La Réunion.

L’échange a permis de dresser un constat sans détour sur l’ampleur de la crise du logement outre-mer, tout en posant les bases de solutions structurelles. Entre accumulation des vulnérabilités, inadéquation des normes, coûts de construction exorbitants et volonté politique, les défis sont multiples, mais les lignes semblent bouger.

Une crise ancienne, aujourd’hui exacerbée

Les territoires ultramarins traversent une période de fortes tensions. Crise sociale aux Antilles, instabilité institutionnelle en Nouvelle-Calédonie, catastrophe climatique à Mayotte, difficultés économiques persistantes : les Outre-mer cumulent les secousses, avec des conséquences directes sur le logement.

« Le logement fait partie du pacte républicain », rappelle Hervé Tonnaire, et ce droit fondamental, lorsqu’il est bafoué, alimente l’injustice sociale et mine la stabilité locale.

Audrey Belim dresse un tableau chiffré sans appel.

Les Outre-mer comptent près de 2,7 millions d’habitants, pour un parc d’environ 900 000 logements, dont seulement 160 000 sont sociaux. Pourtant, 80 % des ménages ultramarins sont éligibles au logement social. L’offre est manifestement insuffisante.

À La Réunion, les loyers dans le secteur privé ont augmenté de 31 % en cinq ans, tandis que les revenus, eux, stagnent. Ce décalage rend l’accès au logement de plus en plus difficile.

 

Des normes techniques hors-sol

Au-delà de la pénurie, c’est aussi la manière de construire qui pose problème. Les normes techniques en vigueur, uniformisées au niveau national ou européen, ne tiennent pas compte des réalités climatiques, géographiques et culturelles des Outre-mer.

« Pourquoi faire venir du bois de Pologne en Guyane quand le Brésil est à côté ? », interroge la sénatrice Belim. Le coût de l’importation pèse lourdement sur les budgets, renchérit le prix des logements, et alimente la vie chère.

L’exemple de la Nouvelle-Calédonie fait figure de modèle : un référentiel technique a été créé localement, en partenariat avec les filières du BTP et les assureurs, adapté aux matériaux disponibles et aux risques naturels locaux.

La proposition de Belim consiste à généraliser cette logique : des comités régionaux pourraient élaborer des normes locales, validées au niveau national, permettant de créer des circuits courts et de baisser les coûts de production. Elle cite même l’exemple de Mayotte, où un lycée construit en brique de terre crue a résisté au cyclone CHIDO.

 

Zoom sur quatre territoires, quatre urgences

À Mayotte, la situation est dramatique. Déjà extrêmement précaire avant le cyclone, avec 70 % de taux de pauvreté, 63 % de surpopulation dans les logements, 38 % de foyers sans eau courante, l’archipel a vu 1 500 logements endommagés dans le parc de la SIM. La reconstruction s’annonce lente, faute de moyens et de coordination.

La Caisse des Dépôts prévoit une enveloppe exceptionnelle, avec des prêts via le Livret A, mais appelle à une « fédération des acteurs » pour piloter l’effort. Une problématique assurantielle persiste : sans garanties décennales adaptées, difficile d’impliquer les entreprises locales de BTP.

À La Réunion, les appels à l’encadrement des loyers se multiplient. Si l’île dispose d’un Observatoire Local des Loyers, indispensable à la mise en œuvre de la mesure, le classement en zone tendue n’a pas encore été acté. La proposition de loi déposée par Audrey Belim vise précisément à combler ce vide. Elle porte le nom de « Proposition de loi expérimentant l’encadrement des loyers et améliorant l’habitat dans les outre-mer » (n°198, Sénat, décembre 2024).

En Guyane, c’est le foncier qui concentre les tensions. L’État est propriétaire de l’immense majorité des terrains, rendant les mairies dépendantes pour tout projet immobilier. Pourtant, la croissance démographique reste forte, et la demande de logements ne faiblit pas. Des référentiels sont en cours d’élaboration pour promouvoir la brique de terre crue et le bois local.

La Polynésie, enfin, a enclenché une politique ambitieuse de logement aidé, soutenue par la Caisse des Dépôts. L’objectif est de désamorcer les tensions sociales et économiques créées par l’éloignement et le manque de logements accessibles. La géographie insulaire, les embouteillages chroniques et le manque de foncier utile compliquent la donne.

 

Vers une nouvelle gouvernance du logement outre-mer ?

La table ronde a mis en lumière l’émergence d’une volonté commune : celle de penser le logement ultramarin à partir des territoires eux-mêmes. La proposition de loi de la sénatrice Belim, qui sera débattue au printemps 2025, en est un jalon symbolique. Elle comporte trois volets : encadrement des loyers, création de normes locales, et constitution de comités techniques dans chaque bassin géographique.

En parallèle, la Caisse des Dépôts affiche sa mobilisation. En 2024, elle a déployé 23 milliards d’euros pour le logement en France, gère 100 000 logements sociaux en Outre-mer via CDC Habitat, et propose un accompagnement technique et financier sur mesure pour les territoires. Hervé Tonnaire plaide pour une action à long terme : « Il faut penser les réponses de demain et d’après-demain ».

Cette vision intègre la formation, la mobilité, la décentralisation foncière, la création de filières locales, mais aussi la prise en compte des usages réels. Dans les territoires tropicaux, les habitants vivent autant dehors que dedans. Adapter l’habitat, c’est aussi respecter les modes de vie.

À noter que depuis avril 2024, les Régions Ultrapériphériques (RUP) sont officiellement autorisées par l’Union européenne à déroger à l’obligation de marquage CE pour les matériaux de construction, une avancée saluée par les professionnels. Un marquage spécifique « RUP » est en discussion, afin de faciliter l’utilisation de matériaux locaux sans renier les exigences de qualité et de sécurité.



 

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici